Allocutions

      

La bénédiction du Pape

Texte pris d’un cahier ronéoté daté “Rome 1922" et portant le titre “Retraite Générale de 1890 et Instructions du T. R. P. Brisson recueillies pendant les années 1890 - 1891".

Dans une note à la p. 70 il est dit: “Nous avons fidèlement recueilli cette allocution, prononcée probablement en 1890 ou 1891, mais nous ne pouvons pas absolument nous rappeler en quelles circonstances”. Le texte est très proche de celui de l’allocution précédente.

Je demande au bon Dieu de vous remercier lui-même du concours que vous donnez à l’œuvre de Saint François de Sales, concours de toute nature et de toute sorte, mais surtout d’affection, de bonne volonté et de bon jugement. Ces choses valent cher devant le bon Dieu: j’en sais quelque chose. Notre-Seigneur disait à ses Apôtres: “Je vous remercie, vous qui êtes demeurés constamment avec moi dans mes épreuves” (Cf. Lc 22:28). Cette parole de Notre-Seigneur, je vous l’adresse à tous, parce que tous vous la méritez: parce que tous vous êtes venus coopérer à cette œuvre qui, d’après les paroles de la bonne Mère Marie de Sales, doit avoir une si grande influence sur le monde.

C’étaient d’abord, à l’origine, des événements intimes qui se passaient dans le secret du petit parloir de la Visitation: cela tenait bien peu de place dans l’histoire. Mais, lorsqu’il y a quelques années, le P. Deshairs et moi, nous faisions notre pèlerinage ad limina, lorsque nous nous dirigions vers Rome où nous allions chercher la bénédiction du Souverain Pontife sur cette œuvre, nous étions loin d’attendre une bénédiction pareille, une affirmation aussi positive, aussi absolue que celle que nous avons obtenue. Le Saint-Père me dit: “Vous êtes à Rome, qu’y venez-vous faire?”
— “Saint-Père, je viens vous demander votre bénédiction”.
— “On ne vient pas à Rome pour demander la bénédiction du Pape. On m’écrit et je réponds en envoyant ma bénédiction. Pourquoi êtes-vous donc venu?”
— “Très Saint-Père, c’est que ces semaines dernières à Paris je voyais le nonce, Mgr Czacki: «Allez à Rome», me dit-il, «racontez au Pape ce que vous faites; cela lui causera un grand plaisir»”.
— “Je comprends”, dit le Pape, “que vous veniez à Rome pour me dire ce que vous faites; et cela me fera plaisir. Parlez-moi donc de toutes vos œuvres, de vos fondations”.
— “Oh! Saint-Père, je les ai fondées, c’est vrai, mais bien malgré moi!”
— “Comment?”
— “Très Saint-Père, il y avait à la Visitation de Troyes une supérieure très en renom de vertu, de capacité. Dans tout l’Institut, elle avait une grande réputation de sainteté et de vénération. Cette Sœur me répétait sans cesse que le bon Dieu avait des vues particulières sur le monde; qu’il devait renouveler sa charité en un grand nombre d’âmes; que les desseins de Dieu étaient manifestes, et qu’elle avait vu que moi-même je devais entrer dans l’action de cette grande affaire. Je dis à la bonne Mère que je n’avais aucun goût pour ces sortes de choses merveilleuses, et que j’étais bien décidé à m’en abstenir toujours”.

Je racontais alors au Saint-Père par quels différents moyens la bonne Mère avait cherché à obtenir mon consentement. La conversation durait avec le Saint-Père depuis longtemps. Il y avait bien trois quart d’heures que j’étais là. À la porte, en sortant, j’ai constaté des cardinaux, des évêques qui attendaient. La Pape ne paraissait ni fatigué, ni pressé. Je dis les différents moyens que j’employais moi aussi pour m’assurer de la volonté de Dieu, et comme toujours je résistais. Je lui citai le trait de Fanny de Champeaux qui vint me réciter un matin, au confessionnal, trois phrases que j’avais traduites de la Somme de saint Thomas, et la pauvre enfant était vraiment dénuée d’intelligence. Le Pape en parut très frappé. Il me dit alors: “Mais que vous fallait-il de plus? Cela ne vous suffisait-il pas?”
— “La bonne Mère demande à Dieu un dernier moyen auquel je ne pouvais pas résister: l’apparition de Notre-Seigneur lui-même”. Alors le Pape qui écoutait cela avec une grand attention et une grande bienveillance, descendant de son trône, vint s’asseoir familièrement auprès de nous, sur une petite chaise de paille, il prit nos mains et les appuya sur ses genoux: “Pourquoi donc n’obéissiez-vous pas? Est-ce que vous n’êtes pas prêtre. Est-ce que tout ce qui participe au salut des âmes ne vous touchait pas?”
— “Très Saint-Père, si mon évêque, mon confesseur m’avait ainsi parlé, je me serais rendu, mais c’était une femme, et je ne pouvais me décider à capituler”.

Le Pape se leva alors, souverainement, majestueusement: “Tout ce que vous avez fait dans vos œuvres, Dieu le voulait de vous et de toutes les personnes qui ont travaillé avec vous. Ce que vous faites maintenant, Dieu le veut, et il travaille avec vous. Ce que vous projetez, Dieu le veut encore, et de tous ceux qui opèrent avec vous. Ils feront ce que Dieu veut d’eux. Que demandez-vous de plus? L’approbation? Or moi, le Pape je vous la donne, et qui plus est, je vous envoie. Allez à la France! Vous irez encore ailleurs... Entourez-vous d’âmes religieuses, jusqu’à l’effusion du sang. Moi le Pape, je travaille avec vous!”

Nous lui demandons sa bénédiction. Il nous la donne avec une extrême bonté et il nous dit: “Souvenez-vous bien de ce que je viens de vous dire. Vous ne vous en allez pas seuls. Le Pape est avec vous!”

Inutile de ne rien ajouter. Notre récompense de tant de travaux, de luttes et de souffrances, était obtenue. Chacun de nous deux, le P. Deshairs et moi, fit dans le fond de son âme un acte d’adhésion complète, d’amour au Sauveur et aussi de confiance à la bonne Mère. La voilà la récompense: c’est l’assurance que Dieu est avec nous, qu’il travaille avec nous, que nous faisons sa volonté et son bon plaisir. C’était assurément la meilleure, la plus douce des récompenses, la suprême récompense, assurés que nous sommes par la parole de Léon XIII, que tout ce que nous ferons sera béni de Dieu, et que nous ferons toujours absolument, entièrement sa divine volonté.