Allocutions

      

Nous ne ferons de bien qu’en la mesure de nos sacrifices

Instruction du 15 décembre 1894 au noviciat

Saint François de Sales répétait bien souvent ces mots: “Il faut avoir bon courage”. Il exhortait surtout au courage, à l'énergie, il demandait la force dans la volonté, et cette parole qu'il répétait souvent, il donnait les moyens de la mettre en pratique et il disait: “Quand vous avez quelques difficultés et tentations, représentez-vous Notre-Seigneur, voyez ce qu'il a fait, et vous serez alors aidé et consolé”.

A ce propos, il y a une réflexion extrêmement théologique à faire. Voyez comme le bon courage, la force sur soi-même, la générosité dans les sacrifices, sont nécessaires. Ce n'est que par le sacrifice que l'on opère le bien. Notre-Seigneur en a donné le premier l'exemple, il s'est sacrifié jusqu'à la mort de la croix. Il a eu douze apôtres qui tous sont morts martyrs. Un seul n'est pas mort de la mort des martyrs. Notre-Seigneur avait prédit à ses Apôtres qu'ils termineraient leur vie dans les supplices. À Saint Pierre qui demandait à Notre-Seigneur ce qu'il en serait de saint Jean, celui-ci répondit: “Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t’importe?” (Jn 21:22). Notre-Seigneur n'avait pas dit que saint Jean ne mourrait pas, mais: “Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t’importe? ". Et pourtant, les supplices n'ont pas manqué à l'Apôtre bien-aimé.

Voilà donc tous les Apôtres qui ont fondé l'Eglise par leurs travaux et sacrifices. Nous sommes leurs successeurs et nous ne ferons rien que par les moyens qu'ils ont employés. C'est dans le sacrifice, l'énergie de votre volonté que nous trouverons l'élément nécessaire pour agir sur les âmes, pour la conversion, pour amener le règne de Dieu. C'est pourquoi saint François de Sales a voulu que la vie de ses enfants fût une vie pénitente. Ecoutez bien cela. Voyez dans l'article du Directoire que dans toutes nos actions nous devons supporter toute la mortification qui se rencontre avec paix et douceur d'esprit, comme provenant de la main paternelle de Dieu. Saint François de Sales suppose que nous ne faisons rien dans notre vie qui ne nous coûte. La pénitence est absolument nécessaire pour le salut du monde surtout à l'heure qu'il est, où l'influence du démon est si grande.

Nous lisons dans l'Evangile qu'un enfant était possédé du démon. Les apôtres vinrent trouver Notre-Seigneur et lui dirent: “Pourquoi nous autres, n’avons pas pu l’expulser?” Notre-Seigneur leur répondit: “Cette espèce-là ne peut sortir que par la prière” [var. + “et par le jeûne”] (Mc 28-29). À l'heure qu'il est, nous ne pouvons le chasser que par la mortification, car les âmes sont sous la puissance du démon. Dans l'ordre de la Providence, nous devons tout à la justice de Dieu: ces choses se comptent au poids. Pour sauver les autres, il faut ajouter encore une grande quantité d'autres poids. C'est une somme énorme à donner au bon Dieu. Comment la paierons-nous? Les martyrs l'ont payée en une fois de leur sang, les apôtres de leur apostolat. Nous, nous la paierons par une pratique constante à la Règle, par le renoncement à nous-mêmes, par le Directoire, ce qui n'est pas si facile que cela.

Le P. Poupard, étant jeune religieux, vint un jour me dire : “Mon Père, que dois-je faire pour obtenir une grâce importante?”—“Faites trois jours de fidélité”. Le deuxième soir, le Père vient me trouver: “Mon Père, je n'y tiens plus”. —“Continuez avec courage jusqu'au bout”, lui répondis-je. Il persévéra et obtint la grâce tant désirée. Ça coûte, ça coûte beaucoup. En le faisant, on obtient, comme l'a dit le Pape Pie IX: “Mon fils, vous aurez la bénédiction de «l’assemblée des premiers-nés»” (Cf. He 12:18). Quelle belle parole! Et il me disait cela la main sur un petit volume des extraits de saint François de Sales: “Tenez, je lis tous les jours saint François de Sales dans la langue française. Oh! Quelle puissance il avait pour attacher les âmes et unir les cœurs!”

La somme donc de sacrifices que le bon Dieu demande de nous, nous ne pouvons pas la payer en une fois, en cent fois, mais en mille et mille fois. Le poids, la charge que nous avons à supporter sera aussi divisée émiettée par le Directoire. Chaque jour nous nous y assujettirons, nous en prendrons les pratiques, les pensées. Vous me direz: “Mais, mon Père, c'est bien monotone?” Non, ce n'est pas trop monotone. Quand on est obligé d'y penser, cela occupe bien notre volonté, notre cœur, notre intelligence et tout notre être. Ne pouvant donc pas supposer que c'est dans l'ordre de Dieu que nous souffrions le martyre, apportons à la sainte Eglise ce qu'apportent les martyrs: l'holocauste et le sacrifice complet. Nous le subdivisons, nous l'émiettons par le Directoire. Pour cela, il faut avoir bon courage, être un homme bien trempé, bien courageux, qui ne se laisse pas affadir par la paresse, distraire par des riens, qui ne se laisse pas abattre par les difficultés qu'il rencontre. Il faut que l'énergie soit en nous constante, vigoureuse. C'est beau cette vie-là: c'est celle que nous devons suivre. C'est la vie éternelle pour nous, et c'est la vie éternelle pour les âmes avec lesquelles nous communiquerons.

Je lisais ces jours-ci la dernière épître de saint Paul. Saint Paul dit à Timothée qu'il a été trahi par un certain fabricant de statues de Corinthe. “Le Seigneur” ajoute-t-il, “lui rendra selon ses œuvres” (2 Tm 4:14). Il dit que deux de ceux qui l'avaient suivi quelque temps l'avaient abandonné, que beaucoup avaient rougi de sa chaîne (2 Tm 1:15). Quand il écrivait cela, il y avait déjà quatre ans qu'il était prisonnier. Il passa deux ans à Césarée, deux ans à Rome et termina sa vie par le martyre. C'est la part que Dieu lui a faite, comme conséquence nécessaire de son apostolat. Nous ne ferons de bien qu'en la mesure de nos sacrifices.

Dieu ne demande pas des choses impossibles. Votre sacrifice à vous sera d'être fidèles à vos exercices, de garder le silence, d'être exacts à toutes les observances. Avec cela, nous arriverons à réaliser la somme de pénitence, de sacrifices nécessaires à notre apostolat. Il faut donc bien nous encourager, voir les choses à ce point de vue. Je suis vieux, j'ai vu beaucoup de choses. J'ai vu bien des gens. Si j'avais fait autre chose, si j'étais resté prêtre séculier, j'aurais aimé passionnément être supérieur d'un petit séminaire, pour diriger les jeunes âmes qui se destinent à la vie sacerdotale, pour jeter dans cette jeunesse les germes du zèle apostolique, leur faire entrevoir le sacerdoce sous son vrai jour, qui est le sacrifice pour les âmes. Nous travaillons dans le même champ que les Apôtres. Leur grand type était le sacrifice, et le sacrifice “jusqu’à porter des chaînes” (2 Tm 2:9).

Il faut bien nous faire à l'idée que les saints n'étaient pas faits autrement que nous. Saint Paul avait des tentations violentes, des luttes continuelles avec lui-même. Voilà nos modèles, voilà nos exemples! Que faisaient-ils? Ils avaient bon courage. Pensons bien à cela. Les moindres petites choses, la moindre petite observance à la règle qui nous coûte, c'est bon. Toutes les fois que nous opérerons sans que cela ne nous coûte rien, ça vaut ce que ça nous coûte. Plus nous sommes énergiques, plus nous avons bon courage, plus la récompense est grande, parce que nous avons fait de grand cœur ce que de grand cœur nous n'aurions pas voulu faire.

Faites cela, croyez moi, c'est le bonheur de la vie, le moyen d'avoir puissance sur les âmes. Ainsi on est vraiment homme, on est quelque chose, tandis que quand on est toujours à s'alanguir, quand on se met à travailler pour un autre but que celui de l'amour de Dieu, on perd son temps, ses peines. Recueillons donc bien tout ce que Dieu nous enverra avec une grande reconnaissance, de grands remerciements. Faisons cela cette semaine pour bien nous préparer à la fête de Noël. C'est bien intéressant de voir que les saints étaient des hommes comme nous. Ils avaient les mêmes passions, les mêmes infirmités. Qu'est-ce qui les a fait ce qu'ils sont? Le bon courage.