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C'est un grand pas que vous faites

Allocution du 8 janvier 1888 pour une réception au noviciat

Mes enfants, aujourd'hui vous venez dire au bon Dieu que vous vous donnez à lui et que vous vous donnez sans limite et sans réserve. Vous donnez non seulement votre amour et votre cœur, mais votre dévouement, votre vie tout entière; vous porterez avec lui toutes les choses auxquelles il vous destine pour le salut des âmes, dans vos rapports avec les fidèles. Vous venez porter avec lui le poids du jour et de la chaleur, les épreuves de la vie, les souffrances, tout ce qui vous arrivera enfin, tout ce qui répugnera à votre nature, tout ce qui la contredira et la fera mourir. C'est donc un grand pas que vous faites; il vous faut une confiance au bon Dieu sans limite. Vous vous donnez à lui les yeux bandés, les mains liées: “Seigneur, votre main me conduira, votre voix m'indiquera le chemin. J'abandonne à votre volonté, à votre inclination divine, ma volonté, mes goûts, mes passions”. Voilà le pas que vous faites aujourd'hui. Que le bon Dieu vous appelle aux travaux manuels, à l'apostolat, aux choses de la science et du travail intellectuel, peu importe ce qu'il demande, quelle que soit la chose que sa volonté sainte réclame, vous ne vous occuperez plus de vos volontés, ni de vos goûts, vous ne vous inquiéterez plus de ceci ou de cela. Il n'y aura plus qu'un seul attrait pour vous, qu'une seule parole: le bon plaisir de Dieu. C'est en Dieu que sera votre emploi, en son bon plaisir, en son divin vouloir. Voilà les dispositions dans lesquelles vous devez être aujourd'hui.

Vous, mes enfants, qui commencez, nous qui continuons, nous n'aurons qu'un seul but, un seul chemin, l'accomplissement de la volonté de Dieu. C'est ce qu'a fait le bon Maître: “Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé” (Jn 4:34). Vous aurez de grands secours dans cette voie. Le bon Dieu ne vous appelle pas pour vous jeter dans un désert, dans un lieu de désolation. Ecoutez son appel, le son de sa voix est doux et suave: “Je serai ton guide dans la route”. C'est lui qui nous guide et nous conduit. O guide aimable et sûr, nous nous remettons entre vos mains. N'est-ce pas là la leçon que nous a apprise notre Mère, la bonne Mère Marie de Sales? Dans tout le cours de sa vie, n'est-ce pas ce qu'elle a fait toujours? N'est-ce pas ainsi qu'elle a commencé, continué et fini? Elle écoutait ce que le Sauveur disait et après, elle disait toujours un grand “oui”, un “oui” ni étudié, ni partagé, mais un “oui” spontané, complet, entier. C'est là ce qu'on appelle la Voie, la voie dans laquelle nous marchons: “Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie” (Jn 14:6). “C'est votre parole, Seigneur Jésus, ce sont vos exemples, c'est votre grâce intime: voilà notre voie. À vous donc notre sacrifice, à vous et pour toujours. Demeurez avec nous car il se fait tard et les ténèbres ont déjà envahi la terre. Oui, sans vous ce sont les ténèbres, les inquiétudes, ce sont les tentations qui viennent frapper à la porte. Avec vous, c'est la lumière et la paix. Si, comme au jour de la tempête, vous dormez, nous vous réveillerons en criant vers vous, et vous nous répondrez à nous aussi: «Hommes de peu de foi, pourquoi craignez vous», et le calme reviendra”.

Commencez comme cela. Voilà ce qui est bon, ce qui est entier et complet, ce qui est vrai, ce qui est la vie. Tout le reste n'est qu'un accident, une adjonction. Voilà tout l'homme, tout l’homme de Dieu, tout l'Oblat de saint François de Sales, tout l'enfant de la bonne Mère Marie de Sales, tout ce qui est absolu, complet, vrai. Pour cela, il faut être bien humble, bien petit. Le petit enfant qui marche en tenant la main de sa mère, se défie, n'ose pas. Vous non plus, n'osez rien faire qu'avec Dieu, avec votre Directoire, avec la direction d'intention, la pureté d'âme sous le regard de Dieu. Seuls, vous tomberiez, vous êtes trop faibles. Vos œuvres seraient mortes sans lui, elles resteraient sans action sur les âmes. Tenez-­vous ainsi auprès du Sauveur. “Seigneur, nous avons essayé de chasser le démon loin de vous et nous n'avons pas pu. Maître, nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre (Lc 5:5). Seigneur, nous avons travaillé sans vous, et c'était la nuit et les ténèbres, et nous n'avons rien pris!”

Comprenons bien que nous ne sommes rien, que la mesure de notre possible, c'est toujours la mesure de notre néant, de notre rien. Là où n'est pas le Sauveur, il n'y a rien absolument rien. Ayez donc peur de travailler seuls. Ayez peur de l'œuvre de vos mains. Ne travaillez qu'avec lui, sous ses yeux, par son ordre, par l'obéissance. Alors il est là, il travaille avec nous, notre œuvre est divine. En dehors de là, ne faites jamais rien, Nous devons agir ainsi, non seulement nous-mêmes et chacun en particulier, mais comme Congrégation. Que notre Congrégation reste petite, que personne ne la voie agir. Ne tirons vanité de quoi que ce soit. Nous ne sommes rien. Laissons bien nos âmes dans ce rien et le Sauveur les emploiera utilement aux besoins de la sainte Eglise. Le Sauveur, si nous le laissons Maître, se plaira à mettre dans notre cœur ce qui est, en son cœur divin, à mettre dans nos mains les grâces que ses mains distribuent. Cachez-vous bien derrière sa personne divine et ne faites pas autre chose. Voilà la voie.

Prenez bien cette résolution aujourd'hui que vous commencez, afin de réaliser les paroles de l'ange: “Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur terre paix aux hommes objets de sa complaisance” (Lc 2:14). La gloire de Dieu est pour le Ciel; l'apanage de la terre, c'est la paix, le calme, le néant, le silence. Nous ferons la gloire de Dieu quand nous serons dans le Ciel. Nous mangerons alors, comme dit la sainte Ecriture, nous boirons, nous ferons le grand festin. Mais sur la terre, c'est le silence et la paix, la paix que les anges nous ont chantée. Comprenez bien cela; encore une fois, c'est là le vrai. La petitesse, l'humilité, la paix de l'âme: voilà la force et la puissance. Elle n'est pas dans les grandes actions, mais dans la douceur et l'humilité. Comprenez bien cela comme particuliers et comme membres de la Congrégation.

Aujourd'hui vous prierez pour notre Saint-Père le Pape et pour les prélats et les personnes qui ont amené si heureusement l'approbation de notre Congrégation. Soyons reconnaissants. Prions Dieu de donner sans mesure à ceux qui nous ont aussi donné sans mesure. Restons bien dans notre petitesse, dans notre humilité. Laissons bien faire le Sauveur, afin que nous soyons vraiment bénis par lui, que nous devenions vraiment ses amis: “Je vous appelle amis parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître” (Jn 15:15). Il n'aura plus de secrets pour nous, plus de mystères, et ce sera le témoignage suprême de son amitié. Tout ce que mon Père me donne, je vous le donne. Allons donc avec courage, avec assurance. Le Sauveur est avec nous, maintenant et aujourd'hui et dans les siècles des siècles, a-t-il dit.