Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Un avis général sur la rentrée

Chapitre du 10 octobre 1888

Nous ne suivrons pas aujourd'hui le cours régulier de l'explication du Directoire et des Constitutions. Je veux vous donner un avis général pour le commencement de cette année. Cet avis, je le base sur ces paroles de notre saint Fondateur. “Les Frères qui voudront prospérer et faire progrès en la voie de Notre-Seigneur, doivent au commencement de toutes leurs actions, tant intérieures qu'extérieures, demander sa grâce et offrir à sa divine bonté tout ce qu'ils feront de bien, se préparant ainsi à supporter toute la peine et mortification qui s'y rencontrera, avec paix et douceur d'esprit” (Dir., Art. III; p. 32).

C'est la traduction exacte du mot de saint Paul: “Au lieu de la joie qui lui était proposée, [Jésus] endura une croix dont il méprisa l’infamie” (He 12:2). Voilà la vie intérieure de Notre-Seigneur, le secret de toute sa vie, de toutes ses actions: il a préféré la croix à la joie qui lui est offerte. Prenons, nous aussi, cette année cette pensée-là, pénétrons-nous de cette parole, comprenons-la bien. Avant chaque action qui nous coûte parce qu'elle nous apporte de la fatigue, de la contrariété, parce qu'elle demande du travail et une application soutenue, ou parce qu'elle nous met en rapport avec un prochain qui ne nous plaît pas, c'est là la vraie pratique de la charité: il faut qu'il y ait du sacrifice, autrement ce ne serait plus la charité, il n'y aurait pas de mérite. Avant donc chaque action, en face de tout ce qu'elle nous coûte, il faut que nous nous proposions la joie, le contentement intérieur. Dans nos classes, dans nos travaux manuels, dans nos rapports avec le prochain, dans mille rencontres, nous avons à souffrir, allons de bon cœur à chaque chose qui nous est proposée. Recevons-la avec paix, avec une vraie et sincère joie intérieure. Faisons de même en chacune de nos actions.

Cette disposition de recevoir avec paix, avec joie, la peine qui nous arrive en chaque occurrence, a une influence immense sur notre caractère; elle nous dispose favorablement à toute chose, à toute personne. Quelque caractère difficile, quelque circonstance fâcheuse que nous rencontrions, nous sommes établis dans un état de paix, de sérénité très favorable à l'âme, nous devenons d'une grande édification pour le prochain. Du côté de Dieu, c'est un grand mérite que nous acquérons. Ces petites peines que l'on accepte sans murmure sont d'un grand profit. Que chaque chose donc, chaque personne, chaque contrariété nous trouve toujours dans des sentiments de joie et de paix intérieure.

C'était une vertu éminente de notre saint Fondateur. Elle fut pratiquée à la perfection par la bonne Mère Marie de Sales. Qu'est-ce qui a fait qu'elle a eu tant d'influence pendant sa vie et maintenant? C'est qu'elle renonçait à elle-même, c'est qu'elle aimait et qu'elle recevait comme très agréable ce qui n'était pas agréable du tout. Que ce soit la règle de toutes nos actions. Cela déterminera en nous assurément des vertus, cela amènera forcément une avance dans la perfection. C'est le moyen d'être très agréable aux autres, et d'être très agréable à Dieu, car ce n'est pas une des choses qui compte le moins, que de sacrifier ainsi notre volonté, nos dispositions naturelles, notre caractère. Ce seront là des actes d'autant plus agréables à Dieu qu'ils nous coûteront davantage. Non seulement nous acceptons la croix, mais nous allons au-devant, nous disons comme saint André: "Ô la bonne croix que j’ai si longtemps désirée” [O bona crux diu desiderata”], et nous avons dans le cœur cette disposition si excellente que l'Eglise loue dans saint André comme la plus belle qu'on puisse trouver au moment de la mort.

Ne l'oublions pas: nous sommes obligés non seulement de faire notre besogne, mais encore de la faire bien, d'accomplir les différents ministères qui nous sont confiés, non seulement d'une façon passable, mais encore dans le sens vers lequel nous tendons, et pour lequel Dieu nous donne sa grâce. Toutes les fois donc que nous avons quelque chose à endurer, mettons en avant notre cœur, disons: Deo gratias, et allons généreusement. La joie de notre âme adoucira l'amertume, nous facilitera l'acte et le rendra plus agréable aux yeux de Dieu. “Au lieu de la joie qui lui était proposée, [Jésus] endura une croix, dont il méprisa l’infamie” (He 12:2).  Gardons cette parole avec notre volonté, avec notre cœur. Qu'elle soit comme la base, la fondation de l'édifice spirituel de cette année.

Les saints ont tous marché plus ou moins dans cette voie, et ceux dont l'œuvre a été la plus durable, sont ceux qui y ont marché plus parfaitement, ceux qui s'en sont le plus rapprochés et qui se sont rapprochés en même temps davantage de Notre-Seigneur, qui se sont rendus plus conformes à son image. Car c'est comme cela qu'était Notre-Seigneur: il était de ce caractère-là. Apportons donc un grand respect à chaque volonté divine, une grande attention à chaque ordre ou permission de Dieu, acceptons, agréons tout ce qui nous arrive de fâcheux, non seulement parce que nous ne pouvons pas faire autrement, mais parce que Jésus “au lieu de la joie qui lui était proposée, endura une croix, dont il méprisa l’infamie” (He 12:2).

Je crois que si nous commencions ainsi notre année, nous pourrions poser des bases solides à l'efficacité de notre ministère quel qu'il soit. Que ce soit le ministère de la parole, celui de la classe ou celui du travail des mains, partout il y a la souffrance, partout le sacrifice. Nous nous en tiendrons là pour ce matin. Je voudrais bien appuyer toute votre année là-dessus: “Au lieu de la joie qui lui était proposée, [Jésus] endura une croix, dont il méprisa l’infamie” (He 12:2). Le cœur en avant, joyeux en toute chose, parce que partout nous trouvons le bon plaisir de Dieu, et que le prochain s'en ressente. Ce ne sera pas sans doute le prochain qui nous apportera cette joie-là mais notre bonne volonté.