Retraites 1896

      


SEPTIÈME INSTRUCTION
La pénitence et la mortification des Oblats

Chaque Institut religieux a sa manière de voir et sa manière de faire. Nous autres, nous n'avons pas de pénitences extraordinaires, nous menons la vie commune de tout le monde. Et pourtant comme religieux et même comme chrétiens, nous sommes rigoureusement obligés à la pénitence. Nous sommes tenus, nous aussi, de porter le joug du Seigneur. Examinons ensemble la vie de l'Oblat. Elle est en réalité très pénible, très austère, et se prête admirablement à nous faire pratiquer la vertu de pénitence. Nous avons des misères et des épreuves que, comme tout le monde, nous devons prendre en esprit de pénitence. Mais je crois qu'outre cela la vie de l'Oblat est l'une des plus mortifiantes qu'on puisse trouver.

D'abord l'obéissance. Pour celui qui vit de la vie contemplative, l'obéissance n'est pas très difficile. Mais pour le professeur qui doit se soumettre continuellement et obéir aux programmes, au supérieur, l'obéissance est dix fois plus pénible. Il a sa manière de voir, fruit de son travail et de son expérience, il doit cependant sans cesse soumettre son jugement. La Règle lui défend de sortir sans permission. Il doit, outre cela, dire où il va, ce qu'il va faire, en rentrant, ce qu'il a fait. Il obéit donc toute la journée: il est dans une sujétion perpétuelle. La Règle défend même d'envoyer ou de recevoir des lettres sans permission. Le supérieur doit tout voir. Il doit surveiller même, dans une certaine mesure et avec grande discrétion, les lettres de direction. C'est une espèce de confession, il est vrai, mais elle est par écrit, et il est bon parfois que le Supérieur voie s'il n'y a pas autre chose que la direction. Il sera très discret, je le répète. Il ne lira pas tout, mais seulement ce qu'il lui importe de savoir. La seule chose que le supérieur de la maison n'ait pas le droit de voir, c'est la correspondance avec le Supérieur Général et avec le Pape. Ceci est vrai. Mais encore, si le religieux est bon, en général il n'écrira pas à son supérieur majeur sans avoir demandé conseil au supérieur local, sans lui avoir dit: “Il y a une difficulté entre nous, une misère. Arrangeons‑nous donc ensemble avant d'en appeler plus haut”.

On a toujours remarqué que ceux qui éprouvaient le besoin d'en appeler ainsi au Pape, avaient un petit grain dérangé dans le cerveau. Il est dit, dans les Constitutions, qu'on a le droit de le faire. Le Pape est le père et le supérieur de tous les religieux. C'est vrai. Mais dans une famille, un fils écrit‑il au Président de la république parce que son père lui à refusé quelque chose? Si vous êtes intelligents, vous ne ferez pas cela. Ce recours n'aura lieu que dans des circonstances extrêmement graves et rares. Vous saurez surmonter une impression trop vive, votre susceptibilité. Si vous êtes vraiment en faute, vous agirez avec votre supérieur comme avec un confesseur. Vous n'irez pas consulter un docteur en théologie On a comme professeur un prêtre jeune ou vieux, on ne regarde pas l'âge: il représente le bon Dieu. Agissez ainsi avec votre supérieur quel qu'il soit. Ne sommes‑nous pas tous de la même famille, et enfants de saint François de Sales? Donc, que le supérieur voie vos lettres. Quand un de nos Pères m'écrit, je lis toujours tout. Si la lettre est délicate ou renferme des choses intimes, je ne la montre pas à nos Pères qui me servent de secrétaires. Quant à ce qui vient de moi, cela peut être lu par tout le monde. Toutes les fois que j'écris, je fais comme saint François de Sales, je fais ma lettre de manière qu'elle puisse être lue par tout le monde et être publiée partout.

N'ayez pas de cachettes dans vos lettres. Ce sont souvent de singulières histoires et bien ridicules. Autrefois un brave Père ne voulait absolument pas qu'on ouvrît les lettres que lui adressait une de ses pénitentes. C'est qu'elle lui mettait à la fin de la lettre: “Je vous embrasse de tout mon cœur”. Le bon Père ne tenait pas trop à ce qu'on le sût. Si dans la lettre que vous devez recevoir ou que vous écrivez, il y a un secret, une peine de famille, un désastre financier ou même une chose qui compromette l'honneur d'une famille, pourquoi ne pas dire simplement au Supérieur: “Je désire que cette lettre ne soit pas lue”. Et le supérieur, homme de bon jugement, ne la lira pas, et il aura pour vous, si c'est le cas, une bonne et encourageante parole.
 
Soyez bien fidèles à ce point de la Constitution. Dans tous les ordres religieux, le supérieur doit au moins lever le cachet des lettres: c'est essentiel. Beaucoup de religieux se sont ainsi perdus par des cachotteries de correspondances. Le manquement à ce point des Constitutions a été une des grandes peines de ma vie dans ces temps derniers. Je range donc le fidèle accomplissement de cet acte d'obéissance dans les pénitences imposées par la Règle de saint François de Sales. Il faut que l'on demande soigneusement les permissions pour tout ce qui est en dehors de la Règle. Il faut bien s'y mettre: je le désire et vous le demande. Pour prendre quelque chose entre les repas, il faut en demander la permission, si vous sentez que cela vous est nécessaire à cause de votre état de santé, ou du travail que vous avez à fournir. Mais qu'on ne garde pas chez soi ses petites provisions. La peine, l'assujettissement à aller demander la permission qu'on ne vous refusera pas, si elle est utile, sera précisément le moyen de vous mortifier.

Vis‑à‑vis des élèves, mortifiez‑vous. Un élève vous ennuie. C'est un petit gamin que vous avez la tentation de bousculer, de frapper même peut‑être: il ne mérite que cela. Ne le faites pas: cela ne se fait pas chez nous! Vous le reprendrez fermement, mais doucement, ce sera votre mortification. Vous aimez un enfant plus que de raison, vous avez à son égard des tendresses féminines. Vous êtes sot. Vous vous mettez ainsi au‑dessous d'une femme. Cela dénote un mauvais fonds, si vous vous laisser aller à ce penchant. La femme est fourbe, naturellement, et vous, vous serez dix fois plus fourbe. La femme est menteuse, naturellement, et vous, vous serez dix fois plus menteur. La femme est traîtresse, et vous serez dix fois plus traître. Si donc vous sentez ces faiblesses de cœur, dites-le à votre confesseur. C'est un piège infernal, dégradant, c'est une diminution, une transformation de l'homme en je ne sais quoi. Cela n'a pas de nom. Pour savoir ce qu'il en est, il faut aller au fond de l'enfer. C'est extrêmement dangereux pour l'âme.

Résistez donc à cette tentation. Tout le monde l'a plus ou moins éprouvée un jour dans sa vie. Mais celui qui s'y laisse aller diffère du tout au tout de celui qui résiste, car lui, il fait un acte de vertu, quelquefois héroïque. Il y a bien là de quoi nous mortifier. Et cette mortification nous la rencontrerons fréquemment, surtout dans le milieu où nous vivons, avec des enfants bien élevés, de bonne famille. Ce sera donc notre mortification. Vis‑à‑vis de vos confrères, mortifiez‑vous. Nous n'avons pas tous le même caractère. Ne nous montrons jamais blessés des bons mots ou des saillies d'esprit de nos frères. Les manquements à la charité excitent la défiance et parfois la vengeance, ce qui est bien peu religieux.

Nous avons, chacun de nous, notre fardeau à porter, comme le reste des hommes. Nous avons à souffrir des misères, des manques d'égards, des peines de famille, des maladies, des mécomptes, des humiliations, des injustices qu'on nous fait, ou que nous croyons qu'on nous a fait. Voilà une ample moisson de mortifications. “Mon Dieu, j'accepte tout cela, toutes ces peines pour votre amour. J'accepte cette humiliation pour mes péchés, cette amertume pour mes pensées mauvaises, cette parole de dédain pour mes manquements à la charité”. Quand on a bien fait cela, on sent quelque chose au fond de son cœur qui nous donne une grande paix. Voilà nos mortifications, mes amis, elles sont obligatoires pour nous. Les Chartreux jeûnent tous les jours jusqu'à 11 heures, ils mangent à leur dîner une carotte crue, un fruit demi‑pourri. C'est dur. Nous, nous avons la même part de mortification en acceptant de tout notre cœur la Règle, l'obéissance, les peines qui émaillent notre existence. C'est ainsi que se sont formés un grand nombre de saints, et dans le paradis nous en verrons une multitude élevés en gloire, qui n'auront pas mené une autre vie que la nôtre. Et ceux qui auront accepté d'un plus grand cœur les mortifications quotidiennes de la Providence seront plus élevés que ceux qui se seront mortifiés selon leur volonté. Comprenons bien cela. Portons bien notre croix, petite ou grande, n'en laissons tomber à terre aucun petit morceau. Que cette pensée incessante nous maintienne dans la stabilité, dans notre état si fructueux, et pour nous‑mêmes et pour les autres.