Allocutions

      

Le noviciat est fait pour disposer le religieux à sa mission

Allocution du 8 décembre 1898
pour la profession des Pères Ham, Corneille Van Westeynde et Giraudet

Mes chers amis, une cérémonie qui change notre situation de vie, qui nous impose de nouveaux devoirs et nous donne des droits particuliers, est bien une cérémonie importante. Telle est précisément celle que nous allons faire ce soir. Vous voulez être religieux, c'est-à-dire des hommes consacrés à Dieu, qui se dévouent tout entiers au salut du prochain, qui travaillent non seulement à sauver leur âme, mais le plus grand nombre d'âmes possible; qui servent et honorent Dieu non seulement tous les jours, mais encore à tous les instants du jour.  Pour en arriver là, il faut y apporter des dispositions, un attrait, le désir d'être vraiment à Dieu, autrement ce serait une illusion, un malheur, puisque vous vous engageriez dans de graves obligations sans pouvoir y faire honneur. Pour vous, je suis bien sûr que vous apportez à cette cérémonie les dispositions convenables. Elles sont nombreuses, ces dispositions, trop nombreuses pour que je puisse vous les développer ce soir. Je me contenterai de vous en rappeler une.

Notre Saint-Père le Pape Léon XIII vient d'écrire une lettre aux Franciscains, où il leur recommande de mettre tous leurs soins à annoncer au peuple la parole de Dieu. Pour y réussir, dit-il, il faut plusieurs conditions:

(1) connaître les personnes et les choses;
(2) savoir la théologie et l'Ecriture sainte;
(3) savoir les règles qui permettent de parler convenablement;
(4) avoir la sainteté de la vie, parce que la parole qui ne vient pas du fond du cœur, qui n'est pas inspirée par l'amour de Dieu est perdue et inutile, et que le religieux est tenu d'aimer Dieu plus que les autres hommes, plus même que les prêtres séculiers.

Le noviciat, c'est la préparation à toutes ces choses. N'y soyez pas seulement des élèves, des étudiants de collège, des séminaristes. On y attend plus de vous. Comme le dit le Saint-Père, il faut apprendre à connaître les personnes et les choses. Et pour cela, soyez remplis de dignité personnelle, de charité, d'affection mutuelle, qui donne à vos rapports de la distinction et de l'aménité et vous ouvrira le chemin des cœurs et des consciences. Ne voyez pas les choses en enfants, mais sachez tirer de tout d'utiles enseignements. Une réunion de vingt hommes renferme généralement la somme des caractères possibles, des manières de voir, des facultés les plus ordinaires et qui se rencontrent le plus fréquemment. L'un a une capacité plus grande, l'autre a moins de facilité. Celui-ci est d'humeur âpre et sérieuse, celui-là est jovial et agréable. Vous n'avez pas à juger vos frères, mais profitez de ces circonstances pour les étudier. Dites-vous: “Si j'avais à gagner un homme de tel tempérament, quels moyens me seraient nécessaires? Si je me trouvais dans telles difficultés, comment tacherais-je d'en sortir?” C'est cela que d’étudier les hommes et les choses. Voilà votre tâche, car vous êtes au noviciat non pas pour vous astreindre à des occupations dont vous vous débarrasserez en le quittant, mais pour enrichir votre fonds et vous disposer à la mission de l'avenir. Profitez donc de votre réunion, elle n'a pas d'autre but. Autrement vous resteriez à part, avec vos professeurs et vos livres.

Cette étude comment la ferez-vous? En toute charité, direz-vous: “Un tel n'agit pas à ma manière; il ne me vaut pas”? Oh! non. Il est peut-être meilleur que vous. S'il ne comprend pas ses obligations comme vous, prenez-le comme il est, et comportez-vous à son égard avec toute l'affection possible. Respectez son caractère, ses manières, et c'est ainsi que vous gagnerez tout le monde à Notre-Seigneur. Ne soyez pas légers et sans réflexion ni jugement: tenez compte des habitudes, des dispositions, des mœurs de chacun. Quand vous vous adressez à un militaire, n'allez pas lui parler comme à une jeune fille, à une religieuse comme à une femme du monde, à un enfant comme à une grande personne. Prenez note de tout cela, soyez attentifs à ce qui se dit, se fait, renfermez-le dans le trésor de vos connaissances. Tout porte, tout a son intérêt, ne négligez rien.

Deuxièmement, savoir sa théologie. Je ne m'étendrai pas là-dessus. Vous ne pouvez évidemment pas parler de vous-mêmes. Ce n'est pas à vous à interpréter la doctrine ou les mystères. Aussi faut-il bien étudier la Bible, l'Evangile, l'apprendre par cœur, en connaître l'interprétation, l'aimer surtout, pour le faire aimer. Ces jours-ci, le P. Foin me citait un exemple de l'efficacité de la sainte Ecriture dans la prédication. Il y avait à la cathédrale de Troyes un curé, M. l'abbé Merger, dont le P. Foin a été vicaire, et qui n'avait pas une éloquence bien extraordinaire. Quand un prédicateur étranger ou un vicaire montait en chaire, on les écoutait volontiers. Mais quand c'était M. Merger, tout le monde était ému, et plus d'un pleurait. En lui on sentait l'homme qui aimait le bon Dieu et l'âme de ses paroissiens, qui désirait le bonheur et la sanctification de tous. Il ne se servait que de l'Evangile, il ne parlait que de Notre-Seigneur, on le comprenait et tous les cœurs étaient à lui.

Pourquoi un tel succès? Ah! c'est qu'il joignait aux conditions déjà mentionnées, la condition suivante: la sainteté de la vie. C'est par la sanctification personnelle que votre parole sera vivante et efficace. Elle sera un baume sur les cœurs affligés, une lumière pour les intelligences qui ne voient et ne comprennent pas. Soyez saints pour dire aux autres quelles sont les voies de la sainteté, comment on parvient jusque là.

Que dit saint Jean au commencement de son Evangile? “En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes” (Jn 1:4 - TOB). C'est la lumière qui nous fait vivre; et pour avoir la vraie lumière, il faut que la vie soit sainte. Alors nous pourrons toucher les âmes bien plus efficacement que par le fruit de belles lectures. Voilà ce qui donne la lumière, la fidélité au bon Dieu pour surmonter les tentations, la pureté du cœur qui donne de Dieu une science incomparable, que rien ne peut remplacer. Nous respecterons donc bien la parole du Saint-Père à propos de la prédication. Comme l'annonçait une prophétie fameuse, il est bien “une lumière dans le ciel”, la lumière aussi qui vient du Ciel. Au jour de votre prise d'habit, de votre entrée au noviciat, de votre profession, entrez dans cette voie, persuadés que pour vous écouter on regardera moins à vos belles paroles qu'à la sainteté de votre vie.

Et maintenant, venez à l'autel du Seigneur, et vous donner à lui, et lui donner en même temps tous ceux que vous aimez sur la terre, lui donner vos parents, votre famille. Ce grand sacrifice, dans la pensée de nos Saints Fondateurs, de la bonne Mère, ce n'est pas l'abandon ni l'oubli de sa famille et de ceux qu'on aime. Oh! non, Dieu nous les fait aimer dix fois, cent fois plus, car cet amour naturel est purifié, sanctifié, divinisé. Que la bonne Mère, que saint François de Sales, du haut du Ciel, vous bénissent et reçoivent vos promesses et vos engagements. À leur exemple, suivez l'Agneau partout où il vous appellera, pour enfin chanter un jour là-haut le cantique éternel, l'alléluia, la félicité sans fin, dans les transports de ce bonheur divin qui sera la récompense réservée à notre fidélité.