Retraites 1896

      


SIXIÈME INSTRUCTION
Les œuvres des Oblats

Après avoir parlé des dispositions du religieux Oblat, il est nécessaire d'en faire l'application aux différentes fonctions de sa vie d'Oblat: collèges, patronages, missions, direction des âmes. Il faut que nous ayons notre manière d'agir. Si nous n'avons rien à nous, rien de propre, nous ne sommes pas nécessaires. Si nos moyens sont exactement ceux de tout le monde, si l'éducation que nous donnons est identique à celle des autres, nous n'avons pas de raison d'être. Si nous n'avons pas un champ spécial, à nous, que faisons‑nous? Nous ne sommes pas des ouvriers de la première heure, ni de la dernière; nous sommes alors des serviteurs inutiles dans le champ du père de famille.

Ce n'est pas là la pensée de l'Eglise, de notre Saint-Père le Pape, et de la bonne Mère Marie de Sales. Nos Constitutions nous mettent sur le pied de tous les autres ordres religieux. A Rome, on a confiance en notre mission, on espère. Et cela nous a été dit à Rome de plusieurs côtés, que cette nouvelle plante dans le jardin de l'Eglise produira des fruits. Quelle est donc notre manière de voir particulière? Ce que nous faisons dans nos collèges, dans nos œuvres, avant tout, exclusivement, dirai‑je même, c'est de travailler à sauver des âmes, à les gagner au bon Dieu, c'est de travailler à mettre dans les âmes des aspirations à la vertu et à la sainteté, car la sainteté est le propre de tous les fidèles, de tous les chrétiens. En conséquence je ne suis pas alarmé des différentes phases difficiles par lesquelles ont passé plusieurs de nos collèges. Le grand nombre des élèves n'est pas l'essentiel. Si nous avons 100 élèves et que nous en conservions 50 bons, cela ne vaut‑il pas mieux que de n'en conserver que 10 sur 600? Irons‑nous travailler avant tout pour la réputation de nos collèges, pour leur faire donner dans l'opinion publique une note d'honneur? Nous ne serions pas bénis de Dieu, si telle était notre principale préoccupation. Ces idées‑là sont bien mesquines. Encore une fois, notre fin principale, notre fin unique, c'est la sanctification des âmes de nos élèves.

Cela veut-il dire que nous réussirons toujours à faire de nos élèves des saints, que nous réussirons toujours à rendre au moins le grand nombre fidèles à leur foi, croyants, inébranlables, pratiquants, sans défaillir? Hélas non, peut‑être, mais du moins ils auront bien commencé, ils garderont toute leur vie quelque sentiment de leur éducation chrétienne.  Ils ne deviendront pas des sectaires et des blasphémateurs et des ennemis de Dieu, ils ne resteront jamais bien loin du chemin du ciel, et avant leur dernière heure, espérons‑le, ils le retrouveront plus facilement. Je suis votre fondateur. En vous fondant, je n'ai pas voulu autre chose. Et il faut partir de la même idée, du même principe pour toutes les autres choses que nous avons à faire. Mais comment sauver ces âmes? Pour cela, il est nécessaire et il suffit que nous soyons de bons religieux, qui pratiquent constamment leur règle. Les moyens à prendre sont tout indiqués par vos Règles et Constitutions. Dans chaque maison, il y a un Supérieur, chargé de faire observer les Constitutions, et qui pour tous est la voix même de Dieu. “Mais, direz‑vous, le Supérieur est moins fort que moi sur telle ou telle chose”. Peut‑être. Néanmoins, soyez assuré que le Supérieur ne se trompe pas dans l'obéissance qu'il vous donne. Avec elle vous serez toujours fort, quand même elle serait donnée humainement un peu de travers. Et vous réussirez par ce moyen mieux que par tout autre que vous auriez admirablement imaginé. C'est la doctrine des saints. Si nous suivions bien cette doctrine des saints, je vous assure que nous serions bons et heureux religieux. J'ai vu cela quarante ans à la Visitation de Troyes. L'obéissance était absolue. Le moyen prescrit n'était peut‑être pas toujours, humainement parlant, le meilleur, mais le but était toujours atteint, parce que la bénédiction du bon Dieu était sur ces âmes obéissantes.

Le jour où vous aussi, mes amis, vous ferez cela, la Congrégation sera forte, nos collèges seront prospères, dans le sens que je vous disais, et, comme la perfection attire, les bons élèves que vous aurez en amèneront d'autres et vous aurez la confiance et l'estime de tous. Vous êtes surveillant? Faites votre surveillance en esprit d'oraison. Je me rappelle un excellent chrétien, M. Chapelle, qui était maître de pension! Il avait la foi, mais il ne pratiquait pas. Or un soir, en faisant une surveillance de dortoir, il se dit: “J'ai la mission d'élever ces enfants. J'éclaire leur esprit en les instruisant, je surveille leurs mœurs, mais cela ne suffit pas. Il faudrait que j'aie action sur les âmes, sur les volontés, et je ne puis pas tout seul. Je ne puis avoir cette action, qui m’est nécessaire, que par la grâce de Dieu”. Et il alla se confesser et communier. Et il prit la bonne habitude de communier très souvent et de prier presque continuellement pour ses élèves. Et il me disait: “Oh! la belle mission que vous avez, vous autres religieux! A la sainte messe, au memento, quand vous tenez l'hostie entre vos mains vous priez pour vos enfants, et vous obtenez pour eux la sagesse et la bonne volonté que vous demandez à Dieu”.

N'oubliez jamais cela, mes amis, c'est un devoir, et c'est un moyen infaillible d'atteindre les âmes. Si vous le faites, je vous affirme que vous gagnerez vos enfants. La bonne Mère connaissait bien ce moyen, et toutes les jeunes filles qui ont été élevées à la Visitation au temps où elle y était se sont conservées, sauf trois à ma connaissance, mais deux d'entre elles sont déjà revenues à de meilleurs sentiments. A quoi ont‑elles dû cela? A la sollicitude des maîtresses sans doute, mais aussi et surtout à l'action des prières de la bonne Mère et des maîtresses. Voilà notre grand moyen, qu'on s'en souvienne! Je veux qu'on redise bien dans toutes nos maisons: pas de collèges sans ces conditions. Dites bien comme M. Chapelle: “Il me faut l'âme, il me faut la volonté de mes élèves”. C'est un acte de charité divine. Dans les surveillances, ayez l'intention de gagner toutes ces âmes d'enfants et de jeunes gens au bon Dieu. Faites votre classe aussi avec ce sentiment‑là. C'est ce que je ne manquais jamais de faire quand j'étais professeur au grand séminaire de Troyes. Tous les élèves que j'ai eus sont devenus d'excellents sujets. Evidemment ce n'était pas la valeur de ma prière personnelle qui obtenait ce résultat, mais je crois néanmoins que ce résultat était dû à la prière: le premier venu aurait pu le faire bien mieux que moi. Vous avez affaire à un tempérament vicieux, on n'y peut rien. Qui fera le “Que la lumière soit” (Gn 1:3)? Ce n'est pas vous, mais Dieu seul. Si vous ne prenez pas Dieu avec vous en cette entreprise, que ferez‑vous? Une besogne de mercenaire, d'esclave. Une grande prudence est nécessaire au professeur, à l'éducateur, pour former les enfants.  Et il faut aussi le renoncement, l'obéissance. Il faut suivre religieusement votre programme, vous conformer à la méthode que l'on vous a indiquée, la respecter, comme vous respectez le Directoire et les Constitutions, quand bien même ce ne serait pas votre manière de voir personnelle. Soumettez‑vous et vous réussirez.

Quand j'ai fondé Saint-Bernard, j'ai consulté M. Vignes. Je lui ai exposé mes projets et indiqué mes moyens: “Vous me consultez comme banquier, me répondit‑il, comme homme d'affaires. À  ce titre, je dois vous répondre que ce que vous faites là, au point de vue humain, c'est une folie. Mais comme chrétien je vous dis: Faites‑le, et vous réussirez, parce que vous obéissez à Dieu qui vous le demande”. “Eh bien oui, me suis‑je dit alors, je réussirai parce que je me conformerai à l'obéissance que Dieu m'a fait donner par la bonne Mère, et Dieu sera avec moi”. Depuis lors, en chaque circonstance où cette obéissance s'offre à moi, j'appelle le bon Dieu et je suis sûr de recevoir son aide. Toutes les fois que vous aussi, mes amis, vous serez dans le devoir, dans les limites de l'obéissance, quoi que vous ayez à faire, appelez Dieu, vous aussi, et il viendra. Faites votre classe avec votre cœur. Si vous ne mettez pas de cœur à votre besogne, vous êtes comme un soliveau au milieu d'un étang. Si les élèves sont mauvais, mettez tout votre cœur pour les rendre bons, s'ils sont bons, mettez‑le à les rendre meilleurs, s'ils sont bornés, mettez tout votre cœur à les rendre intelligents. “C'est difficile!” direz-vous. C'est cependant à cette condition seulement que vous réussirez. 

Et qu'il y ait bien l'unité, la charité entre vous. Il faut croire à l'Evangile: “Si deux d’entre vous, sur la terre, unissent leurs voix pour demander quoi que ce soit, cela leur sera accordé” (Mt 18,19). “Quoi que ce soit”:  entendez‑vous? Le Supérieur, le programme, la direction qui vous est donnée, voilà le point où vous devez tous vous réunir, et je vous le dis avec l'Evangile: cette entente attirera Notre-Seigneur. Si les Oblats de saint François de Sales ne croient pas à cet enseignement et n'en profitent pas, qui en profitera? Que cela se fasse sérieusement, religieusement. Que ces choses du domaine de l'enseignement soient sacrées pour vous. N'y touchez pas humainement, même par vos réflexions, spirituelles parfois, mais pas toujours charitables. Je me rappelle un de mes condisciples qui s'était converti et était devenu pieux. Je laissai échapper un petit mot malicieux. J'en fus aussitôt repris par mon professeur. “Rien, me dit‑il, n'est mauvais comme cela. Une réflexion, un sourire, cela peut éteindre la grâce dans une âme et produire un effet désastreux”. Que l'autorité du Supérieur soit respectée: il a besoin de cela. Qu'on entre dans ses intentions, qu'on l'aime. C'est pénible, mes amis, quand personne ne vient à notre secours. Qu'on soutienne le Supérieur, c'est un grand acte de charité à son égard. En dehors de ces doctrines, nous ne sommes que de petites gens, et nous ne ferons rien de bon. Ayons courage! Que chacun y pense et prenne bien la résolution de se mettre et de marcher dans la voie que je vous indique, et vous verrez que Dieu nous donnera au delà de tout ce que nous pouvons espérer.