Allocutions

      

Que celui qui se flatte d’être debout prenne garde de tomber et que le saint se sanctifie encore

Allocution du 31 décembre 1901
pour la profession du Père Sillen

Vous venez faire vos vœux en des circonstances toutes particulières. À l'heure qu'il est, en France, le monde s'agite, les fidèles s'inquiètent. Tout semble troublé, sans remède. Nulle part on ne voit de secours complet aux misères qui nous accablent. C'est un moment d'attente, celui dont parle saint Jean dans l'Apocalypse. Après avoir énuméré les époques successives de l'Eglise, il s'écrie, en voyant que rien ici-bas ne saurait détourner les calamités qui l'oppressent: “Amen, viens Seigneur Jésus” (Ap 22:20). Nous aussi nous n'avons que cela à faire, invoquer le secours du bon Dieu, puisque — la foi nous l'enseigne — la prière est efficace, toute puissante et que Dieu est déterminé à obéir à l'homme.

Que vous dirai-je, mon cher ami ? Faut-il vous encourager? Ce n'est pas nécessaire. Depuis longtemps une voix intime vous dit de vous faire enfant de saint François de Sales. Les prémices de votre ministère parmi nous vous ont déjà montré, par expérience, la puissance, la profonde influence de la doctrine de saint François de Sales bien comprise et mise en œuvre par notre Mère Marie de Sales. C'est quelque chose de complet, parce que cela vient positivement de Dieu, parce que c'est la quintessence de l'Evangile. À cette source nous puisons pour chaque âme, non pas un bien quelconque, mais son évangile à elle, ευαγγελιov, la bonne nouvelle qui l'éclaire, la console, l'amène à Dieu, comme la grâce providentielle qui conduisait Madeleine aux pieds du Sauveur, la Samaritaine au puits de Jacob, et l'apôtre bien-aimé auprès du divin Maître pour lui redire sa fidélité et en apprendre la parole de vie. Car le Verbe fait chair, en descendant parmi nous, a voulu partager entièrement notre vie: repas, joies, inquiétudes, misères même. Comme dit le prophète: Il a vécu du même pain, il a bu au même calice, doux ou amer.

C'est une grande affaire, celle-là. Pénétrez-vous-en bien, par la pratique surtout. On ne comprend à fond que ce que l'on fait journellement, le métier qu'on exerce, ce qui fait notre occupation continuelle. Ainsi, c'est en pratiquant notre vie que vous l'aimerez et que vous la ferez aimer aux âmes: en prêchant, en confessant, en remplissant toutes les charges de votre ministère apostolique, on sentira que vous êtes l'écho de la voix divine, que vous redites les paroles de la vie éternelle. Courage donc en votre vocation. Soyez l'homme d'oraison, l'homme du Directoire. Ne faites rien seul. L'œuvre de l'homme seul est stérile, mais si Dieu l'aide, elle est toute puissante, car il n'a jamais fixé de limites à notre action surnaturelle. Vivez de cette doctrine: qu'elle soit votre aliment. Respirez-la sans cesse, elle fait la joie de l'âme. Les anges, les saints prêtres s'enivrent à ce calice et le présentent aux âmes fidèles.

Oui, prenez courage. Sans doute elles sont grandes aujourd'hui les tribulations de l'Eglise, mais Dieu n'est-il pas pour nous ? Son cœur a-t-il cessé de battre? Jésus cesse-t-il de nous regarder? Oh! non. Au moment de la tempête, il se présente, et les yeux clairvoyants le reconnaissent bien: C’est le Seigneur! La bonne Mère vous aimera bien ainsi. Et nous, mon cher ami, nous vous aimons bien. Nous admirons votre foi, votre ardeur, votre zèle. Eh bien faites-vous aider par la bonne Mère. Recevez le fruit de nos prières, qui va retomber sur vous en bénédictions abondantes, pour faire de votre profession une couronne de gloire, le gage de votre sanctification. Ce sera vraiment l'initiation à la vie éternelle. Le Ciel n'est pas autre chose que notre vie bien comprise, et le Ciel pour chacun de nous sera d'autant meilleur que nous l'aurons commencé ici-bas avec plus d'amour, de générosité et de dévouement.

À votre tour, vous prierez pour nous, pour nous tous. Pour moi en particulier, afin que Dieu me donne le courage et la lumière dans ces circonstances difficiles, où, selon le langage de l'apôtre, l'Eglise passe par l'eau de ses larmes et le feu de ses tribulations, où le flot de l'iniquité monte jusqu'à déborder. Plus que jamais, “que celui qui se flatte d’être debout prenne garde de tomber” (1 Co 10:12), et “que le saint se sanctifie encore” (Ap 22:11). Alors le bon Dieu trouvera au moins une place dans nos cœurs et nous trouverons près de lui le salut et le bonheur. Amen!