Allocutions

      

Un mot sur la bonne Mère

Instruction du 1 décembre 1894 au noviciat

Mes enfants, ce soir je vous dirai un mot de la bonne Mère. Les Oblats de saint François de Sales suivent la règle que saint François de Sales avait donnée autrefois aux prêtres de la Sainte Maison de Thonon. Il avait fait les constitutions qui ont été exécutées un certain temps. La Maison de Thonon n'a pas survécu aux troubles, aux révolutions. Nous sommes héritiers de cette fortune des Prêtres de la Sainte Maison, c’est-à-dire que nous avons recueilli la règle que saint François de Sales leur avait proposée, nous avons accepté l'esprit qu'il leur avait inspiré.

Cet esprit a encore besoin d'être expliqué. Quand on lit saint François de Sales pour la première fois, on y voit quelque chose, mais on n'y voit pas tout. On ne comprend pas tout de suite les moyens qu'il a donnés pour la sanctification des âmes. Il faut donc en faire une étude particulière. Elle a été grandement faite par la Mère Marie de Sales, âme d'une grande intelligence et d'une éminente sainteté. Elle a commenté l'esprit, appliqué les règles de saint François de Sales dans sa communauté. Elle a été comme une rénovatrice, une deuxième institutrice de la vie de la Visitation. Elle a montré toutes les applications à faire de toutes les paroles de saint François de Sales.

La Mère Marie de Sales avait reçu dès son noviciat une inspiration, disant qu'un jour une société de prêtres se formerait selon l'esprit de saint François de Sales et suivant le désir de sainte Jeanne de Chantal, qui avait souvent demandé à notre bienheureux Père de fonder une société de religieux vivant selon ses règles et l'esprit de la Visitation. Saint François de Sales lui répondait que, pour le moment, il n'y avait pas de sujets. Il ajoutait que c'était très difficile. “Les hommes”, disait-il, “raisonnent beaucoup”, surtout après certaines études. Ces raisonnements portent souvent à faux. Pour les femmes, c'est plus facile, elles acceptent plus facilement ce qu'on leur dit. “Ma fille”, ajoutait-il, “j'ai déjà essayé de fonder des prêtres dans cet esprit, je n'en ai pu faire qu'un et demi”. Il allait cependant y travailler avec sainte Jeanne de Chantal, quand il mourut.

Or, voilà la bonne Mère qui interprète la doctrine de saint François De Sales, qui montre par quelle manière on peut remplir ses vues. Elle a consigné une partie de ses réflexions. Pendant 40 ans j'ai pu la suivre, et j'ai été témoin de choses bien admirables dans sa communauté. Elle savait unir les cœurs. Je regardais cette maison comme un sanctuaire habité par des saintes. L'obéissance y était admirable, les vœux parfaitement observés. La bonne Mère donnait l'exemple, sa présence attirait des bénédictions, sa prière obtenait des grâces de force et de générosité aux âmes qui l'approchaient. Elle avait de l'influence sur les prêtres, les évêques, les gens du monde: savants, magistrats, qui venaient la consulter. La bonne Mère était très simple, parlait peu. Jamais elle n'a fait ni la savante, ni l'orateur, répondant très courtement, mais d'une façon très claire. Quand on venait la voir, on s'en retournait avec un don de Dieu tout particulier. Tout le monde était émerveillé: “Elle m'a fait comprendre, elle m'a dit ce que Dieu voulait”.

  Sa vie a été d'une sainteté, d'une pureté absolue. J'ai été témoin de sa vie entière. Ce que je n'en ai pas vu, elle me l'a redit plusieurs fois. Il n'est pas étonnant que Dieu l'ait gratifiée de tant de lumières. La bonne Mère avait reçu dès son noviciat l'inspiration d'après laquelle le bon Dieu voulait des prêtres, des apôtres, qui porteraient à la lumière de l'Evangile, d'une manière toute spéciale, les grâces du Sauveur, grâces particulières, non encore communiquées aux hommes, et qui feraient un bien incomparable aux âmes. Chaque fois qu'elle m'annonçait cela, il y avait encore un autre fait qu'elle signalait comme pour confirmer la foi, par la prédiction du fait d'ordre naturel et toujours ce fait se réalisait.

Je n'ai jamais vu la Mère Marie de Sales manquer à la charité. J'aurais bien voulu rencontrer chez elle quelque imperfection. Mais elle était si parfaite en tout que cela ne me permettait d'aucune façon de douter de ce qu'elle me disait. Si nous jugeons de ce que nous pouvons faire par ce qu'elle a fait, elle, une simple femme dans son cloître, il est bien certain que Dieu nous appelle à produire de grands effets dans la sainte Eglise de Dieu, dans les âmes, dans le monde entier. Déjà, dans les différentes missions, dans les différentes œuvres dont les Oblats s'occupent, Dieu nous manifeste d'une manière toute particulière sa miséricorde. Il a montré que les moyens employés pour sanctifier étaient très sûrs. Effectivement, on a avec cela l'assurance de faire complètement la volonté de Dieu.

Pour bien comprendre la bonne Mère Marie de Sales, il faut lire sa vie. Cela touche à tout, à la famille, au sacerdoce, aux ordres religieux. On y voit son respect pour les choses de la foi, sa confiance en Dieu, sa confiance dans les sacramentaux, dans la confession, dans la communion. Aussi, c'est une grande foi qui anime le religieux qui est dans cet esprit. Cette foi, il la communique, la donne aux autres par l'effet de sa fidélité, c’est-à-dire il donne ce qu’il a. Comprenez, mes amis, quelle grande mission vous avez à remplir. Priez Dieu pour que vous la remplissiez bien. Pour cela, il faut bien s'y préparer, avoir une très grande fidélité au Directoire. Bienheureux assujettissement quand il est pris courageusement! Vous verrez comme c'est doux, comme c'est facile, comme on supporte des chagrins, un joug qu'autrement on ne saurait accepter. Faites-vous donc de plus en plus fidèles aux petites choses de votre obéissance. C'est la pierre précieuse cachée au fond du champ, c'est le secret de la sainteté cela, mes amis. Ainsi on est dans l'intimité du bon Dieu, on se prépare à rendre service au prochain on s'attache à son noviciat, aux confrères avec lesquels on l'a fait. Le cœur est disposé à agréer, à accepter avec amour tout ce qui nous entoure. Pour cela, il faut la lumière. Il faudra la demander à la bonne Mère. Si elle était sur la terre, elle vous dirait un petit mot qui vous ferait comprendre ce qui vous manque. Priez-la pour qu'elle vous donne ce qui vous est nécessaire. Parmi toutes les vies de saints, j'en vois peu de plus édifiantes que celle de la Bonne Mère. Dans un temps où tout le monde allait à Lourdes, auprès du Curé d'Ars, je n'ai voulu aller nulle part. Il me semblait que je ne trouverais là rien de comparable à ce que j'avais vu comme esprit religieux, comme esprit de foi, comme moyens de s'unir à Dieu, d'obtenir de lui ce que je voulais. Je recommande donc grandement la dévotion à la bonne Mère; imitez-la dans votre exactitude, dans votre fidélité.

      J'emprunte une comparaison à la chimie moderne, et c'est là mon dernier mot. Je compare tout à fait le noviciat à la science de la galvanoplastie. Prenez un vase dans lequel il y a un liquide, le mélange apte à faire de la galvanoplastie. Tourmentez-le, il ne donne rien. Mais laissez-le reposer, se déposer sur le moule, et vous aurez l'effigie complète, exacte, du modèle; vous en aurez la forme, tout. Le noviciat est un liquide parfaitement calme qui fait que la fidélité, l'exactitude, réalisent en totalité le type cherché. Si on agite le mélange d'une manière quelconque, il n'y a plus rien. Laissez-vous bien imprimer, bien former par les mille petits riens du noviciat.