Allocutions

      

La soutane est un habit royal

Instruction du 26 août 1888
pour la prise d’habit de Louis Siroux

Mon cher ami, je reprends pour vous parler les paroles par lesquelles commence la sainte messe d'aujourd'hui: “Seigneur, regardez de votre regard d'amour celui que vous choisissez aujourd’hui, parce qu'il est meilleur d'habiter en votre maison un seul jour que d'habiter aux tentes des pécheurs les plus fortunés pendant des milliers d'années” - [“Protector noster, aspice, Deus, et respice in faciem Christi tui; quia melior est dies una in atriis tuis super millia...” (Cf. Ps 84:11). Pourquoi le bon Dieu permet-il que ces paroles commencent la messe de ce matin, sans que nous l'ayons prévu? Pourquoi cette coïncidence entre les paroles de l'introït et cette cérémonie à laquelle ces paroles conviennent si bien? Le bon Dieu a de ces attentions, de ces tendresses à nulle autre comparable. La bonne Mère me disait souvent: “Comme le bon Dieu fait les choses délicatement, comme on reconnaît bien qu'il met sa main dans quelque chose! Cette main se montre si bonne, si bienveillante, si intelligente pour nous faire plaisir!” J'accepte ces paroles de la bonne Mère et j'accepte le bon Dieu de ce qu'il vous choisit aujourd'hui pour être vraiment son Christ, pour être à lui, pour être celui qu'il marque, qu'il oint et consacre de sa grâce, de sa charité, de sa dilection.

Je vous félicite, mon cher ami, de ce que vous prenez aujourd'hui ce parti. Il est le meilleur. Aujourd'hui au pied de l'autel, vous prenez le joug de Notre-Seigneur dans le cœur, la sainte livrée de son service sur vos épaules. Oh! C'est mille fois meilleur que les fêtes des pécheurs! Vous avez bien choisi la première et la meilleure place, elle ne vous sera pas ôtée, elle vous sera conservée pour toujours. Ce que vous donnez aujourd'hui, vous le donnez à jamais, et Dieu ne retirera jamais sa grâce, il ne fera que l'augmenter. Celui à qui il a été donné, il lui sera donné encore, afin qu'il abonde.

Soyez félicité de ce que vous revêtez aujourd'hui le vêtement propre des ministres du Seigneur, de ses apôtres. Le monde impie a beau jeter la dérision et l'affront sur les vêtements sacerdotaux: ils sont couverts d'honneur et de gloire. Prenez ce vêtement, mon cher ami, dont se sont servis tous les héros du Christ. C'est ce vêtement qui a recouvert les plus grands saints, ceux qui ont sauvé la société et qui la sauvent encore. Sous ce vêtement ont battu les cœurs les plus amis et les plus remplis de zèle de la gloire de Dieu. C'est le vêtement de ceux qui l'ont aimé davantage. Oui, vous l'aimerez aussi Notre-Seigneur, vous vous dévouerez à lui tous les jours de votre vie, en la façon que l'obéissance vous dira, votre volonté sera déposée en la sienne. Vous n'aurez plus votre action personnelle, ou plutôt votre action sera centuplée, divinisée, et Dieu exaucera tous les désirs de votre cœur.

Quand nous nous donnons au bon Dieu, non, plutôt quand le bon Dieu se donne à nous, est-ce pour imposer un joug sur nos épaules? Non. Pourquoi donc est-ce faire? La sainte Ecriture nous le dit: C'est pour faire notre volonté, c'est pour accomplir les désirs de nos cœurs. Vous le verrez. Tout ce qu'il y a en nous de bon, de généreux, d'intelligent, de dévoué, le bon Dieu le fait en nous, le seconde, le centuple. C'est lui, c'est son action en nous. En vous revêtant de sa livrée, comme disent les prières de la consécration que nous allons réciter, que Dieu vous revête de sa force, de sa sainteté. Suivant l'expression de saint Paul, que vous soyez revêtu de Jésus-Christ lui-même: non seulement de son intérieur, mais de son vêtement extérieur, pour que vous lui ressembliez, que vous soyez comme lui. C'est une grande grâce qui vous est souhaitée par cette prière. On ne vous reconnaîtra pas d'avec lui, car enfin le prêtre au saint tribunal, dans la direction des âmes, au milieu des peuples, qu'est-il autre chose? Est-ce qu'il n'est pas entièrement revêtu de Notre-Seigneur ? Est-ce qu'en le voyant on ne voit pas Jésus-Christ? Vous serez fidèle à cette grâce de votre saint habit. Transformez-vous bien. Laissez vos vieux vêtements qui ne sont plus d'usage, pour vous revêtir constamment du vêtement éternel de Jésus-Christ. Agissez comme un autre Jésus-Christ; priez, opérez, travaillez, comme il a travaillé et prié. Voilà la pensée de cette cérémonie, non seulement pour vous, mon cher ami, non seulement pour moi, mais pour votre cher oncle, pour votre père, votre mère, pour nos Pères et nos Frères qui ont suivi avec vous les exercices de cette retraite. Ils ne veulent plus faire qu'un seul cœur, une seule âme avec vous, et dès lors ils se sentent obligés, ou plutôt doucement et suavement portés, à prier pour vous, à faire pour vous les vœux dont j'ai parlé. Oui, mon cher ami, tous nos vœux se réunissent sur vous. Que Jésus-Christ vous couvre de lui-même et vous fasse prendre possession de ce royaume vrai, de ce royaume éternel, car Jésus-Christ est le roi immortel des siècles.

La soutane que vous allez porter est un véritable habit royal, l'habit de ceux qui commandent au Ciel. Le Ciel ne s'ouvre-t-il pas à la parole du prêtre, à la parole de ceux qui commandent à la terre? Car ne nous faisons pas d'illusions, les chaînes, les supplices peuvent bien distinguer les bourreaux, à eux nous laissons ces marques. Nous, nous portons un habit d'une autre distinction, un habit royal qui les domine d'autant plus haut qu'ils ne savent plus quels efforts faire pour détruire le règne de celui qui nous guide.

Gloire à Dieu, roi éternel des siècles! Le Christ commande, il règne et son règne n'a pas de fin. Ceux qui sont avec lui règnent avec lui pour toute l’éternité” (Dn 12:3). Croyez-y, mon cher ami, et dans cette croyance venez vous donner à Dieu en cette première oblation que vous faites de votre personne.