Allocutions

      

L’obéissance missionnaire

Allocution du 23 septembre 1898 à Saint-Bernard
pour la profession des Pères Cochereau, Mahoney et Bodié

En vous présentant à la sainte profession religieuse, vous savez bien qu'il ne s'agit pas seulement d'une simple formule, et que cette profession va vous donner des droits sans doute, mais aussi de grandes obligations. La première est celle de l'obéissance, l'obéissance qui consiste à dire “oui” à tout ce qui vous est ordonné par les Constitutions, le Directoire, la voix des supérieurs. Ce “oui” est quelque chose qui coûte beaucoup et qui a par conséquent une grande valeur, qui va jusqu'à consentir à s'expatrier, jusqu'à se dévouer à la faim, à la soif, aux ardeurs du soleil, aux glaces du pôle, à faire ce que dit Notre-Seigneur à ses apôtres: “Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups” (Mt 10:16). En acceptant la charge des vœux, vous acceptez toutes les obéissances qu'on pourra vous imposer. Bienheureux ceux dont le cœur est assez large, la volonté assez dégagée pour répondre: “Me voici, prêt à tout” - [“Ecce adsum, ad omnia paratus”]. C’est ainsi qu’ils réalisent  le vœu de Léon XIII: “Soyez des hommes généreux jusqu’à l’effusion du sang”, en marchant suivant le bon plaisir de Dieu dans le sentier de l'obéissance. Maintenant que vous êtes en face du tabernacle, au pied duquel vous allez vous agenouiller, dites bien ce grand “oui” de l'obéissance qui va jusqu'à tout souffrir. Oh! que bienheureux sont ceux qui l'ont comprise: ils accompliront la prophétie de la bonne Mère: “Ils iront jusqu'aux confins de la terre porter le Sauveur. Les Oblats sont faits pour affirmer sa bonté, la faire aimer”. La belle ambition que celle-là! Je me rappelle — et ces sentiments sont toujours aussi vifs — mes premières années de petit séminaire, alors qu'on lisait au réfectoire les lettres édifiantes des missionnaires. Nous étions en septième. En sortant, nous nous disions: “Est-ce que notre cœur n'était pas tout ardent?” N'y avait-­il pas là de quoi allumer le feu divin? Heureux celui qui entend cet appel et se sent pressé de partir là-bas pour y porter le bon Dieu. Sans doute toutes les vocations ne peuvent pas se diriger du côté des missions. Mais si, né dans une bonne et chrétienne famille, dès votre jeunesse, à votre première communion, vous avez senti ce désir d'être apôtres, d'être missionnaires, conservez ce désir en votre âme comme un parfum précieux qui embaume votre cœur et le rend agréable au cœur de Jésus. Aimez à contempler, à étudier, à méditer cette vie de missionnaire.

“Mais, mon Père, c'est plus beau de loin que de près”. Non, mes amis. Mgr de Nice rend visite aux Oblates. Il aperçoit Sœur Paul-Angèle qui revient du Cap, et veut savoir pourquoi elle porte ce costume blanc: “Ah! vous venez du Cap? Désirez-vous y retourner?” Elle répond affirmativement et d'un ton si pénétrant que Monseigneur ému m’a regardé, en s'extasiant: “Que c'est beau, ce sentiment-là! Comme il y a de quoi consoler ceux qui aiment Dieu et veulent le faire servir”. De près, en effet, cette vie a ses épreuves, mais elle a aussi ses immenses consolations. Le bon Pasteur connaît ses brebis, les appelle par leur nom, elles sont à lui. Qu'elles se trouvent au milieu des peuples ignorants, étrangers à toute idée religieuse, peu importe. Bientôt il se crée avec elles des communications incomparables qui ne se trouvent nulle part ailleurs, et elles lui procurent des consolations qui le dédommagent de tous ses travaux. Ce sont des aveugles à qui vous avez ouvert les yeux, des sourds à qui vous avez rendu l'ouïe, des captifs du démon qui souffraient dans les ténèbres et dans les opprobres de l'ignorance. Vous leur avez rendu la liberté, la respiration, le regard vers Dieu. Autant d'âmes vous aurez ainsi gagnées, autant contribueront à grossir votre bonheur éternel.

Et puis l'Oblat — la bonne Mère me l'a souvent répété, c'est là son principe, sa pensée intime — l'Oblat c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ vivant encore parmi nous, c'est lui qu'on voit, qu'on entend, qui a soin de nous aussi. La vie du Sauveur n'est-ce pas cela? Comme le missionnaire d'Afrique, n'a-t-il pas été en butte aux souffrances de la soif, après avoir parcouru les chemins, en arrivant au puits de Samarie, aux douleurs de la faim, quand ses apôtres passant au milieu d'un champ de blé, froissent des épis pour apaiser leur faim, et sans doute aussi celle de leur Maître, ou quand il arrive devant le figuier stérile pour y cueillir des fruits et qu'il n'en trouve pas. Resterez-vous indifférents? Si vous m'aimez, semble-t-il nous dire, pourquoi refuseriez-vous de partager mes souffrances, de me suivre jusqu'au puits de Jacob, pour me dire: “Donnez-nous de cette eau qui jaillit jusqu'à la vie éternelle? Ne seriez-vous pas heureux de prendre part à mes travaux, à ma faim, à ma soif, à ma lassitude?” Et ces pages de l'Evangile ne doivent pas être seulement un souvenir pour l'Oblat. Non, c'est sa vie même. Vous le continuez; vous êtes avec lui chargés de souffrir ce qu'il a souffert et comme il a souffert. Alors vous n'êtes plus vous seulement; vous êtes ses représentants, l'expression de sa volonté. Voilà les fatigues de l'apostolat.

Mes amis, laissons notre cœur s'échauffer par la méditation de cette vie si sublime. Oh! répondons-lui! Disons au Sauveur : “Quand vous avez guéri les dix lépreux, un seul est revenu sur ses pas pour vous rendre grâces. Quand le jeune homme riche eut entendu votre appel, il se détourna. Alors vous l'avez regardé avec une indicible douleur. Ah! ne permettez pas que jamais ce regard soit pour moi. Je m'efforcerai de mériter cet honneur de l'appel divin, et je dirai oui!” Cette résolution, vous l'avez prise au jour ou vous avez entendu l'appel de la vocation. Cette première grâce a fait germer en votre âme les vertus religieuses, la fidélité au Directoire a fait croître cette plante précieuse. Aujourd'hui les fruits sont prêts: “Seigneur, j'ai entendu votre voix, j'accours et je dis: «Montrez-moi vos voies, je suis votre serviteur.» Ne m'avez vous pas dit que vous étiez notre ami, comme vous étiez l'ami de Lazare, de Marthe et de Marie?”

Aujourd'hui nous prierons bien pour Mgr Simon, pour que le bon Dieu l'entoure de bons et fervents religieux, que, dans son éloignement, il retrouve l'écho de notre maison de Troyes, un souvenir constant de ce qui nous est indiqué dans les Constitutions, aux noviciats, aux chapitres. Qu'il sente autour de lui des amis fidèles, des cœurs qui battent avec le sien, avec ceux de nos Pères de là-bas. Mes amis, tous vous allez promettre de bien obéir pour toujours, de prendre sur vous les liens, les chaînes de l'obéissance. O les doux liens qui, selon l'expression de saint Paul, rendent plus heureux que toutes les perspectives de la terre! Les martyrs baisaient leurs fers et remerciaient Dieu de ce qu'il daignait les associer aux souffrances de son Fils. Et vous, cherchez à vous rendre de plus en plus agréables au bon Dieu qui, par la profession, va resserrer vos liens avec lui et vous rapprochera de lui pour ne plus faire qu'un cœur et qu'une âme.

Espérons que le bon Dieu va bénir ces nouveaux religieux qui viennent s'adjoindre à nous, et vous, mon ami, que l'Angleterre nous envoie. Nous avons bien à remercier l'Angleterre de l'aimable accueil qu'elle a fait à nos Pères. Elle nous apprécie et elle répond avec une grande générosité à notre bonne volonté. Elle s'est montrée toujours très bienveillante pour Mgr Simon. Prions pour le retour à l'unité catholique de cette grande nation tout entière. Si elle pouvait revenir à Dieu et à la vérité, comme elle réaliserait bien la parole de ce grand Pape qui, voyant sur le marché de Rome des esclaves bretons d'une grande beauté, s'écriait: “Ce n’est pas des Anglais, c’est des anges”. Et elle la réalisera si vous ne cessez de demander au Seigneur sa conversion.