Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La paix en toutes les circonstances avec tous

Chapitre du 21 mars 1888

Aujourd'hui, je reviens à une pensée dont je suis très occupé. Ce sont les paroles que m'a dites Léon XIII dans sa dernière audience. Il a insisté si fortement et si vivement sur la paix, sur l'obligation où nous sommes de procurer la paix. Les fruits que nous retirerons de la paix, et que Dieu y a attachés sont si nombreux que nous reviendrons encore sur cette recommandation du Saint-Père et que nous dirons encore un mot de la paix. Nous nous efforcerons de maintenir la paix en toutes circonstances et avec tous. La paix d'abord avec nous-mêmes, avec notre conscience. Nous ne garderons rien qui puisse nous troubler, nous avouerons toutes nos fautes, cela va sans dire. Mais, dans nos troubles, nos inquiétudes, nous ouvrirons bien notre âme à notre Maître des novices, à notre confesseur, afin de vivre toujours bien en paix avec nous-mêmes. C'est la condition première de la paix. Quand on n'est pas en paix avec le dehors, c’est bien souvent qu'on n'a pas commencé de l'être au-dedans de soi-même. Quand on n'est pas bien équilibré, quand on n'est pas bien à la place où Dieu nous voudrait, c'est le trouble au-dedans et on éprouve le besoin de traduire ce trouble au-dehors.

La paix ensuite avec notre Directoire, avec nos Règles et Constitutions. Ne cherchons pas querelle à notre Règle. Soyons-lui fidèles, et à tout ce que nous avons promis, à nos vœux, à la pauvreté, à la chasteté, à l'obéissance. Quelquefois on ne se trouve pas bien dans le sens de la pauvreté: c'est très grave. Nous sommes obligés à la pratique de nos vœux sous peine de péché grave. Lisez les théologiens à ce sujet. Il y en a quelques-uns qui disent là-dessus des choses extraordinaires, quelquefois graves. Les plus modérés eux-mêmes, les plus mitigés disent là-dessus des choses capables d'effrayer. On ne se tire de la pratique de la pauvreté qu'au moyen de l'obéissance: en dehors de là c'est une chose extrêmement difficile. Faites bien attention à cela, confessez-vous bien des moindres manquements à ce sujet. Encore une fois, ne vous mettez pas en guerre avec votre Directoire et vos obligations religieuses. Et qu'on ne regarde pas les vœux comme peu de chose. Tel religieux aujourd'hui manque à ses vœux, demain il violera les commandements de l'Eglise, après demain les commandements de Dieu et il descend droit vers la damnation. Cela même constitue un état de réprobation. Nous comprendrons cela si nous avons un peu étudié 1a théologie dans les livres ou dans les âmes. La paix avec tous ceux qui nous entourent, car c'est bien dans la volonté de notre Saint-Père le Pape, organe de Notre-Seigneur. La paix avec nos confrères, avec tous nos Pères, avec tous ceux avec qui nous sommes en rapports habituels. Faisons bien tous les sacrifices qu'il nous sera possible de faire, tous les sacrifices imaginables. Saint François de Sales, dans sa théologie si sûre et pratique, affirmait que la pratique de la charité suffisait pour remplacer les vœux religieux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Il aurait voulu fonder une communauté n'ayant d'autres liens que celui de la charité, car ce lien est plus fort que la mort et plus dur que l'enfer, rien ne peut le rompre. C'est donc le lien le meilleur qui puisse unir les âmes. Pour resserrer ce lien, faisons tous les sacrifices possibles. “La paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, prendra sous sa garde vos coeurs et vos pensées” (Ph 4:7).

La paix envers les obéissances données par les supérieurs: soumettez-vous, abandonnez-vous, délaissez-vous vous-mêmes. Que votre cœur et votre intelligence n'aillent pas à l'encontre mais qu'elle se soumette à ce grand et indiscutable principe que les supérieurs peuvent se tromper en vous commandant , mais que vous, vous ne vous trompez jamais en obéissant. La paix avec vos supérieurs, avec leurs ordres, paix affectueuse qui vous portera à toujours obéir généreusement.

La paix avec vos élèves:  Il faut bien comprendre cette paix, il faut demander à Dieu sa lumière pour bien juger en cela. Dieu est tout-puissant, comment se fait-il donc que tout le monde ne soit pas parfait? Dieu n'a pas donné la grâce de la perfection à tout le monde et il ne la demande pas non plus à tous. Et si nous demandons aux autres d'être parfaits, nous sommes injustes. Il ne faut pas demander 100.000 francs à qui n'a que 100 sous dans sa poche. Ayez assez de jugement pour ne demander que ce que chacun peut donner et suppléez au reste par la charité, par la bonté. Soyez ainsi avec les élèves: vous ne manquerez pas pour cela de fermeté. Que toute votre conduite soit ainsi en esprit de paix, de conciliation, soyez désireux de suppléer à tout ce qui manque.

La paix avec les autres Congrégations, avec les personnes religieuses: sachons faire tous les sacrifices possibles pour conserver la paix. Il peut y avoir sans doute des sujets de plainte. Quelque légitimes qu'elles vous paraissent, évitez-les avec grand soin. Je ne veux pas condamner absolument certaines plaisanteries innocentes, mais il faut prendre bien garde qu'on ne dise jamais que les Oblats sont contre ceux-ci ou ceux-là. C'est la pensée du Saint-Père. Ne disons jamais de mal de personne, ni des Jésuites, ni des Dominicains ni des autres. Chacun peut avoir ses petits différends, gardons-les. Ne contredisons pas l'ordre formel de notre Saint-Père le Pape. Ce sera une petite mortification, mais cette mortification posera honorablement celui qui aura le courage de la faire et de faire régner autour de lui la paix. Nous nous examinerons tous sur ces points, les uns et les autres; nous verrons si nous sommes bien en paix avec Dieu, avec notre conscience, avec notre Directoire, nos Constitutions, nos vœux, nos confrères, nos élèves, les personnes dont nous avons la charge.

Je reviens aux élèves. Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas les gronder, pas les mettre en pénitence. Faites tout cela, mais dans la paix. N'agissez pas par vindicte personnelle. Ayez assez de jugement pour ne pas demander plus que l'enfant ne peut donner. Education vient de édifier, et l'on édifie pierre par pierre. Soyez donc bien en paix avec tout le monde, avec toutes les personnes avec lesquelles vous communiquez. Ne dites pas de mal de celui-ci, de celui-là, de telle ou telle congrégation, cela transpire et cela devient des semences de haine et d'éloignement. En disant cela, j'accomplis la mission que m'a donnée notre Saint Père le Pape. Je prêche la paix, je veux être “l'homme de la paix”.

Je vous recommande de bien prier pour le cardinal Czacki. C'était un de nos grands protecteurs, et il a toujours été bien bon pour nous. Il aimait nos œuvres. Il nous a donné beaucoup de conseils pour nos collèges, nos Œuvres de Jeunesse. C'est lui qui nous a poussés à former des ouvriers pour nos collèges, à réaliser l'idéal des anciennes abbayes où tout se faisait dans la maison et par les habitants de la maison. Il nous a encore donné beaucoup d'autres idées que nous avons rapportées des longues conférences que nous avons eues avec lui, le Père Deshairs et moi. Nous le prierons qu'il nous continue sa protection maintenant qu'il est auprès de Dieu.

Nous prierons aussi pour Mgr Fiala, évêque de Bâle, qui est très malade. Il a toujours été très dévoué à la cause de la bonne Mère. Il nous a témoigné plusieurs fois beaucoup de bienveillance, surtout au moment du Congrès eucharistique de Fribourg. C'est 1'évêque de la canonisation. C'est aussi l'anniversaire de la mort du Père de Bellaing. Sa mère m'a écrit pour le recommander aux prières de la communauté. Elle désire que nous priions non seulement pour lui, mais encore pour toute sa famille, qui se regarde, dit-elle, comme faisant un peu partie de notre Congrégation depuis qu'elle a eu un fils qui a eu le bonheur de mourir Oblat de saint François de Sales.