Allocutions

      

Nous sommes à nous-mêmes notre communauté

Allocution du 21 novembre 1901 à Saint-Bernard
pour la fête de la Présentation

Mes chers amis, nous allons renouveler nos vœux. Qu'est-ce que nos vœux? Si, à l'heure qu'il est, nous nous trouvions sur notre lit de mort, et que Dieu nous demandât: “Veilleur, où en est la nuit? Veilleur, où en est la nuit?” (Is 21:11), qu'aurions-nous à répondre? Cette nuit, n'en sommes-nous pas la cause? Les ténèbres qui environnent notre intelligence et notre cœur, ne viennent-elles pas du voile que nous étendons devant nos yeux? Question bien sérieuse, assurément. Sans doute, nous ne devons pas marcher par la voie de la terreur, voir en Dieu un juge inexorable, mais pourtant Dieu est juste. Ce qu'il fait pour nous, c'est sa volonté absolue, impliable. Qu'il vienne voir dans notre caisse ce qu'il y a, comment nous avons dispensé ses sacrements, les grâces de chaque instant qu'il prodigue aux âmes religieuses, et surtout aux Oblats de saint François de Sales. Voilà, mes amis, un compte à régler: il est temps d'y penser. Nous sommes sur un chemin glissant, oui, mais il n'en est pas moins vrai que qui tombe, tombe pour son propre compte. Il nous faut donc renouveler nos vœux en reconnaissant bien nos obligations, et en prenant la résolution de les remplir.

Avant de vous adresser la parole, j'ai voulu prendre mon inspiration dans la sainte Ecriture. J'ouvre la Concordance à l'article “vœu”, et je vois une suite de textes qui tous insistent avec énergie sur la gravité des engagements pris vis-à-vis de Dieu, et profèrent des menaces terribles contre les prévaricateurs. Dieu ne vous contraint pas à prendre ces engagements, mais une fois pris, ils deviennent des lois rigoureuses. Parmi les hommes, un contrat est quelque chose de sacré, autrement il n'y aurait plus de société possible. Quand Dieu lui-même est en cause, c'est bien plus strict encore. Réfléchissez à cela et ne nous en allons pas devant le bon Dieu avec un dossier surchargé, avec un fardeau mal équilibré. Que chacun descende dans sa conscience et regarde devant Dieu, se rappelle ce qu'il lui a promis. En se donnant à lui, personne n'avait l'intention de faire des promesses illusoires, de se moquer de Dieu. Je sais bien que, par le temps qui court, les hommes ne se regardent plus guère comme obligés par leurs serments, les uns vis-à-vis des autres. Mais ici, c'est vis-à-vis de Dieu.

Vous me direz: “C'est juste. Mais les circonstances difficiles, l'état de la communauté, l'exemple du voisinage, le défaut de direction rendent la régularité difficile”. J'admets tout cela, mais tout cela ne diminue en rien les obligations religieuses de chaque Oblat de saint François de Sales. Nos Constitutions en effet ne ressemblent pas tout à fait à celles des autres. Chez les Bénédictins, le moine cesse d’être un moine si le monastère cesse d’être un monastère — déficit locus, déficit monachus. Chez nous, les obligations sont personnelles. Ce que nous avons promis à Dieu nous lie étroitement, et c'est le Directoire qui nous trace le chemin. Que vous soyez marchand, prédicateur, soldat ou mécanicien, que vous habitiez une communauté fervente ou que vous viviez au milieu du monde, n'importe. Votre communauté c'est vous. Votre devoir est absolument personnel. Tout ce que vous avez promis à Dieu, vous devez l'observer suivant vos Constitutions. Notre force n'est pas dans la multitude, notre puissance n'est pas dans la réunion des forces, elle est en nous, elle est toute personnelle.

Voilà donc à quoi nous amènent nos vœux: nous sommes, à nous-­même, notre communauté, notre puissance, notre armée. Est-ce dire que nous ne nous entendons pas, que nous n'aurons pas d'harmonie dans l'observance, dans nos œuvres ? Oh! non, au contraire, plus nous sommes réguliers au dedans, plus nous nous entendons, puisque nous avons alors le même souffle la même respiration. Il ne s'agit donc pas de promesses illusoires. Ne vous contentez pas d'à-peu-près; n'apportez pas au bon Dieu de vase brisé, chose qu'il défendait dans sa loi, pas de victime incomplète. Il aime mieux ne rien recevoir que d'avoir devant lui une offrande souillée, un pain de proposition maculé ou entamé.

Je vous parle à bâtons rompus, mes amis. Mais je ne m'adresse pas à votre esprit, je m'adresse à votre conscience. Formez donc tous une grande et généreuse résolution de donner à Dieu ce qu'il vous demande. Ne ressemblez pas aux fils de ce prêtre infidèle qui gardaient pour eux le meilleur des victimes et donnaient à Dieu le reste. Est-ce difficile ? Non, si vous mettez dans votre cœur un peu d'amour propre, ou plutôt un peu d'amour de Dieu, un peu de cette virilité qui dit: “Je l'ai promis, allons de l'avant”. D'ailleurs quelle excuse pourrions-nous apporter? “L'accomplissement de la règle est difficile”. Et moi je vous réponds: Si vous rencontrez un obstacle, votre fidélité vaut une fois plus que si tout allait bien. Si vous en rencontrez deux, elle vaut deux fois plus. Et puis, n'avons-nous pas notre volonté, la toute puissance sur notre être. Que la tentation violente diminue parfois la gravité de la chute, cela se peut, mais, encore une fois, il n'y a pas d'excuses acceptables.

Nous allons donc nous renouveler en Notre-Seigneur par la pratique du Directoire. Aidons-nous du secours victorieux de Dieu, puisque Notre-Seigneur reste avec nous jusqu'à la fin des siècles. Mais où le trouverons-nous? Dans l'Eucharistie, à la sainte messe. Pourquoi ne pas nous renouveler chaque jour, au saint sacrifice? Pourquoi ne pas y apporter à Dieu notre âme tout entière ? À l'autel, le prêtre ne fait qu'un avec le Sauveur. Il dit positivement: “Ceci est mon corps”. Eh bien! si là il n'y a pas de partage, qu'il n'y en ait pas non plus le reste de la journée. Pénétrez-vous de cette doctrine. Apportez à la messe vos difficultés, vos peines, vos ennuis, les plaies de votre cœur, vos incertitudes, vos faiblesses. Jetez tout dans la miséricorde du Sauveur. Il obéit, il est à vous en ce moment. Demandez-lui la décharge de votre âme, la délivrance de la tentation. Que la sainte messe soit bien le point de départ de la journée, le moment où vous vous réfugiez en Dieu. Et tout à l'heure en recevant la bénédiction du Saint Sacrement, promettez de bien dire la sainte messe.

C'était le grand moyen de saint François de Sales. “Mon Père”, lui demandait sainte de Chantal, “avez-vous des distractions à la messe?”—“Ma fille”, répondait-il, “Dieu m'a fait la grâce qu'une fois le visage tourné vers l'autel, je ne puis songer qu'à lui et aux intérêts de son saint amour”. Après la sainte messe, la pratique du Directoire. Les temps sont difficiles. Or remarquez comme la doctrine de saint François de Sales nous met à couvert des dangers. Nous restons avec nous-mêmes, nous sommes de solides religieux. Pas besoin de la protection du dehors. Nous portons Dieu en nous et nous nous servons de lui suivant les circonstances.
Renouvelons nos vœux avec le désir d'être entièrement à Dieu, de vivre avec lui, de passer chaque jour de cet exil dans sa société, de ne rien faire sans lui. Avec cela on est heureux, on gagne des âmes, on fait œuvre d'Oblat. À  Rome et partout on nous atteste que cette doctrine mène à la vie la plus parfaite, la plus adaptée aux besoins de l'heure actuelle et aux aspirations de tout le monde. Que le Sauveur mette en vos âmes ce qui vous est nécessaire pour cela. Alors notre rénovation sera complète, le bon Dieu versera sur vous ses bénédictions, et votre passage sur la terre ne sera pas inutile. Il nous conduira à la félicité que Dieu prépare à tous, mais surtout à ses serviteurs dévoués. Marchez donc dans cette voie, mes chers amis, et vous arriverez à la sanctification de vos vies, à la conquête des âmes et au paradis à la fin de vos jours. Amen.