Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La sainte messe

Chapitre du 2 mai 1888

“Pour célébrer dignement et fructueusement le très saint sacrifice de la Messe, les Pères , quelque temps avant la Messe, se recueilleront en eux-mêmes, et, avec grand sentiment de coeur, c’est-à-dire avec un coeur plein de vraie affection, ils feront les choses suivantes: Premièrement, ils descendront en esprit en l’abîme de leur néant, comme en leur vrai et propre lieu; et là, haussant soudain l’esprit à Dieu, feront de coeur, ou bien encore de bouche: 1° un acte de très profonde adoration à la très sainte Trinité et au Verbe incarné; 2° un acte d’amour envers ce même Dieu, avec une entière volonté; 3° un acte de contrition, avec humilité et confiance en la miséricorde divine; 4° un acte de satisfaction; 5° un acte d’oblation, ou offrande, rendant leur intention droite” (Dir., Art. IV; p. 42-43).

Cette première prière se traduira nécessairement dans le Coutumier par une formule de prières vocales, qui remettra facilement en l'esprit ces actes prescrits par notre saint Fondateur. Ces actes sont surexcellents. Il faut aimer à les faire, dans la préparation à la sainte messe, parce que ce sont des actes que nous faisons avec toute la communauté. C'est un hommage rendu à notre saint Fondateur, qui nous prescrit cette pratique qu'il faisait lui-même. Il est inutile de s'étendre longuement sur chacun de ces actes.

“Secondement, ils détermineront pour qui ils veulent offrir la messe, et pour quelles personnes ou nécessités ils veulent prier, et les recommanderont à Dieu” (Dir., Art IV; p. 44).

Le formulaire donc que vous aurez entre les mains vous sera un mémorial de ces pensées. C'est un moyen bien puissant de mettre son âme en la disposition que veut notre saint Fondateur. Ce formulaire ne sera pas quelque chose de facultatif, comme les différents livres de prières que nous avons entre les mains, ce sera une partie de nos obligations. Croyez-le bien, c'est bien avantageux pour nous de nous soumettre ainsi. Voici une formule par exemple que nous récitons, non pas machinalement, mais pieusement, attentivement. Nous puisons là une grande doctrine et une grande lumière. Le prêtre n'est pas un perroquet. Quand nous débitons une instruction apprise par cœur, nous faisons comme les perroquets, nous ne touchons pas, nous n'aboutissons à rien. Mais quand ce que nous disons est tiré de nous-mêmes, de notre propre fonds, que c'est nôtre, alors cela a du sentiment, c'est vivant et pratique, c'est nous, ou plutôt c'est Dieu avec nous. C'est pourquoi il faut attacher une grande importance aux formules données par l'obéissance et qui produiront en vous tout ce que je viens de dire. Cette préparation faite.

“... ils pourront ajouter l'oraison, qui est pleine de plusieurs sentiments de dévotion qui sont très beaux et d'actes très onctueux et très méritoires de Thomas à Kempis dans l’Imitation de Jésus Christ (liv. iv, c. ix); après cette oraison ils ajouteront cette autre, qui porte une indulgence de cinquante ans, concédée par le Pape Grégoire XIII: Ego volo celebrare missam ...” (Dir., Art. IV; p. 49-50).
Je veux dire encore un mot sur les formules. Il faut faire non seulement notre éducation, mais notre instruction avec toutes ces formules dont la récitation revient à tout instant. Il faut y puiser notre doctrine, notre fonds. Si nous en méditons bien le sens, notre intelligence s'éclairera et quand nous aurons à parler, nous parlerons comme cela. Quand nous aurons à exhorter, nous exhorterons dans ce sens-là. Nous aurons là, toujours en réserve, quelque chose de puisé d’un “bon trésor” (Mt 12:35), quelque chose tiré de notre cœur, comme dit la sainte Ecriture. Notre parole, notre cœur, notre personne agiront. Il ne faut jamais que notre prière soit sans une certaine étude affectueuse. En disant la messe, le bréviaire, si une chose nous frappe, il faut la retenir, en faire notre fonds. Ce sera le fonds le plus riche et le plus original. Ne cherchez pas tant dans les livres et ne dites de ce que vous avez trouvé dans les livres que ce que vous vous êtes incorporé à vous-mêmes. Cette théologie se fait tous les jours: on est attentif à ce qu'on récite, on recueille les lumières, les enseignements qui nous viennent. De la sorte tous les Oblats se ressemblent dans la conduite des âmes, dans la doctrine. Ils ne seront pas entraînés à tel ou tel vent de doctrine, ils ne seront pas dans l'incertitude, mais ils seront bien dans le sens et la voie de notre saint Fondateur.

“Après les oraisons susdites, ils se recommanderont encore à la bienheureuse Vierge, récitant quelques-unes des belles hymnes ou oraisons qui sont composées en son honneur. Ensuite, ils se recommanderont de la même manière à tous les anges et à tous les saints du ciel, principalement à ceux à qui ils ont une dévotion particulière, les priant qu’ils les aident à offrir un si grand sacrifice à Dieu” (Dir. Art. IV; p. 50-51).

Je vais faire ici une petite querelle à notre saint Fondateur. C'était un bien brave homme, mais il se chargeait et se surchargeait tant qu'il s'est usé la tête: il est mort d'une congestion cérébrale. C'est pour vous dire que ceux qui ne peuvent pas faire absolument toutes ces pratiques et ces prières multipliées avant la sainte messe, n'y sont pas strictement obligés. C'est bien du reste la pensée de notre saint Fondateur qui, à propos du Directoire, accorde qu'au bout d'un certain temps, on peut convertir en unité la multiplicité des actes. Mais toujours est-il que dans les commencements il est bon de tenir son esprit assujetti. Mais ce n'est pas une obligation rigoureuse toujours pour toutes ces prières de la messe. Que chacun fasse comme il pourra, selon la capacité de son esprit. Si l'on est bien uni au bon Dieu, au lieu par exemple de dire l'hymne à la sainte Vierge en entier, on peut très bien n'en dire que quelques vers. Un grand festin est là préparé par notre saint Fondateur; ceux qui ne peuvent pas manger de tout doivent prendre ce qui leur convient le mieux.

“Ayant dit ces oraisons ou d'autres semblables, ils s'en iront à l’église, à la compagnie de leur ange gardien, invoquant son assistance; et ils pourront réciter le long du chemin le Miserere, pour la rémission de leurs péchés” (Dir., Art IV; p. 51).

Toutes ces formules-là seront rédigées dans le Coutumier et on prendra là surtout au point de vue de la doctrine, de la lumière pour les instructions, pour les applications à faire à nous-mêmes et aux fidèles. Il faut que la substance que nous prenons pour nous, nous puissions la reverser dans les âmes. La prière n'est plus une simple prière, c'est comme une étude; c'est plus qu'une étude, c'est —  je voudrais que le mot fût français — une unification, une identification, une incorporation avec la matière de la formule que nous faisons nôtre et que nous donnons.

“Etant entrés dans l'église, si le saint sacrement y est conservé, ils iront l’adorer, disant trois fois Pater et Ave. Le premier sera à la divinité, le second à l’âme très sainte de Jésus-Christ, et le troisième au sacré corps de Notre-Seigneur présent sur l’autel; ou bien ils réciteront une oraison à l’honneur de sa très sainte passion” (Dir., Art. IV; p. 53).

Ces pensées de notre saint Fondateur sont extrêmement belles et théologiques. Il y a là de quoi produire de saintes affections et recevoir de grandes lumières. Quand on confesse après la messe, qu'on a une instruction à faire, on retrouve cela. C'est l'abeille qui cueille le miel sur les fleurs et qui le rend intact après l'avoir fait sien. Il ne faut pas être des routiniers, des machines à marmotter des prières. Tout ce que vous faites, vos prières surtout, faites-les avec cœur, avec intelligence, avec étude, pour en recevoir non seulement l'onction, mais la lumière pour vous et pour les autres. Les prières des saints passant par votre cœur et vos lèvres auront cet effet-là.

Je me résume donc. Toutes ces formules seront contenues dans le Coutumier que nous aurons d'ici à quelque temps. C'est une grosse chose à faire. Le Coutumier ne peut pas venir avant les coutumes. Nous nous attacherons à ces formules, mais sans nous en donner d'indigestion; nous en userons dans la mesure du temps, de la force, de l'intelligence que Dieu nous donne, et nous y trouverons deux choses, l'onction et la direction: l'onction pour nous, la direction pour les autres. Nous serons religieux non seulement pour nous mais pour le prochain et la sainte Eglise. Tout ce qui vient de saint François de Sales cache, sous une simplicité apparente, une doctrine très profonde. Il faut faire de cela notre fonds. De la sorte nous nous ressemblerons tous et nous ressemblerons tous à notre saint Fondateur et, selon la parole de la bonne Mère, “on verra le Sauveur marcher sur la terre”.