Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Lettres et nourriture hors repas

Chapitre du 27 février 1889

“Nul ne recevra ou n'enverra de lettres sans en avoir reçu la faculté du Supérieur à qui toutes les lettres seront remises pour être distribuées, envoyées ou gardées, selon qu’il jugera convenable” (Const., Art. VI:9; p. 19).

On ne fait ici que cette recommandation à propos des lettres. Le Coutumier indiquera de quelle manière et dans quelle latitude la permission pourra être accordée d'écrire des lettres de direction, afin que la correspondance soit, d'une part, entièrement soumise à l'obéissance, et que d'autre part, on puisse sauvegarder le secret du prochain. Nous formulerons là-dessus certaines règles dans l'explication desquelles je ne crois pas à propos d'entrer aujourd'hui. Ces règles feront la matière d'une partie du Coutumier. Le Coutumier dira aussi dans quel style il faut écrire. Notre saint Fondateur a donné là-dessus des règles admirables sur les termes à employer, sur le genre à adopter, et depuis trois cents ans bientôt, ces règles sont aujourd'hui encore applicables d'un bout à l'autre.

Je me contente de vous dire aujourd'hui qu'il faut en général que votre correspondance respire la gravité religieuse. Il ne faut y laisser entrer ni plaisanteries bouffonnes, ni badinages. Entre amis, sans doute, on peut bien se permettre un petit mot spirituel, mais ne faisons pas de bouffonneries ni d'esprit mal à propos. Que nos lettres soient vraiment des lettres de religieux: “Ce qui est dit par écrit demeure” - [“Scripta manent”]. La grande règle de notre correspondance doit être d'écrire en présence de Dieu et en présence de tout le monde. De la sorte, vous écrirez toujours d'une façon pieuse, édifiante. De même que dans la conversation, il faut bien se garder de dire toujours tout ce qu'on aurait à dire, mais il ne faut traiter que de choses édifiantes. Dans nos lettres aussi, nous ne devons traiter que de choses capables de porter à l'amour du bon Dieu. Les rapports de lettres doivent avoir toujours un caractère religieux.

La lettre commence par Vive Jésus!, elle finit par Dieu soit béni! Entre ces deux aspirations, il ne doit y avoir place ni pour des bouffonneries, ni pour des choses étranges, singulières, contraires à la gravité religieuse. Si on peut y mettre un peu d'esprit, de finesse, c'est bien, quoiqu'il soit assez difficile en pareille matière de se garder des écarts. Que nos lettres soient donc raisonnables, sérieuses, religieuses, nous souvenant que nous devons observer la Règle partout où nous sommes et partout où nous nous trouvons. Que les lettres écrites au dehors surtout soient bien mesurées. Il faut bien les écrire celles-là devant le bon Dieu et devant les supérieurs, il faut les écrire comme si elles devaient être lues par tout le monde. Cela vous empêchera-t-il de dire ce que vous jugerez bon, nécessaire, particulier pour la personne à qui vous écrivez, dans les lettres de direction elles-mêmes? Non, vous direz tout cela, et dans des termes qui respireront la piété, l'onction du bon Dieu, la charité.

Toute lettre que vous écrirez et qui est conçue de telle sorte qu'on puisse la perdre dans la rue, la lire en pleine place de l'hôtel de ville, et qui en même temps respire la piété et la charité, il est bien sûr qu'elle portera ses fruits. La vie du religieux, ses paroles, sa conduite, ses rapports, tout cela doit pouvoir être vu ou su de tout le monde. Le philosophe de l’antiquité disait qu'il habiterait volontiers une maison de verre. Il doit en être de même du religieux. Les lettres doivent être écrites d'un style simple, mais toujours digne, qui convienne à un religieux.

“Afin que la santé de notre corps lui-même puisse profiter du bienfait de l’obéissance, personne ne pourra prendre aucune nourriture ni aucune breuvage en dehors des repas, sans permission” (Const., Art. VI:10; p. 20).

Ceux qui ont besoin de quelque chose de particulier doivent le demander simplement. Chacun fait alors son devoir: celui qui demande fait la volonté du bon Dieu en demandant ce qui lui est nécessaire et le supérieur fait son devoir en accordant ce qui lui est demandé. Ce n'est pas agréable sans doute de demander. on aimerait mieux rester dans le train commun; c'est un grand assujettissement, par conséquent méritoire devant le bon Dieu. Il ne faut pas décliner cet assujettissement. Je vous recommande bien quand vous avez quelque besoin pour la nourriture, de le dire simplement. Moi-même, je vous l'avoue, je ne pourrais me dispenser de prendre quelque chose à 4 h., un peu de lait, quelquefois même à 10 h. Sans doute, en dehors de ces nécessités, il faut être tout à fait religieux. Les jeunes surtout, pour la nourriture, doivent prendre leur courage à deux mains, manger de tout, être généreux, surtout à l'égard de ce qui ne plaît pas. Il faut manger à son appétit, en ayant bien soin de ne pas oublier la mortification. Il faut manger rondement et simplement, bien éviter le superflu et la recherche et ne rien prendre en dehors des repas. Nous ne prenons pas de café. Mais, assurément, un professeur à qui le café serait nécessaire, parce qu'il dormirait pendant sa classe, devrait exposer la chose à son supérieur, à son maître des novices, et si vraiment le café était nécessaire, on le lui permettrait.

Je fais appel à votre conscience, au fonds religieux d'un chacun. Nous devons être très heureux de faire la Règle et il faut nous mortifier absolument sur toutes les choses qui sont de goût et qui ne sont pas nécessaires. Il faut bien nous mortifier sur ce point que signale la Règle. C'est un des grands moyens qu'emploie le démon, de prendre, d'allécher pas l'appât de la sensualité et de la gourmandise. C'est comme cela qu'il a tenté Eve. Notre vœu de pauvreté lui aussi trouvera son compte à cet accomplissement de la Règle. Toutes ces particularités nécessaires nous seront donc toujours accordées; l'obéissance sanctifiera les dépenses et nous ne serons pas des hommes de matière qui s'en vont vaille que vaille dans le chemin de Dieu. Nous poursuivons un but plus élevé, “pour l’amour de Dieu”. Voilà notre but: “Si nous vivons, nous vivons pour le Seigneur, et si nous mourons, nous mourons pour le Seigneur” ( Rm 14:8). Il faut toujours habiter cette region-la. Toute autre manière de faire nous constituerait en dehors de notre demeure et de notre pays.

“On n'entrera jamais dans la cellule d'un autre sans permission. On n’ouvrira jamais sans avoir frappé et entendu la réponse. La porte de la cellule restera ouverte tout le temps qu’on y restera deux ensemble”.

“Personne n’introduira qui que ce soit du dehors dans sa cellule, sans permission expresse du Supérieur” (Const., Art. VI:11-12; p. 20).
 
Voilà un ancien élève qui vient vous voir. Il est nécessaire que vous ayez la permission du supérieur pour l'introduire dans votre cellule. N'y introduisez jamais personne sans autorisation. Un élève, quelqu'un vient se confesser, c'est autre chose. Surtout n'y introduisez jamais de dames, n'y recevez pas de visites, pas même de jeunes gens. Vous avez le parloir, le jardin: la cellule n'est pas un lieu de conversation.

“Les Frères Coadjuteurs se précautionneront contre la tentation de passer à un autre rang, sachant que la part que Notre-Seigneur leur a faite en sa dilection est souvent préférable à celle qu’il a faite aux autres religieux. Que s’il leur venait à la pensée de faire cette demande, ils sauront qu’ils ne pourront la renouveler ensuite qu’au bout de trois ans; alors ce sera aux supérieurs d’examiner pour quel motif le Frère a été induit dans cette voie, et s’il y a lieu de prendre sa prière en considération, ou de l’ajourner encore, ou de lui déclarer qu’il doit absolument y renoncer”(Const., Art. VI:14; p. 21-22).

 J'ai déjà dit un mot des Frères Coadjuteurs et de la grâce qu'ils ont de pouvoir marcher bien plus facilement et bien plus certainement dans les voies de la sainteté. Il suffit qu'ils le veuillent, qu'ils marchent en déterminés. En s'attachant à la pratique exacte de l'obéissance, ils acquerront beaucoup de grâces et de bien grandes grâces. J'ai vu cela à la Visitation; !a sœur la plus sainte, après la bonne Mère, était la sœur Marie-Geneviève, une sœur du voile blanc qui épluchait les légumes pour la cuisine.

Je faisais ma retraite à la Grande Chartreuse et je me confessais au Père Retourrat. Le Père Retourrat était un très grand saint. Il m'écrivait des lettres admirables, de grandes lettres de 12 ou 15 pages. J'ai prêté ces lettres et naturellement on ne me les a pas rendues. Je n'ai jamais pu les retrouver.

Le Père Retournat me dit un jour: “Trouvez-vous quelque chose de Dieu dans le monastère?”
— “Oui”.
— “Avez-vous fait quelque remarque particulière?”
— “Je n'en ai pas trop fait”.
— “J'ai pourtant demandé au bon Dieu de vous faire sentir quelque chose. Vous n'avez rien remarqué de particulier?”
— “Eh! bien, oui, tenez! J'éprouve un certain attrait du bon Dieu à passer devant la porte de la cuisine”.
— “Pourquoi cela?”
— “L'autre jour, le Frère cuisinier a ouvert le guichet, quand je passais. Il m'a fait l'effet d'un saint".
 — “Cela montre que le bon Dieu exauce les prières qu'on lui fait. Je lui avais effectivement demandé de vous faire sentir quelque chose là. En effet, ce Frère est un saint. Je suis bien consolé et fortifié que le bon Dieu vous ait donné ce sentiment".

Il y a 20 ou 30 ans que ceci m'arrivait à la Grande Chartreuse. Il est bien certain que le ministère extérieur est tout à fait agréable au bon Dieu. C'était bien la doctrine de la bonne Mère. Notre action sur la terre doit se faire au nom de Dieu, au nom de la sainte Trinité. Nous agissons au nom du Père par le travail manuel; au nom du Fils, l'Intelligence, le Verbe de Dieu, par l'enseignement, la prédication; au nom de l’Esprit-Saint, par la direction des âmes. Il faut bien nous placer à ce point de vue, que le travail manuel nous unit à Dieu le Père: “Mon Père est à l’oeuvre jusqu’à présent” (Jn 5:17). Le travail dure toujours; Dieu continue sans cesse son œuvre de création et de conservation; il donne la vie, l'action, le mouvement à tout être. Pénétrons-nous bien de ces sentiments-là qui font comprendre la dignité du travail, qui encouragent l'âme. Ce sera notre pensée de cette semaine.