Allocutions

      

Grâce au Directoire Dieu rentre dans tous ses droits

Allocution du 21 novembre 1892 pour la fête de la Présentation

Mes enfants, chaque ordre religieux a ses moyens d'action, il a ses ressources personnelles, il a dans son enseignement, dans ses pratiques, ce qu'il faut pour arriver à son but. À ceux-ci c'est le zèle de l'apostolat, à ceux-là, la science, à d'autres, les mystères sacrés de la solitude. Chaque ordre trouve au dedans de lui-même la ressource, la sève pour vivre et pour faire le bien. Chez nous, quelle est la source bonne, quel est l'arsenal? Où sont nos armes pour combattre? Quelles sont nos munitions pour faire la guerre au mal?.  Tout cela se trouve dans le mot de Notre Seigneur: “Le Royaume de Dieu est au milieu de vous” (Lc 17:21). Le Royaume de Dieu est au dedans de vous-mêmes, pour votre sanctification personnelle, pour l'élévation de vos âmes. Ce sera aussi le règne de Dieu dans les âmes des autres: œuvres, combats, vie religieuse, dans les missions, dans toutes les œuvres auxquelles vous êtes appelés.

Qu'est-ce à dire? Je m'explique. Tous nos secrets, toutes nos ressources, notre force, c'est le Royaume de Dieu dans notre cœur. Si Dieu règne en nous, nous sommes saints et invincibles. Par quels moyens? “Le Royaume de Dieu est au milieu de vous” (Lc 17:21) Qui parle? Dieu. À qui parle-t-il? À celui qui marche en la voie des commandements, à celui qui va à Dieu et ne s'inquiète pas du reste. Le reste est limité par les bornes qui marquent le chemin par où il doit marcher. Ce ne sont pas des sources d'activité bien grandes, bien ferventes que les bornes de la route!

Etablissez, mes chers amis, ce règne de Dieu en vous et vous serez toujours invincible. Ni les adversités, ni les épreuves, ni la vie ou la mort n'auront plus aucun pouvoir sur vous. Voyez le secret. Je vous le donne. Est-il vraiment secret? Oui, et tellement secret que tout le monde ne le peut pas trouver. Qui l'a trouvé? Notre saint Fondateur. Qui l'a mis éminemment dans son cœur? La bonne Mère Marie de Sales. Cherchez bien et vous n'en trouverez pas d'application à ce degré, des applications pratiques. Qu'est-ce que la bonne Mère Marie de Sales? Une simple femme, la fille d'un aubergiste. Elle a fait sa première éducation avec toutes les jeunes filles du pays. Or sur elle pèse une partie des destinées de l'Eglise, un poids immense. Pourquoi a-t-elle été choisie? Est-ce son zèle qui s'imposait, ses qualités d'intelligence extraordinaire, ses grandes relations? Non. C'était le Règne de Dieu en elle, et c'est pour cela qu'elle a fait école.

Au premier énoncé, cela paraît peu de chose, ce qu'enseigne la bonne Mère. On ne comprend pas tout à fait bien du premier coup. Quand on a mis la main à l'œuvre, quand on a étudié l'ensemble de son œuvre, quand on l'a envisagée au complet, [on découvre] “un chemin sûr, un chemin qui mène à la perfection” - [“tuta via quae ducit ad perfectionem”]. Ce doit être notre grand exercice à nous, celui que nous devons faire tous les jours. C'est notre grande manœuvre qui doit se faire jour et nuit. Il faut que nous allions là, que nous établissions en nous les moyens que donnent le Directoire: l'obéissance, le souvenir de la présence de Dieu en nous, la sollicitude des âmes qui nous sont soumises, en les amenant à une obéissance aimante. Avec cela Dieu rentre dans tous ses droits. La créature ne peut plus échapper à son regard. La main, le cœur de Dieu nous sont constamment présents, toutes les fois que nous agissons; dans tout ce que nous voulons.

Dieu est le fondement de tout ordre dans la vie spirituelle, dans la vie intellectuelle, dans la vie matérielle elle-même. Quand l'ordre est partout, Dieu rentre dans ses possessions et ses droits. C'est comme Adam et Eve au paradis terrestre. C'est la parole du Pater: “Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel” (Mt 6:10). Le plan de Dieu créant l'homme est réalisé. Vous permettez bien à Dieu de continuer d'exercer sa Providence, de vous indiquer par l'obéissance ce que vous avez à faire. Il ne vous abandonne pas.

Quand, au petit parloir de la Visitation de Troyes, je demandais quelque chose à la bonne Mère, je la voyais se recueillir, comme pencher l'oreille du côté du tabernacle, et comme écouter la voix de Dieu régnant en elle. Quand des épreuves inattendues venaient la frapper, elle les ressentait cruellement, mais les morceaux de son cœur brisé étaient offerts en holocauste: “Vous l'avez voulu, Seigneur. Que votre volonté soit faite!” Dans tous les petits détails de la vie, son habitude était de se conformer à la présence continuelle de Dieu. Mais ce n'est pas possible de penser à Dieu toujours? C'est très facile. Il faut le vouloir et on y arrivera. C'est une condition nécessaire pour nous. Nous ne ferons rien sans cela. L'oblation est faite. Complétez le sacrifice, complétez-le jusqu'au Ciel. Là sur l'autel du sacrifice, c'est l'offertoire de toute votre vie: la consécration a lieu au moment de votre mort. On ne laisse pas le pain et le vin sur l'autel, le sacrifice continu jusqu'à son plein perfectionnement. C'est une affaire d'habitude. Appelez Dieu à vous à toute heure, à chaque demi-heure, à chaque quart d'heure. Plus vous l'appellerez, plus il sera avec vous et vous dictera ce que vous aurez à faire.

Cette manière de faire est tout pour nous. Vous aurez ainsi du talent oratoire, le don du jugement. À propos, demandez-le bien, ce don du jugement, c'est ce qui manque le plus sur la terre: le bon jugement dans les choses temporelles, spirituelles, le bon jugement qui incline les âmes, qui incline la volonté, le jugement infaillible de Dieu, qui vous inspire pour vouloir, pour comprendre juste. On trouve encore des vertus, rarement du jugement. Pour un Oblat, c'est une qualité essentielle: la racine de l'arbre. Qui donnera à l'homme de dominer sa nature, d'agir surnaturellement pour Dieu? Demandez le jugement: “Donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse” (Sa 9:4). Qu'est-ce qui demandait cela? Le plus sage des hommes, Salomon: Seigneur, donnez-moi le jugement qui assiste à votre trône, afin qu'il m'accompagne dans toutes mes démarches, afin qu'il soit avec moi dans tous mes travaux. Car le jugement en fait de choses spirituelles comme de choses matérielles est le grand moyen d'union à Dieu par la vérité, et aussi d'union avec les hommes, puisqu'un bon jugement fait que l'on comprend les choses et qu'on les met bien à leur place.

Faites cette demande à Dieu. Il donne par son habituelle présence un jugement sain, vrai. Si l'âme est fidèle à Dieu, Dieu aussi lui sera fidèle sur ce point. Quelque travail d'esprit que l'on ait à faire, Dieu donne sans limites. Si vous vous séparez jamais de Dieu, si vous ne le laissez pas entrer en vous, vous ferez un mauvais chemin, vous ferez fausse route. Mes amis, nous allons donc au commencement de la cérémonie de ce soir, comme rénovation du don de nos âmes à Dieu, demander à Dieu de bien établir son règne en nous. C'est le fond de nos obligations, de notre direction. Etant en nous, il suffit à tout. Quand l'obéissance commandait, la bonne Mère s'y mettait tout entière, absolument, sans restriction, parce que Dieu était là. Quand Dieu voulait faire connaître un secret de son cœur, un aveu de sa divine charité, elle n'avait qu'à l'écouter. Dieu était là qui le lui montrait. Mes amis, demandez au bon Dieu de rester avec nous tous et qu'il établisse son règne dans toutes les âmes qui nous touchent. “Que ton Règne vienne” (Mt 6:10). Amen!