Allocutions

      

C’est parce que j’ai cru que je parle

Instruction du 21 novembre 1887
pour la rénovation des vœux, en la fête de la Présentation de la sainte Vierge Marie

“J’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé” (2 Co 4:13). J'ai cru, et voilà pourquoi je parle aujourd'hui.
“J’ai cru”, et voilà pourquoi aujourd'hui je viens dire à Dieu: “Je me donne, je me donne entièrement à cette chose à laquelle j'ai cru”. C'est en effet la première disposition que nous devons apporter, mes amis, à cette cérémonie. Ce n'est pas une simple formalité, c'est un acte réel, un acte grave, un acte qui a un contrecoup sur l'âme et un effet extrêmement important aux yeux de la sainte Eglise.

Vous avez cru à quoi? En vous faisant Oblats ou en demandant à l'être, vous avez cru à votre vocation religieuse. Votre rénovation est un acte éminent de foi; votre rénovation, au regard de la sainte Eglise, de la doctrine catholique, vous constitue dans un état à part, singulier, qui vous rend étrangers au milieu du monde, duquel vous n'avez plus ni les habitudes, ni les goûts, et duquel vous ne faites plus les œuvres.

Vous avez cru, est-ce vrai? Croyez à votre vocation d'une foi ferme, sincère; croyez à l'excellence des actes de la vie religieuse, qui devant Dieu sont des actes parfaits, renfermant en eux toutes les conditions d'un mérite éternel, de la réconciliation de l'âme avec Dieu, de l'intimité avec Dieu. Croyez-vous à l'obéissance, qui est comme un vrai sacrement, opérant des choses merveilleuses selon l'ordre de la grâce et souvent selon 1'ordre de la nature? “Seigneur, augmente en nous la foi” (Lc 17:5).

Croyez-vous à la pauvreté? À la nécessité d'une pauvreté absolue qui nous constitue dans un état où nous sommes fermes, forts, saints, qui nous met dans une condition telle que nous somme séparés vraiment des choses du monde, ne vivant que de Dieu seul? Vous croyez sans doute à la chasteté en général, mais croyez-vous à celle de notre saint Fondateur, qui n'est pas seulement la chasteté négative, l'absence du péché contre la chasteté, mais la perfection de la charité, la délicatesse de l'amour de Dieu?

Vous allez parler, croyez-vous? Et croyez-vous à toute l'étendue de ces doctrines? Croyez-vous à votre mission divine? à ce qu'a dit de vous la bonne Mère Marie de Sales, à ses prédictions, à ses promesses, à la nécessité de prendre les moyens qu'elle a indiqués? Croyez-­vous à son esprit, à ses grâces? Si vous croyez, parlez, dites la parole de la formule des vœux, mais de grâce, croyez à ce que vous direz!

O mes amis, que la foi religieuse a donc d'importance: la foi aux mystères, la foi à Notre-Seigneur. C'était, dans l'Evangile, ce qui gagnait le cœur de Notre-Seigneur: “En vérité, je vous le dis, chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël” (Mt 8:10). La foi religieuse ravit encore davantage son cœur. Si vous croyez complètement, vous êtes bienheureux. Vous serez soutenus par la toute puissance divine. Votre faiblesse ne subsistera plus, vous serez dans une atmosphère toute divine. Votre pauvre petite pierre sera consolidée dans un massif, elle reposera sur le béton, elle sera inébranlable. Elle sera toute puissante. La foi transporte les montagnes. Voyez saint Grégoire le Thaumaturge, dont nous célébrions la fête ces jours derniers. Il changeait une montagne de place. Voyez saint Maur marchant sur les eaux, saint Frobert, notre voisin, portant une meule sur son épaule.

Demandez au bon Dieu cette foi ferme, profonde, que je voudrais voir descendre dans vos âmes, la foi de la bonne Mère Marie de Sales. La foi, c'était toute elle-même. Elle n'admettait rien, ne comprenait rien en dehors de cela, en dehors de ses vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Croyez donc et promettez.

Un autre sentiment doit suivre celui de la foi. En vous examinant depuis le jour où Dieu vous a dit: “Venez”, voyez vous que vous avez été bien fidèles, que vous ayez bien suivi la grâce? Depuis le premier jour où, comme le jeune homme de l'Evangile, vous avez entendu cette parole: “Suis-moi” (Mt 19:21), avez-vous suivi? Votre vie a-t-elle été pure, vos mains sans souillures, votre cœur sans égarement, vos sens sans tache? "Brisé, écrasé, à bout, je rugis, tant gronde mon cœur” (Ps 38:9). Pour mon compte personnel, je ressens l'humiliation la plus profonde en pensant à ces choses. Qu'ai-je fais de tout ce que le bon Dieu m'avait mis en main? N'ai-je pas marché longtemps en dehors de la voie? Seigneur, qui peut me consoler? Qui me répondra aussi de l'avenir? Est ce que l'homme n'est pas faible, menteur? Si j'ai mal fait, Seigneur, vous pouvez me pardonner. La rénovation de mes vœux sera comme un second baptême. Mais l'avenir? Notre nature tend au péché, tend au mensonge. Enfant d'Adam, je me mens à moi-même, j'essaie d'en imposer à Dieu, et c'est le principe de ces tiraillements de conscience, de ces faux principes à l'aide desquels on essaie de se mettre à couvert. Délivrez-moi de ce vice, de ces funestes inspirations; que je sois, comme vous, vérité. “Mais qui donc extraira le pur de l’impur?” (Jb 14:4). Vous seul, Seigneur, pouvez faire cela.

Ajoutez à la grâce du pardon pour le passé, celle de la force pour l'avenir. Je sais que celui qui retombera deviendra pire. “Aide-moi, Yahvé mon Dieu” (Ps 109:26). Tels sont les sentiments qui doivent maintenant nous occuper. C’est dans ce fonds que nous devons renouveler nos vœux.

Comment faire? “J’élèverai la coupe du salut, j’appellerai le nom de Yahvé” (Ps 116:13). C'est au tabernacle que nous irons. Le calice du salut sera pour nous la source de toute vie, de toute vérité. Permettez, Seigneur, que nous prenions ce calice entre nos mains, que nous le prenions de tout notre cœur, de toute notre âme: “Aide-moi, Yahvé mon Dieu. ...J’élèverai la coupe du salut, j’appellerai le nom de Yahvé” (Ps 109:26; 116:13). Voilà notre appui, notre espérance. Voilà ce qu'il faut que nous soyons pour nous.

Ce qu'il faudrait que nous fussions pour la sainte Eglise, ce serait bien long à dire. Disons pourtant que si nous sommes fidèles, l'Eglise pourra nous employer, nous envoyer pour opérer de grandes choses pour le salut des autres. Combien notre ministère est grand! Quel est celui d'entre nous, novice même ou prétendant, qui n'a pas quelque peu charge d'âmes? Vous faites la classe, vous avez à surveiller de petits enfants, c'est charge d'âmes. Si vous êtes saint, vous leur communiquerez les grâces de Dieu, vous agirez sur eux en mesure de votre sainteté personnelle. Si vous n'êtes pas saint, si vous n'êtes pas un religieux entièrement à votre devoir, vous ne ferez que la besogne d'un mercenaire. Le mercenaire travaille pour lui. Celui que Notre-Seigneur dédaigne quand il le compare au bon pasteur et qu'il dit: “Pour le mercenaire, il ne s'occupe pas de ceux qui lui sont confiés” (Cf. Jn 10:13). Voilà le mercenaire que vous imitez! Le moindre petit ministère que vous remplissez, renferme déjà d'immenses obligations et vous oblige à la sainteté, ne l'oublions pas, sous peine d'être le "cymbale qui retentit”, qui ne rend qu’un son vain et ne touche pas le cœur (1 Co 13:1).

Que dirai-je de nos novices en particulier? Les novices préparent leur avenir par leur sainteté. Ils préparent l'avenir de la Congrégation et de la sainte Eglise qui attend beaucoup d'eux. Qu'ils y fassent grande attention! Leur vie religieuse tout entière sera la continuation de leur noviciat, ou plutôt elle en sera le couronnement. Le novice qui n'est pas fervent, qui n'arrache pas du fond de son cœur les racines mauvaises et les plantes parasites, prépare une mauvaise récolte pour l'avenir. Le novice qui est saint reste saint dans sa vie religieuse. C'est la base, la fondation, le germe de toutes les grâces qui se développeront un jour. Recueillez bien vos âmes, comprenez bien cette doctrine. Que le maître des novices fasse bien comprendre ces choses: ces paroles sont esprit et vie, ce sont des paroles obligatoires. Il n'y faut apporter ni changement, ni modification. C'est la parole de Dieu, le verbe de Dieu; comprenez ces choses et faites-les.

N'est-ce pas aux religieux que sont départies les grâces qui doivent sauver le monde? Léon XIII me disait que c'est par les missions qu'ils font que le monde doit être sauvé. Ce que le religieux opère produit toujours du fruit, s'il est bon religieux : en classe, au confessionnal, en mission, parce que c'est Notre-Seigneur qui opère par lui. Un Oblat, comprenez-le bien, qui veut vivre religieusement, qui veut accomplir sa mission divine, n'y arrivera que par une fidélité de tous les instants. Que ce soit là votre force et votre espérance.

Renouvelez devant le bon Dieu la promesse d'accomplir tout ce que nous venons de dire; que cette promesse soit fondée sur la foi, l'espérance, la sincérité. Qu'elle soit fondée sur l'amour immense et intime que nous devons porter à Notre-Seigneur, que cette promesse soit écrite aux cieux, suivant le désir de notre Saint Fondateur et qu'elle soit de perdurable mémoire. Et tous, généreusement et joyeusement, nous prierons les uns pour les autres pendant le chemin, jusqu'à ce que nous soyons arrivés au terme où nous serons tous réunis.

Vous n'oublierez pas nos Pères qui sont au loin. Ils sont unis à nous ce soir dans la rénovation de leurs vœux. Ils s'appuient sur les prières de la communauté ; soutenons-les bien; leur mission difficile réclame tant de foi et de confiance. Ne faisons tous qu'un cœur et qu'une âme, avec le Sauveur, et  tous ensemble, et cela aujourd'hui et toujours.