Allocutions

      

Faisons retentir la voix de Dieu dans le désert affreux de ce monde

Allocution du 20 août 1898
pour une profession et une entrée au noviciat

Vox clamantis in deserto (Mt 3:3). Ces paroles-là vous sont bien applicables, parce qu'à l'heure qu'il est la parole de Dieu n'a plus d'écho sur le monde; elle n'a plus d'écho qui rende le son, qui l'augmente même. L'individu, la famille, le monde entier est bien devenu ce désert où la voix de Dieu ne retentit plus ou bien rarement. Et, si les hommes l'entendent, c'est comme si c'était la première fois. Vous ne le savez pas, vous, mes amis, qui appartenez à des familles chrétiennes qui ont dit à votre âme les choses de Dieu et de la foi. Tout conspire aujourd'hui pour que l'enfant ne reçoive plus la parole de Dieu. Nous voyons la surprise de cet enfant lorsqu'on lui parle de Dieu et qu'il commence à comprendre. Il manifeste l'étonnement du sauvage à la première révélation de l'être civilisé. C'est un affreux désert que l'âme qui n'a pas été éclairée par la foi. Cherchez, et vous n'y trouverez pas même les qualités du simple bon sens. Quel désert affreux!

Lorsque nous nous adressons à la jeunesse, rappelons-nous que nous sommes les précurseurs du Sauveur. Demandons donc cette puissance de la foi qui pénètre ces âmes, qui leur fasse comprendre qu'il y a autre chose que des jouissances dans la vie, qu'il y a un Dieu. Prenez-les en grande charité. J'entrais un jour dans la cellule du Père Retournat, à la Chartreuse. Je me penchai sur son prie-Dieu: il était mouillé de ses larmes: “Pourquoi avez-vous pleuré?” lui demandai-je au moment de me retirer. — “J'ai demandé instamment au bon Dieu de conserver la foi et l'innocence aux petits enfants qui viennent d'être baptisés”. Analysons cette larme du Chartreux, mes amis, faisons en notre méditation. Identifions-nous à la pensée, à l'acte de dévouement du Père Retournat, et comprenons ce que c'est que sauver l'âme de l'enfant. Prions et pleurons. Comprenons bien aussi que tout le bonheur ici-bas est d'aimer Dieu, et quel est le malheur de ceux qui ne l'aiment pas.

Les jeunes gens! Nous avons pour eux une mission céleste. Notre-Seigneur lui aussi aimait les jeunes gens, les enfants: “Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi” (Mt 19:14). Il vit un jour un jeune homme venir à lui. Il le regarda et il l'aima. Mes amis, si nous sommes bons religieux, nous communiquerons notre vocation à d'autres: “Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Mt 9:38). Il est dit non seulement: “Priez”, mais, en insistant: “Priez donc” encore et toujours. Si nous sommes bons religieux, nous attirerons la vocation dans l'âme de ceux qui nous approchent. Tout bon religieux donne la vocation à d'autres. Il est impossible qu'un bon religieux, un bon prêtre, ne trouve pas dans sa vie, un jeune homme qui le suive, qui, entraîné par sa parole, ses exemples, sa prière, ne vienne avec lui. Voilà la ligne de démarcation, le signe infaillible du bon religieux.

Le Sauveur nous donne une leçon terrible. Un jour qu'il allait de Béthanie à Jérusalem, il eut faim et il rencontra un figuier qui ne portait aucun fruit. Sans doute il allait passer son chemin, le laissant là sans plus s'en occuper. Non. “Jamais plus tu ne porteras de fruit” (Mt 21:19). Et le figuier maudit sécha jusque dans ses racines. Qu'on y fasse attention, mes amis
Qui préparera donc les voies à la grâce, dans cette œuvre de la vocation des jeunes gens? C'est vous. Allez! “Préparez le chemin du Seigneur” (Mt 3:3). Dans l'exercice du ministère que Dieu et vos supérieurs vous confieront, préparez la voie; et préparez-la dans les déserts, quelque aride qu'ils vous paraissent d'abord. Le nombre est immense de ceux qui peuvent dire comme la samaritaine: “Seigneur donne-moi cette eau, afin que je n’ai plus soif” (Jn 4:15). Nous avons une obligation extrêmement grave. C'est à nous qu'il appartient particulièrement, semble-t-il, de faire connaître la voie de Notre-Seigneur. Nous devons éclairer les ténèbres de ces pauvres âmes et les mener dans les voies saintes du salut et de l'amour de Dieu. Saint François de Sales l'a dit excellemment: Ceux “qui voudront prospérer et faire progrès en la voie de Notre-Seigneur” doivent vivre de la direction d'intention et de l'esprit du Directoire (Dir., Art. III; p. 32). Toute direction, tout enseignement, toute prédication autre ne vous réussirait pas. Pourquoi? Ainsi que des ouvriers qui travaillent le bois ne sont pas destinés à travailler le fer, ainsi toute autre façon d'enseigner les âmes vous serait, sinon dangereuse, du moins inutile. Ne comptez ni sur votre valeur personnelle, ni sur vos talents. Dieu ne vous en a permis l'usage utile et fructueux que dans le sens de votre vocation.

Faire retentir la voix de Dieu dans le désert... Le champ est vaste. Le travail est difficile. Toutes les puissances infernales luttent contre les puissances célestes pour l'empêcher. Il faut que vous soyez de véritables athlètes dans cette lutte. Quelle charité, quel zèle il vous faudra!
Le monde ne sait pas ce que c'est qu'une âme, et une âme rachetée au prix du sang d'un Dieu. Il est bien certain que lorsque vous ramenez une âme du démon à Dieu, vous avez votre couronne au Ciel, et autant d'âmes sauvées, autant de pierres précieuses à cette couronne. Ces âmes, c'est vous qui les offrez, c'est le salaire de vos journées. Que ceux qui comprennent cela, comprennent ce que c'est que d'aller en Afrique. Saint Augustin dit que le démon de l'Afrique, “le démon de midi”, est le plus puissant de tous, et qu'en Afrique plus puissantes qu'ailleurs sont les tentations et de l'âme et du corps. Et saint Augustin ajoute que l'âme d'un Africain est plus précieuse en soi que celle de tout autre homme, car elle est bien plus difficile à sauver.

Encouragez votre cœur et dites: “Faites-moi la grâce, mon Dieu, de faire un bon novice, un bon religieux, afin que je puisse vous sauver beaucoup d'âmes; afin que je puisse toujours entendre bien moi-même votre voix qui appelle, et que je puisse la bien faire entendre aux autres”. Cette voix, qui est-ce qui en dirige le mouvement, l'action? C'est le Seigneur lui-même. Dans les collèges, dans le travail manuel, dans le ministère auprès des âmes, sur les plages lointaines, ayez toujours cette voix présente à votre esprit. Elle retentit: écoutez-la et faites-la écouter aux autres. Vous, écoutez-la, suivez-la par le Directoire. Cette voix charme, captive et attire à elle. C'est vous qui préparerez le reposoir où Dieu viendra demeurer dans ces âmes. C'est vous qui aiderez à créer et à réparer et orner son temple.

Que notre sainte Mère de Chantal, dont c'est aujourd'hui la fête, soit avec vous. Qu'elle renouvelle pour chacun de nous en particulier le miracle qu'elle a fait pour nous tous au temps de nos premiers débuts. Je ne pouvais pas trouver de directeur de collège pour commencer Saint-Bernard. Mgr de Ségur, à qui j'en demandais un, me dit que pour trouver un homme comme je le voulais, il faudrait l'aller chercher dans la lune. Je vais à Annecy. J'allai immédiatement prier à l'église de la Visitation. On était en train de la réparer. J'étais ennuyé de ce contretemps. Pas moyen de prier tranquillement pour obtenir la chose si importante que je venais demander à nos saints Fondateurs, pas moyen de me mettre à genoux dans une église pleine d'ouvriers, de pierres, de plâtres, de poussière. Je finis par trouver un petit coin où je me prosterne. Voici que tout à coup, levant les yeux, j'aperçois devant moi, à un ou deux mètres de hauteur, notre sainte Mère de Chantal, les bras étendus, le visage empreint d'une affection en même temps que d'une félicité toute céleste. J'eus un avant goût du bonheur que l'on goûte au Ciel. Ce bonheur, nous l'aurons, nous Oblats, en allant dans les déserts préparer les voies du Seigneur, et assurer son règne sur la terre. Amen.