Allocutions

      

Le Directoire et l’obéissance assurent la sainteté

Instruction du 2 mai 1888 au noviciat

Mes enfants, il faut que nous devenions, non pas de bons religieux, cela ne suffit pas dans les circonstances actuelles, mais de saints religieux. Est-ce bien difficile de devenir un saint religieux? Non, ce n'est pas difficile chez les Oblats de saint François de Sales. Ailleurs, c'est bien plus difficile. Ailleurs, pour être saint, il faut qu'on se fasse saint soi-même, qu'on prenne sur soi, sur sa volonté, son intelligence, ses forces physiques et morales. Ailleurs, c'est une affaire individuelle. Et c'est là la pensée, l'idée qu'on se fait en général de la sainteté, et on a raison. La sainteté en général est le résultat des vertus, des efforts, de l'héroïsme même de l'individu. Combien de personnes vous diront: se faire saint, c'est autre chose, c'est bien difficile. Ont-ils tort? Non. Comment se fait-il donc qu'aujourd'hui je vienne vous dire que ce n'est pas une chose difficile, et qu'il faut que vous vous fassiez saints. Et je le répète, ce n'est pas difficile chez nous.

Qu'est-ce qu'il faut faire chez nous pour devenir saint ? Simplement obéir à un livre et à un supérieur. Obéir à un livre que vous avez entre les mains et au supérieur qui a charge de vous. Le livre, c'est le Directoire, le supérieur, c'est votre maître des novices. Avec ces deux ressources, ces deux points d'appui, ces deux forces, vous arriverez à la sainteté.

Le Directoire abrège la besogne. Vous mangez à la table du Père céleste une nourriture toute préparée. Notre-Seigneur fait dans l'Evangile une comparaison délicieuse: “Jérusalem, Jérusalem” dit-il, “combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont la poule rassemble ses poussins sous ses ailes..., et vous n’avez pas voulu” (Mt 23:37). Que fait la poule pour ses poussins? Les poussins ne sont pas gros. Quand la poule leur donne à manger, elle émiette la nourriture en morceaux assez fins pour que chacun des petits puisse saisir ce qui lui est nécessaire, pour que leur petit gosier puisse l'avaler et le digérer. Que les poussins soient seuls, qu'on mette à leur portée du grain bon mais gros. “C'est bien difficile de vivre”, diront-ils, et ils mourront de faim. Avec leur mère, il ne leur est pas difficile de vivre, de grandir et de croître. Eh bien, mes enfants, la doctrine de saint François de Sales est une nourriture préparée, broyée pour vous. La sainte Eglise, dans la collecte de Saint François de Sales, dit qu'il a ouvert aux âmes une voie “simple et facile”. C'est un chemin uni, où tout le monde peut marcher, à moins que l'on n'ait pas de jambes. Les vieillards, les enfants, les infirmes, les boiteux, qui ne pourraient pas monter la montagne peuvent suivre ce chemin uni, qui est pour tout le monde. C'est le chemin de la sainteté aplani, c'est la nourriture qui va à toutes les âmes, c'est un moyen sûr et facile. Je ne dis rien de trop.
Prenez votre petit livre du matin au soir. Vous ne vous fatiguerez pas tant que si vous étiez dans une autre voie. Il faudrait pratiquer des mortifications, des humiliations, des jeûnes, coucher sur la dure, faire des pratiques difficiles, énormes. Cette manière est bonne: elle donne d'heureux résultats pour les âmes qui sont appelées à marcher dans cette voie. Elles doivent aller par là; il n'y a pas un seul chemin dans le champ du Père de famille. Mais notre direction à nous est sûre. Nous n'avons pas à nous dire: “Suis-je dans ma vocation?” Personne ne sait s'il est digne d'amour ou de haine. Vous avez votre petit livre: “Fais cela et tu vivras” (Lc 10:28). En faisant votre livre, vous faites toujours ce qui est le plus agréable à Dieu.

Quelle destination, faire toujours la volonté de Dieu! Faites bien cela et le jour où le bon Dieu vous demandera quelque chose de particulier et de difficile, ce sera comme le 13e article de votre Directoire, comme le dernier chapitre qui ne vous sera pas plus difficile que les autres, parce que vous aurez pris l'habitude d'être toujours fidèle et que les plus grandes choses ne vous seront pas plus difficiles que les plus petites.

Vous avez, avec votre livre, l'obéissance au maître des novices et à ceux qui sont en charge, qui ont quelque emploi, quelque office. L'obéissance est-elle rude? Non, elle n'est pas bien mortifiante. On ne cherche pas à vous humilier, à vous blesser, à aller jusqu'au fond de votre caractère, pour tuer mathématiquement votre nature. Non. On veut arriver sans doute jusqu'au fond de votre volonté, mais par des moyens doux, simples, sans rien brusquer ni violenter. Comprenez bien votre bonheur. “Mais dans les séminaires, c'est la même chose”. Non, ce n'est pas du tout la même chose. On se lève à la même heure sans doute, on mange la même chose et on s'habille de même. Mais ce que tout le monde ne fait pas, c'est le Directoire, cette gymnastique surnaturelle, cette fidélité de chaque instant, la voie simple et facile. C'est exactement comme si vous disiez que toutes les familles se ressemblent parce que dans toutes on mange du pain, de la viande et des pommes de terre. Oui, mais ce n'est pas accommodé de même chez les pauvres gens qui n'ont pas le moyen et chez les gens riches. Ce que vous avez à faire ici, c'est quelque chose de complet, d'entier, de fini et de facile.

Prenez la vie de la bonne Mère Marie de Sales. Qu'est-ce que c'était extérieurement ? Rien, Et pourtant c'était une vie extrêmement sainte. Pourquoi ? Parce qu'elle était fidèle à l'obéissance. C'est ce qui en a fait un thaumaturge. “Avec de si petits moyens?” Oui. Ces petits moyens sont quelque chose, quand on ne fait pas seulement un acte en passant, qu'on ne donne pas seulement un coup de collier, mais qu'on va d'une façon continue. C'est la rivière dont vous essayez de remonter le courant. Si vous vous arrêtez, vous êtes perdus.

Cette fidélité-là s'étend donc au Directoire, aux ordres du maître des novices. Jusqu'où doit-elle s'étendre? Je pourrai vous le dire un autre jour. Le Coutumier réglera cela, car nous aurons notre Coutumier qui nous dira comment il faut nous habiller, manger, nous tenir, parler, agir dans les actes de notre vie extérieure, dans nos rapports avec le prochain, avec nos amis, nos ennemis, avec tout le monde.

Soyez simples et doux, mais forts et généreux. En faisant ainsi, vous serez encore forts et généreux en face des dangers, des sacrifices. Vous retrouverez tout cela. Vos âmes seront fortement trempées, si vous les trempez constamment dans la volonté de Dieu. Mais si après l'avoir trempée, vous la détrempez, elle tombera et se brisera. Voilà la vertu qu'on acquiert d’un grand coup, par un acte d'imagination. Mais si au lieu de la tremper brusquement d'un grand coup, vous le faites d'une façon longue, continue, perpétuelle, jetez-là par terre, vous ne la casserez pas.

Voilà ce que fait l'homme généreux, avec une volonté naturellement timide et qui n'a pas de consistance en apparence. Cela la rend “forte comme la mort” et comme “le zèle d’amour” qui, selon notre saint Fondateur, est fort “comme l’enfer”. Rien ne peut la briser. Travaillons bien dans ce sens-là. Paraître fort, généreux, impassible devant les hommes, ce n'est rien, l'homme ne doit entrer en aucune considération devant nous. Saint Paul disait: “Ne vous souciez pas du jugement des hommes, soyez invulnérables à tout trait de méchanceté, de calomnie, de malveillance, de haine. Si vous êtes bien en union avec Dieu, rien ne pourra vous émouvoir ni vous décourager. Ayez une grande fidélité, une fidélité respectueuse, soigneuse, une fidélité qui n'ait rien de raide, qui soit constante, complète à chaque chose”.

Je termine, mes enfants, en concluant que vous devez tendre à la sainteté, et que cette sainteté est facile, par votre Directoire et par l'obéissance à vos supérieurs. Cette sainteté, on l’acquiert par une grande fidélité au Directoire. Celui-ci procure directement et complètement la sanctification. De même l'obéissance complète assure la sainteté. Cette sainteté s'acquiert donc par de petits moyens, par une persévérance continuelle et forte. Ce n'est pas comme l'acier qu'on a voulu tremper vite, à grands coups et qui se rompt au premier choc. Vous vous donnerez généreusement à la pratique du Directoire, à l'obéissance, à la volonté de Dieu. Fiat! fiat! Le bon Dieu sera aussi content de vous. Ce sera le paradis sur terre. Dans le Ciel, le paradis c'est la volonté de Dieu. Or il n'y a pas deux paradis, celui du Ciel et celui de la terre, c'est le même, c'est la volonté de Dieu.