Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Obéissance, charité, déférence

Chapitre du 7 octobre 1886

Je demande que nous priions tous pour le repos de l'âme de la bonne Mère. C’est aujourd'hui l’anniversaire de sa mort [7 octobre 1875]. En disant la sainte Messe, en faisant la sainte communion, nous prierons pour elle et nous l'invoquerons bien surtout au commencement de cette année, afin que tout aille bien. Je vous recommande une grande obéissance à tout ce que je vous dirai, à ce que dira le Père Gilbert, le Père Rolland, le Père Rollin, l'économe. Que tout soit dans l'ordre. Quand tout est dans l'ordre, Dieu est là. Que chacun fasse sa soumission de goût, de jugement, d'inclination. J'ai expliqué ce qu’il fallait entendre par la soumission du jugement. Accomplissons notre vœu d’obéissance, en soumettant notre jugement à l'obéissance, en obéissant malgré notre jugement. Voilà l’accomplissement du vœu, l'essentiel. Le parfait serait d'aller plus loin, de pratiquer, non seulement le vœu, mais la vertu d’obéissance, en soumettant non seulement l'obéissance du jugement. mais le jugement intime lui-même, en disant: “Je n'y connais rien, mes supérieurs comprennent et pensent mieux que moi”. Cette perfection de l'obéissance du jugement n'est pas exigée pour l'accomplissement du vœu d'obéissance. Agissons d'une manière simple, franche, cordiale avec ceux qui sont avec nous: qu’ils puissent trouver Dieu en nous, trouver quelque chose de sa bonté, de son onction. Nous devons représenter Dieu sur la terre.

Pour nous faciliter la pratique de ces deux grands devoirs, l’obéissance et la charité, pour que nous commencions bien cette année, nous ferons notre oraison là-dessus, nous nous prémunirons contre les tentations, contre les retours du jugement propre, afin qu’au moment de la tentation surviennent la grâce et le secours de Dieu, et qu’ils ne nous manquent pas au temps opportun.

Ayez un grand zèle dans vos emplois. Il faut faire passionnément les emplois, disait saint François de Sales. Mettons-nous-y de tout notre cœur. Les gens qui n'ont point de cœur ou qui n'ont qu'un demi cœur, à quoi sont-ils bons? demande notre saint Fondateur.

Appelez Notre-Seigneur dans votre oraison. Voyez-le au jardin des Olives, voyez-le couronné d'épines, demandez-lui de donner à Dieu votre volonté comme il lui a donné la sienne. Aidez-vous beaucoup de l'oraison, et aussi, si c'est nécessaire, de la visite au Saint-Sacrement. Comprenez bien ces choses. Ce sont les éléments de toute théologie: les choses ne valent que ce qu'elles coûtent. Dieu peut y mettre sans doute une petite satisfaction, un petit soulagement. C'est bien, mais l’important c'est de pâtir, c'est d'endurer. En faisant cela, on fait quelque chose. Regardez le maçon, le tailleur de pierres qui construit une cathédrale. Il a plus de mal quand il soulève de grosses pierres, ses machines crient plus fort que s'il l'édifiait avec des bottes de paille, mais aussi elle est plus durable.

Acceptons bien dans la direction d'intention la peine et la souffrance qui nous attendent en chacune de nos actions. Que ce soit là le fonds de notre doctrine. Qu'est-ce que j'ai à souffrir dans cette action? Je l'accepte. Il ne faut pas chercher à limer les angles, il faut les accepter, c'est Dieu avec nous. Chacun dans son emploi a de la peine, du travail, de la souffrance, quelque chose de bien malaisé à faire. Ne luttez pas contre le courant du fleuve, vous stériliseriez vos efforts, vous perdriez vos forces. Acceptez toutes ces peines, d'autant plus que vous n'avez pas de mortifications corporelles, que la Règle n'a pas de rigueur, d'amertume. Laissez le bon Dieu semer la rigueur sur votre chemin, agréez cela, comme dit le Directoire.

Comprenez bien cela. Tout le monde n'a pas seulement les difficultés générales, communes: préparer sa classe, travailler. Chacun a ses difficultés spéciales, personnelles: supporter tel ou tel élève, la température chaude ou froide, tout ce qui nous gêne, tout ce qui contrarie notre nature et lui est opposé. Dieu l'a voulu ainsi; il l'a voulu parce que la souffrance est quelque chose de bon et de très bon. Il est impossible que le sacrifice du religieux ne produise pas, quand il est offert pour quelqu'un, une très grande abondance de grâces en celui qui souffre et en ceux pour lesquels il souffre.

Affectionnons-nous aux âmes, mais surnaturellement. Si nous nous attachions naturellement, ce serait mal. Il faut fuir avec grand soin les attaches sensibles, surtout quand elles peuvent facilement devenir sensuelles: “Que leurs noms ne soient pas même prononcés parmi vous” (Ep 5:3). La souffrance est un moyen extrêmement efficace de nous sanctifier nous-mêmes et de sanctifier les autres. Il faut donc être des déterminés dans la souffrance, comme disait la bonne Mère. C'est du reste la parole de Notre-Seigneur: “Le Royaume des Cieux souffre violence” (Mt 11:12). Il faut faire violence à nos goûts, à nos inclinations. Restons bien dans ces pensées, dans ces sentiments.

Je me répète. Que tout le monde retienne bien: l'obéissance d'abord. Nous ne sommes pas obligés à la perfection de la vertu, mais nous devons pratiquer le vœu, en soumettant notre jugement pour obéir, pour accomplir la Règle ou les ordres de nos supérieurs. Si cela nous parait absurde, tant mieux. Obéissance à la Règle, au supérieur, au directeur du collège, au maître des novices, à  l'inspecteur des études, à tous ceux qui ont autorité sur nous, de quelque nature que cette autorité soit.

En second lieu, la charité. Ayons une grande déférence les uns pour les autres. Qu’on sente que Notre-Seigneur est au milieu de nous: C’est à cela qu'il vous reconnaîtra pour ses disciples, si vous avez de la charité les uns pour les autres. Que chacun regarde son emploi comme une chose capitale, qu'il le possède bien, qu'il s'aide du secours d'en haut, quand il trouvera quelque chose de contraire à ses goûts. Soyons contents alors. Dieu fera notre œuvre. Si c'est plus dur, ce que nous ferons sera plus solide et demeurera plus longtemps. Le diamant est plus dur que le plâtre: voyez la différence de valeur. Prions la bonne Mère. Elle est au ciel, nous l'espérons bien, mais prions pour elle tout de même jusqu'à ce que l'Eglise ait définitivement prononcé.