Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

De dresser son intention ès exercices

Chapitre du 28 mars 1888

“Les Frères qui voudront prospérer, et faire progrès en la voie de Notre-Seigneur, doivent au commencement de toutes leurs actions, tant intérieures qu’extérieures, demander sa grâce, et offrir à sa divine bonté tout ce qu’ils feront de bien, se préparant ainsi à supporter toute la peine et mortification qui s’y rencontrera, avec paix et douceur d’esprit, comme provenante de la main paternelle de notre bon Dieu et Sauveur, duquel la très sainte intention est de les faire mériter par tels moyens, pour par après les récompenser de l’abondance de son amour” (Dir., Art. III; p. 32).

La direction d'intention, cela paraît simplement un exercice pieux, comme tous les autres exercices de dévotion. Ne vous y trompez pas, il y a une raison théologique très profonde dans ce document de notre saint Fondateur. La direction d'intention a pour but, non pas de nous faire faire un exercice de dévotion, une pratique de piété quelconque, mais de prendre toute notre vie et de la lier à Dieu, de la dévouer à Dieu. C'est une pensée très grande.

Sans doute les différents Fondateurs d'ordres, les maîtres de la vie spirituelle ont donné chacun des moyens pour arriver à Dieu, mais, je puis bien le dire, aucun n'en a donné de si profondément théologiques. La direction d'intention pratiquée fidèlement amène nécessairement une vie toute d'union avec Dieu, et c'est là, on peut le dire, l'enseignement le plus foncier des Saintes Ecritures et du Nouveau Testament. La doctrine la plus enseignée dans ces livres, celle qu'on retrouve à chaque pas, n'est-ce pas cet enseignement de vivre avec Dieu, non seulement dans la dépendance de la créature, mais plutôt dans la compagnie de Dieu, dans son intimité. Dieu dit à Abraham de marcher devant lui. Quand il reçoit les visites de Dieu, c'est dans sa tente, à son foyer, dans son intimité. Dieu est avec lui, lui parle, le conseille, le dirige. Dans son sacrifice, c'est Dieu qui commande et qui intervient. Abraham est le père de la foi et le père de la pratique religieuse chez les Hébreux, le modèle à suivre; et sa vie était toute unie  à Dieu.

Voyez Moïse: il marche devant Dieu lui aussi. Il reçoit de Dieu lui-même ses ordres; il fait ses travaux, sa législation avec Dieu. Il est avec Dieu dans sa mort même et, selon l'expression des Ecritures, Dieu alors appuie ses lèvres sur les lèvres de Moïse et retire à lui son âme. Les prophètes, les enfants des prophètes, les Réchabites vivent avec Dieu. Les Réchabites étaient presque comme des religieux sans pourtant faire de vœux et avoir positivement les pratiques religieuses. Ils voyaient Dieu sans cesse et en toutes choses; ils marchaient sans cesse en sa présence; il était leur exemplaire et ils le suivaient en tout. Voyez les Macchabées, voyez les livres sapientiaux, les psaumes. A tous les versets du psaume “Beati immaculati” (Ps 119) que l'Eglise nous fait réciter tous les jours, on répète deux fois les commandements, les ordres, la parole de Dieu. Plus tard sans doute viendront les dévotions et le monde et l'Eglise cultiveront ces dévotions, parce qu'elles sont nécessaires pour nous distraire des préoccupations journalières, parce qu'elles fatiguent moins que la pensée continuelle de Dieu. La direction d'intention ne sera pas pour nous une dévotion, un acte passager, mais ce sera quelque chose de constant, de perpétuel, qui prendra notre esprit tout entier. Ce sera pour nous le résumé de tous ces enseignements de la Sainte Ecriture. Et toute la Sainte Ecriture est donc renfermée dans ces quelques lignes du Directoire. La chose paraît simple, encore fallait-il que l’Esprit-Saint l'inspirât.

Voilà pourquoi saint François de Sales a été proclamé Docteur de l'Eglise. Sa doctrine est essentiellement la doctrine de Notre-Seigneur. Avec lui nous vivons au milieu de la famille de Notre-Seigneur, au milieu de ses Apôtres, partageant ses travaux, ses souffrances, sa nourriture. Il est pour nous l'Emmanuel, le Dieu avec nous, le Dieu toujours présent. C'est une doctrine qui m'a bien frappé dès ma première année de théologie. Un de mes professeurs me dit: “Voyez la doctrine de Saint François de Sales comme c'est une doctrine de la théologie la plus parfaite. L'Incarnation, c'est Dieu fait homme, mais il n'y a pas qu'un seul homme, l'Homme-Dieu qui soit destiné à s'unir à la divinité. Dans le plan divin, non seulement la Divinité s'unit à un homme particulier pour former l'Homme-Dieu, mais elle désire faire l'Incarnation pour tous. Elle veut communiquer avec toute l'humanité et s'incarner en tous, non pas sans doute hypostatiquement, bien que d'une façon efficace néanmoins, en tous ceux qui le voudront et le pourront faire”.

Notre direction d'intention mise en pratique est comme l'Incarnation de Dieu en nous. Notre-Seigneur est Dieu et il vit avec nous, il agit avec nous. Tous nous devons arriver à cet état d'union à Dieu, qui plus, qui moins. Si nous sommes fidèles à cette pratique, l'état dans lequel elle nous constituera sera très sanctifiant pour notre âme et nous rapprochera extrêmement du bon Dieu. Nous ferons alors sûrement ce que le bon Dieu a voulu de nous de toute éternité. Ayons donc en grande estime la direction d'intention; envisageons-la à son vrai point de vue. Ce n'est pas, encore une fois, une dévotion. C'est un état qui nous fait participer en un sens à l'Incarnation, à toutes les grâces de l'Incarnation, qui fait que le Sauveur vient à nous, non pas par accident, non pas par un moyen indéterminé, non pas rarement et en passant, mais c'est une suite de vie, d'existence qui fait que Dieu se réalise pour ainsi dire et s'établit à demeure en nous. C'est là notre doctrine, notre fonds. C'est là tout pour nous, tout absolument. Le bon Dieu vous en donne à tous l'intelligence assurément, il faut vous en souvenir et le pratiquer. Faites bien exactement votre direction d'intention. Arrivez-en là.

C'est un grand fait dans la vie spirituelle, et c'est aussi un grand fait dans la vie naturelle: tous les grands événements du dehors arrivent toujours par des causes spirituelles, en dehors de la matière et du monde physique. Qu'est-ce qui donne l'efficacité, qu'est-ce qui est réellement effectif? La voix de Dieu. C'est donc par ce moyen-là, en nous unissant à Dieu par la direction d'intention, que nous réaliserons quelque chose; et nous réaliserons beaucoup. Voyez donc la grande estime que nous devons faire de la direction d'intention. Ce chapitre-là est la quintessence de la doctrine et de l'esprit des Saintes Ecritures, depuis le “Au commencement” du livre de la Genèse (1:1) jusqu’au “Amen, viens Seigneur Jésus” (Ap 22:20) qui termine l'Apocalypse. Tout est là. C'est la substance. Ayons donc ce moyen en souveraine estime.

“Et qu'ils ne négligent point ceci ès choses petites et qui leur semblent de petite importance; voire même si on les emploie à des choses qui leur soient du tout agréables, et conformes à leur volonté et nécessité, comme de boire, manger, se reposer, et recréer, et choses semblables; afin que suivant le conseil de l’Apôtre tout ce qu’ils feront soit fait au nom de Dieu et pour son seul plaisir” (Dir., Art. III; p. 33).

Laissons-nous bien pétrir, transformer par cette vie d'union avec Dieu. Tenons-y de toutes les forces de notre âme. Soyons bien vigilants à nous rappeler ce moyen qui nous fait mettre les pieds dans la trace des pas du Sauveur, qui nous fait marcher comme Abraham devant Dieu dans la voie de la perfection, qui nous donne l'esprit de Dieu comme l'ont reçu les prophètes, l'inspiration céleste comme l'ont eue les Apôtres et les Evangélistes. Je le répète,  c'est la substance toute entière de la religion. La preuve en est que les âmes qui font cela arrivent là où Dieu les veut.

Je recommande bien aux prières de la communauté nos Pères qui sont au Cap et ceux de Rio-Bamba. Aujourd'hui je n'ai guère le temps de vous lire leurs lettres: les nouvelles sont bien encourageantes. Priez que Dieu nous envoie des ouvriers: on en a besoin là. Nos Pères qui sont là sont bien édifiants et bien bons. Comment opèrent-ils tant de bien? Par le moyen que nous venons de dire.

Sans doute tous ceux qui parlent trouvent qu'ils parlent mieux que personne; ceux qui travaillent, travaillent mieux que personne. Il faut que ce soit ainsi, pour que chacun soit bien encouragé dans sa tâche. Il est certain néanmoins que quand on voit des fruits comme ceux qui sont produits dans nos missions, on est bien encouragé à continuer. Au Cap, qu'est-ce qui produit tous ces résultats? La fidélité de nos Pères à leur direction d'intention. À Rio-Bamba, d'après ce que m'écrit le Père David, d'après aussi les relations que j'ai lues sur ce pays, c'est bien cet esprit-là qui convient là. Je viens de faire la petite retraite des œuvres, 250 à 300 jeunes filles l'ont suivie. Je vous assure qu'il y a eu là des preuves palpables du bon Dieu. Cette voie-là est bonne et fructueuse. Toutes ces jeunes filles qui ne sont pas appelées à être religieuses, mais à vivre dans le monde, sentaient le besoin d'être à Dieu, de se rapprocher de Dieu; elles ne venaient pas seulement pour purifier leur conscience, mais poussées par ce besoin d'union, ce désir d'avoir Dieu avec elles, Emmanuel. C'est là le vrai, comme disait la bonne Mère, c'est le fonds, le tout. D'autres choses sont bonnes. S'il y en a une, c'est bon; s'il y en a deux, c'est meilleur, mais là nous avons tout. Donc, pratiquons bien notre direction d'intention, soyons bien fidèles à notre petit livre.

On va vous remettre les Constitutions imprimées. Vous les garderez bien soigneusement. On peut encore montrer son Directoire à ceux qui en témoignent le désir, mais il ne faut communiquer les Constitutions à personne d'étranger sans la permission du supérieur général.