Retraites 1896

      


QUATRIÈME INSTRUCTION
L'extérieur de l'Oblat

Saint François d'Assise dit un jour à Frère Léon, son compagnon fidèle: “Allons prêcher”. Frère Léon donne son bâton à saint François, et les voilà parcourant les rues de la ville d'Assise, sans dire un mot. Le Frère, au moment de rentrer à la maison, dit à saint François: “Mais quand donc allons‑nous prêcher?” — “Le sermon est fait”, répond le saint. “Et qui l'a prêché?” — “Vous et moi, en parcourant les rues”. Frère Léon était excellent, mais pas encore assez surnaturel. Il ne comprit pas tout de suite. Ce n'est qu'après les explications de saint François qu'il comprit que leur air recueilli et mortifié avait été leur prédication, que leur tenue et toute leur manière d'être portaient les gens qu'ils rencontraient à la foi et à la piété. Nous aussi, il faut que nous prêchions pas notre manière d'être et de vivre, par notre maintien et notre tenue. Et d'abord à l'église, à la chapelle, n'appuyons jamais les coudes sur le prie‑Dieu, ou ce qui en tient la place, à moins que nous ne soyons fatigués, mais posons simplement les mains sur la tablette du prie‑Dieu. Tenons‑nous le corps droit, ayant une attitude de respect.

Evitons de tenir notre menton ou la tête dans nos mains, ou d'avoir une attitude trop inclinée, des manières singulières. Tenez‑vous cependant plutôt un peu incliné que trop droit et raide, que votre tenue inspire à la fois et marque respect et confiance. Il faut qu'on reconnaisse les Oblats précisément à cette manière de se tenir. Ne croisons pas nos pieds et surtout nos jambes. Sans doute cette position que je vous demande est fatigante par elle‑même et on ne peut se tenir ainsi bien longtemps, dans les commencements surtout. Il faut essayer cependant de la conserver à l'oraison, dans la préparation à la messe, à l'action de grâces, à la confession, à la visite au saint sacrement. Quand nous sommes assis, ne nous penchons ni à droite, ni à gauche, n'ayons pas un air ennuyé, harassé. Que notre tenue soit parfaite, devant Dieu et devant les hommes.

Au sacre de Charles X, il y avait de petits pages, de 13 à 14 ans, qui se tenaient debout devant le trône du roi, dans une complète immobilité. Ils furent là longtemps, plusieurs enfin tombèrent de tout leur long, inanimés, tant ils s'étaient fait violence. Certes le bon Dieu ne nous demande pas de nous tenir devant lui immobiles comme des statues. Il n'exige pas cette attitude rigoureuse. Si nous avons besoin de nous remuer, de nous lever, de nous asseoir, faisons‑le, mais avec convenance et avec un esprit mortifié. On peut dire de l'attitude et du maintien ce qu'on dit de l'eau. La bonne eau est celle qui n'a pas de goût, l'attitude bonne est celle sur laquelle il n'y a à faire aucune remarque. La bonne Mère disait: “Je ne désire rien, mais si je pouvais avoir un désir, je désirerais, j'aimerais bien voir les Oblats. On verra le Sauveur marcher encore sur la terre. Oh que ce sera beau!”  Etes‑vous en cérémonie? Avez‑vous à diriger une procession, à faire ranger des personnes à la chapelle, faites‑le avec dignité, sans crier, sans gesticuler. A table, Notre-Seigneur mangeait avec des Pharisiens, à la table de Lazare, ailleurs. C'est donc une action divine de manger. Là encore il faut être Oblat de saint François de Sales. Ne prenons pas les manières qui s'introduisent de nos jours et qui témoignent le sans‑gêne et la mauvaise éducation. Ne prenons pas la fourchette d’une main et le couteau de l'autre, et ne les manœuvrez pas comme les Chinois manœuvrent leurs baguettes pour manger le riz. Je me permets de vous dire cela, parce que vous êtes des religieux. Restez scrupuleusement toujours dans les limites de la bonne politesse française. Ne mettez pas les coudes sur la table comme font parfois les commis voyageurs à la table d'hôte des hôtes. Evitez les manières familières et surtout triviales, mais ayez des manières faciles et aisées. Comme saint François de Sales, soyons sans cérémonies, sans façons. La politesse veut qu'on ne se fasse pas prier quand on doit ou qu'on veut accepter. Quand on n'aime pas quelque chose, qu'on n'affecte pas d'en prendre avec répugnance. Edifions toujours ceux qui sont là. Surtout, ne sortons jamais de table, sans avoir fait la pratique de mortification que demande saint François de Sales. La moindre chose suffit, disait-il, ne serait‑ce que la privation d'une bouchée de pain. J'ai vu un saint religieux de la Grande Chartreuse devenu un homme d'oraison pour avoir fait très régulièrement cette petite pratique du réfectoire.

Quand il se rencontre une fête, un repas où il y a quelque chose d'extraordinaire, il faut accepter ce qu'on vous offre, si cela vous fait plaisir, mais évitez bien qu'on puisse remarquer que vous avez un penchant pour telle ou telle chose. Les gens du monde remarquent bien cela, les prêtres aussi, et ils sont très sévères pour les religieux. Que tout se fasse sans grimaces, sans attirer les regards de ceux qui sont là. Evitez à table les questions qui sentiraient la gastronomie, les dissertations sur l'excellence de tel ou tel plat, de tel ou tel vin. On peut, si cela est nécessaire ou aimable, apprécier bonnement et simplement ce qu'on mange ou qu'on boit, mais sans avoir l'air d'être expert en la matière. Soyons bien comme était le Sauveur sur la terre aux jours de sa vie mortelle. Dans nos rapports avec le monde, que notre costume sente la décence et la propreté. Saint Chrysostome fait remarquer quelque part que Notre-Seigneur était propre, d'une propreté admirable: le prêtre et le religieux doivent prendre dans leur extérieur la netteté et la pureté du Sauveur. Faut‑il porter le rabat, ou non? Je ne voudrais pas qu'un Oblat se singularisât parmi les autres prêtres. Attendons encore un peu. Plus tard si la communauté s'agrandit, on remplacera sans doute le rabat par le collet romain. Ce serait l'uniforme, et cela nous rapprocherait davantage du costume de Rome. Dans certains diocèses, cela pourrait choquer de nous voir sans rabat, ailleurs cela serait indifférent et n'exciterait aucun mécontentement. Là‑dessus, “pas de loi” - [“non est lex”] (Cf. Rm 4:15). Dans chaque maison, que le Supérieur règle la chose en suivant son bon jugement et les convenances.

Pour les rapports avec les gens du monde, il faut bien se garder de tomber dans des fautes lourdes contre la politesse, les bonnes manières, les convenances. Ce ne serait pas mal de faire relire de temps en temps quelque traité de politesse ecclésiastique, afin de se mettre en mesure de ne pas tomber dans des travers qui seraient tout aussitôt remarqués par les gens du monde, par les femmes surtout. Cela les blesse: elles ont mis toute leur sollicitude à étudier ces manières pour elles‑mêmes. C'était là comme leur cours de mathématiques. Elles mettent aussi toute leur sollicitude à les enseigner à leurs enfants. Faisons bien attention de ne pas les blesser, et comportons‑nous absolument comme il faut vis‑à‑vis des hommes, des femmes, des jeunes filles, des vieillards, des ouvriers. Mgr Dupanloup disait à ses prêtres: “Soyez bien vous‑mêmes. Soyez de bons prêtres, et vous serez les hommes les plus polis du monde. Ne demandez conseil qu'à votre charité, la politesse n'est au fond que le sacrifice de sa personnalité”.

Il est cependant des usages particuliers qu'il faut connaître. Vous n'avez pas eu l'habitude de vivre dans ce milieu, il est donc bien nécessaire d'avoir et de lire quelques‑uns de ces traités. Et tout cela, mes amis, pour que nous soyons vraiment l'image de Notre-Seigneur passant au milieu du monde. Vivifions ces règles de politesse mondaine par la vraie charité, par les pensées surnaturelles, par la direction d'intention. Encore un mot sur la manière de nous conduire selon les différents milieux où nous sommes. Nous trouvons‑nous avec des gens qui n'ont ni foi ni loi, qui attaquent la religion, qui blasphèment Notre-Seigneur? Que faire? “... Jésus se taisait” (Mt 26:63). Faisons ainsi, notre silence dira plus que toutes nos objurgations pourraient faire. Au contraire, sommes‑nous avec des gens ignorants et qui ne demandent qu'à être instruits? Faisons‑le simplement et sans affectation. Profitons bien du lieu où nous sommes, où nous a placés la Providence qui avait ses desseins pour cela. Ici, à Saint-Ouen, vous vous promenez sur la terrasse. Vous voyez le clocher d'Argenteuil. Il y a là la tunique de Notre-Seigneur, marquée du sang de Notre-Seigneur. Je me souviens à ce propos que M. Joseph Roussel m'écrivait: “Pendant que j'étudiais cette précieuse relique, et que j'analysais par ordre de l'archevêché les taches de sang dont elle est marquée, je pensais tout le temps à vous, mon Père, et aux Oblats”. Cette parole m'a fait le plus grand plaisir. Le Sang de Notre-Seigneur rappelait les Oblats de saint François de Sales!

Etes‑vous isolés, dans la solitude? Demandez à Notre-Seigneur qu'il vous fasse comprendre et apprécier cette grâce de la solitude avec lui. Vous êtes dans une communauté fervente: recueillez les bons exemples, mettez‑vous à l'unisson des meilleurs de vos frères. Allez‑vous en pèlerinage dans un sanctuaire vénéré? Ranimez votre foi, votre piété, et puisez abondamment dans le trésor des grâces. Quand vous voyagez, ne passez jamais devant une église sans saluer Notre-Seigneur et faire la communion spirituelle. C'est un moyen de ne pas oublier Notre-Seigneur, de l'adorer, et c'est aussi le moyen d'éviter bien des dangers. Dans la cérémonie d'imposition du scapulaire, il est dit: “Que Dieu vous donne un lieu où vous pourrez faire du bien”. Le lieu a donc une action puissante sur l'âme, sur la vie surnaturelle. Que l'Oblat de saint François de Sales soit ainsi, avec une grande simplicité, allant tout droit son chemin, comme le Sauveur. Oui, mes amis, qu'on dise de nous, quand on nous a vus passer: “Mais, lui ... allait son chemin” (Lc 4:30). Marchons comme Lui, passons comme Lui. Il faut avoir là, au cœur, quelque chose qui nous lie au Sauveur, qui nous lie au bon Dieu. Ce sera votre vie, votre bonheur.