Allocutions

      

Notre grande mission est de faire connaître le Sauveur

Allocution du 4 janvier 1901
pour la profession du Père Cyprien Ceyte (junior)
et des Frères Henri et François Arandel

Nous nous figurons souvent, habituellement même, que les choses arrivent par une espèce de fatalité. Nous ne sommes pas des païens, mais en pratique nous agissons à peu près comme eux. La pensée que la Providence est pour quelque chose dans les événements ne nous vient pas. Il faut réformer cette manière de voir et de juger, en nous accoutumant à voir toujours Dieu veillant sur son œuvre, et réglant tout dans sa miséricorde et dans sa justice. Saint Paul le prêchait aux Athéniens: “C’est en elle [la divinité] que nous avons la vie, le mouvement et l’être” (Ac 17:28). Eh bien! si Dieu s'occupe de toutes choses, il est certain que dans sa divine prévision il a voulu que votre profession se fit aujourd'hui, jour du Sacré-Cœur, premier vendredi de l'année. Suivant le désir de Notre-Seigneur, ce vendredi est consacré à son divin cœur et prélude au siècle qui verra la grande manifestation du mystère de l'Incarnation dans le monde.

Ainsi, comme les étoiles que Dieu appelle et qui se présentent, dites-vous aussi: “Nous voici” (Cf. Ba 3:35). Mais pourquoi vous appelle-t-il ? Quel peut être son désir ? C'est que vous soyez les ouvriers du cœur de Jésus, comme l'entendent la sainte Eglise, notre Saint-Père le Pape, la liturgie. La dévotion au Sacré-Cœur, c'est la dévotion à ce cœur, centre de l'amour qu'il a pour nous, centre des divines volontés, des grâces qu'il nous a départies. Votre mission, c'est de faire connaître Notre-Seigneur, son Sacré-Cœur, c'est de le faire aimer. On ne le connaît plus guère. Ou plutôt, les méchants ne le connaissent que trop, car elle est venue la grande lutte prédite par saint Paul et les prophètes. Dans les derniers temps, il y aura une grande guerre entre le Verbe de Dieu et Satan, en laquelle entrera une multitude d'hommes. Or voyez, dès maintenant Satan a ses émissaires: les méchants, ses apôtres: les faiseurs de politique, ses ouvriers: les criminels, ses docteurs: les écrivains et la presse impie, ses chefs: ceux qui essaient d'entraîner le monde au mal.

Vous avez donc une grande mission à remplir: faire connaître le Sauveur, sa vie, sa doctrine, par votre enseignement et votre exemple. Il faut que vous soyez instruits et éclairés, vous qui devez conduire les âmes; il faut que vous ayez la lumière et les sentiments de celui que vous devez donner au monde. Belle et grande mission, celle de notre bonne Mère Marie de Sales! Dans les premiers temps de mon séjour à la Visitation, j'étais toujours surpris de l'entendre nommer le Sauveur à tout propos, de voir qu'on partait sans cesse d'une parole, d'un exemple ou d'une inspiration du Sauveur, de mettre le bon Dieu en vue ou en action dans tout ce qu'elle disait ou faisait. J'en étais extrêmement frappé. Je n'avais pas été habitué à cela, ni dans ma famille — et pourtant j'avais des parents bien chrétiens — ni au petit séminaire, où nous avions pour maîtres de saints prêtres, ni au grand séminaire sous la direction de théologiens et d'hommes de valeur. Je comprenais Dieu vivant à distance de nous, ne nous touchant que par les devoirs qu'il nous à tracés. Je ne le voyais pas devenu l'atmosphère de la vie chrétienne et se mêlant à tous les détails de notre existence.

A vous, mes amis, de comprendre cette manière de voir et d'y entrer. Vous ne pouvez faire comprendre Notre-Seigneur que si vous le connaissez bien vous-mêmes, et vous ne le connaîtrez bien que par ce moyen. Tout le monde reconnaît que la doctrine de la bonne Mère, c'est au fond la doctrine de saint François de Sales, de saint Vincent de Paul, de saint Liguori. C'est le secret d'amener sûrement les âmes à cette vie d'union surnaturelle où sont arrivés tous les saints. Voyez Bossuet, par exemple, dans ses Méditations sur l'Evangile, dans ses divers entretiens avec les Visitandines de Meaux. On ne trouve tant de lumières que dans la sainteté de vie.

Aussi vous ne devez pas vous contenter de mener la vie d'un bon séminariste, d'un bon prêtre. Cela ne suffit pas pour vous. Il faut vous imprégner de Notre-Seigneur: En lui nous avons la vie: nous ne vivons qu'en lui, nous avons le mouvement: nous n'agissons bien qu'avec lui, nous avons l’être: nous n'existons qu'en lui. Ce n'est pas là une idée exagérée, c'est la simple doctrine. Notre-Seigneur n'a-t-il pas dit: “Je suis la vigne; vous les sarments”? (Jn 15:5). Or qu'y-a-t-il de plus près du tronc que les rameaux? Notre-Seigneur vous le dit, saint Paul vous le dit: “Vous êtes le corps du Christ, et membres chacun pour sa part” (1 Co 12:27). La main, le bras n'ont pas d'autre vie que celle du cœur ou de la tête. Oh! que je voudrais que vous compreniez bien cette vérité, que vous y entriez entièrement. Alors vous serez de vrais Oblats, dans vos études, dans vos rapports avec vos frères.

Lisez les chapitres de la bonne Mère à ses religieuses. Vous n'y trouverez qu'une seule idée. Elle leur répétait: “Pourquoi êtes-vous ainsi occupées de vous? Pourquoi tournez-vous sans cesse autour de vous? C'est donc qu'il n'y a que vous de bonnes? Alors Dieu n'est rien? Le bon Dieu ne déteste rien tant que la religieuse qui vit d'elle-même et se préfère aux autres”. Ce n'est pas là le défaut des hommes, je le sais. Un homme se respecte assez pour ne pas établir ces comparaisons déplacées. Quoiqu'il en soit, la bonne Mère ne recommandait rien tant que de se quitter soi-même. Et pourquoi? Parce qu'elle voulait que les âmes fussent au bon Dieu sans partage et ne se servissent de ses dons que pour lui rendre gloire et amour. Vous, mes amis, vous serez des hommes de foi, qui voient Dieu partout, qui vivent en Dieu, qui puisent en lui leurs sentiments, leurs jugements, leur règle de conduite. Et comment? Par le Directoire, dans la prière comme dans le travail.

Je me résume. Aujourd'hui, jour du Sacré-Cœur, vous êtes chargés par le bon Dieu de le faire connaître, pas en général, mais en particulier, par la bonne influence que vous exercerez autour de vous. Vous connaissez l'exemple de saint François d'Assise: “Frère Léon”, dit-il à son compagnon, “allons prêcher”. Frère Léon le suit, et tous deux parcourent la ville modestement, les yeux baissés, sans mot dire. “Mais, mon Père”, dit au retour le bon frère, “nous n'avons pas prêché”. —“Ah! vous croyez. Mais notre air modeste, mais notre prière et le spectacle de notre pauvreté, ne l'estimez-vous rien? N'est-ce pas le plus éloquente des prédications, celle qui parle, sinon aux oreilles, du moins aux yeux et aux cœurs. Ils ont vu ce que c'est qu'un religieux, un homme qui ne cherche que Dieu”. Maintenant, dans vos études, cherchez-le. Comprenez que ce que vous avez à faire pour ouvrir votre esprit et développer votre mémoire ou votre jugement vient de Dieu et doit vous servir à lui gagner des âmes. Vous travaillez pour bâtir les murailles d'un temple où Dieu doit être honoré. Donc que ce soit toujours là votre but: le bon Dieu et les âmes. Lui préparer des âmes qui lui ressemblent, qui lui soient dévouées.

Vous m'avez bien compris, n'est-ce pas ? Faites votre profession avec ce désir de faire connaître et aimer le Sauveur. Vivez en lui, vivez de lui. Le jour où vous ferez bien cela, le bon Dieu se réjouira, la Congrégation sera réellement fondée: il y aura des Oblats, de vrais Oblats. En entrant dans les parvis de saint François de Sales, mes amis, priez pour la Congrégation; obtenez lui des grâces nombreuses pour ses œuvres, ses luttes parfois pénibles, les souffrances physiques et morales de nos missionnaires, de nos Pères, des collèges. Bien souvent la charge semble lourde. Prions pour nos Pères, afin que, si la Congrégation est petite par le nombre, elle soit grande par la vertu. Et puisque la vertu de Dieu est en la croix, nous pouvons espérer qu'elle produira beaucoup. Vous aussi, vous aurez beaucoup à souffrir, car chacun a sa croix. Quand vous en sentirez le poids, rappelez-vous le Sauveur marchant devant vous et vous disant: “Est-ce que tu ne m'aideras pas à porter une partie de ma croix?” Vous lui répondrez: “Seigneur, je ne vous laisserai pas seul. Fiat!” Alors, mes amis, vous serez de vrais religieux, et la sainte Eglise bénira ce jour, parce qu'il est le gage de bénédictions nombreuses et pour elle et pour vous. Amen!