Retraites 1896

      


TROISIÈME INSTRUCTION
Encore l'oraison, la messe

Hier je vous parlais de l'oraison et je rappelais à votre souvenir que saint François de Sales, dans le Directoire, dit que c'est l'un des exercices les plus importants de la vie religieuse. Pour faire l'oraison, il faut savoir la faire, et pour savoir la faire, il faut avoir appris à la faire. Comment apprendre à faire oraison? Nous avons un moyen tout simple et naturel. Prenons la page 21 de notre Directoire [Paris: Imprimerie de l’Œuvre de saint Paul, 51, rue de Lille, 51, 1886], lisons ce qui est dit de la “Préparation”. Nous ne perdrons pas notre temps, et nous apprendrons la manière de faire bien oraison. Lisons ces pages une, deux, dix, vingt, trente fois, si c'est nécessaire, afin de bien fixer les termes dans notre mémoire, afin de nous bien souvenir des moyens pratiques dont nous devons nous servir pour aller au bon Dieu dans l'oraison. Quand même vous auriez été fidèle à faire ainsi votre oraison, je vous engage cependant à relire ce chapitre pendant la retraite pour bien vous rendre compte de ce que vous faites ou ne faites pas. Ce sera pour nous tous un excellent moyen de rafraîchir notre âme, de préparer notre esprit, de diriger notre manière de faire dans le sens indiqué par notre saint Fondateur. Vous faites la surveillance? Vous avez appris à faire la classe. Vous faites une surveillance? Vous avez appris à faire la classe. Vous voulez faire oraison? Apprenez à faire oraison. Ces jours‑ci, mettez‑vous de tout votre cœur à cet exercice si important. Comment faire quand on ne peut pas trouver matériellement le temps pour faire oraison? On est occupé par un devoir urgent à autre chose, soit à une surveillance, à la messe, dans l'omnibus des externes, etc.

Faut‑il pour cela négliger l'oraison? Faut‑il faire l'impossible pour la reprendre plus tard dans la journée? Non, car on ne reprend pas l'oraison à la Visitation, chez les Chartreux, ni dans les Ordres contemplatifs où l'oraison tient une si grande place, même au point de vue de son temps matériel. Nous, nous ne pourrions en général pas retrouver le temps pour la reprendre. Mais nous n'omettrons pas pour cela, et nous n'abandonnerons pas l'oraison, nous la ferons autrement. La surveillance que vous ferez, en vous tenant intimement uni au bon Dieu, c'est une oraison, et elle vous sera, croyez‑moi, bien aussi profitable que l'oraison de quiétude et de tranquillité que vous feriez à votre place à la chapelle. C'est une visite importune qui survient, un embarras, un obstacle quelconque à l'oraison? Faites cependant votre oraison avec ses occupations distrayantes, maintenez votre esprit et votre cœur près du bon Dieu, dites‑lui: “Mon Dieu, c'est pour votre amour. Mon Dieu, conduisez‑moi dans la voie de la vie”. Cette voie se trouve dans cette occupation que la Providence vous envoie, aussi bien que dans l'oraison proprement dite.

Ne manquez donc jamais votre oraison. Si vous ne pouvez la faire avec la communauté, faites‑la du moins avec la besogne qui vous incombe, de par l'obéissance, à ce moment‑là. Ce que je vous dis là, mes amis, a une grande importance pour la direction des âmes. Apprenez‑leur à faire ainsi leur oraison chaque matin avec le bon Dieu, quelles que soient les occupations que leur imposent leurs devoirs d'état. Encore une fois cette oraison sera plus profitable que celle qui serait faite dans le recueillement extérieur. Mais soyez fidèles à l'oraison, ne la négligez pas. Employez cette demi‑heure à une grande et absolue soumission à Dieu, restez intimement unis à sa sainte volonté, au bon plaisir de sa grâce sur vous, et vous aurez ainsi tout le bénéfice que vous auriez tiré de l'oraison de communauté. Ce sera d'autant plus facile de ne pas manquer, que vous aurez ainsi toujours le temps de la faire.

Reprendre son oraison pendant une retraite, cela peut se faire. Cependant, même en ce cas, j'aimerais mieux encore vous voir faire comme je vous ai dit. Vous honorez Dieu en esprit et en vérité: en esprit, puisque vous êtes en union avec lui; en vérité, puisque vous faites la chose qu'il veut que vous fassiez. Enseignez cela aux fidèles que vous confesserez et dirigerez. Si quelques‑uns d'entre vous sont appelés un jour à diriger des prêtres, à prêcher des retraites ecclésiastiques, enseignez cette pratique. Ce sera un très grand service que vous rendrez aux prêtres. Ce n'est pas précisément ce qu'on leur enseigne au grand séminaire. Ce n'est pas que je blâme la méthode, mais elle n'est pas toujours pratique. La méditation, comme on l'enseigne, est assez difficile. Je n'ai vu, de mon temps, qu'un prêtre continuer à la faire comme on nous l'avait enseignée, et il me disait quelles difficultés il rencontrait à cela. “Vous avez bien tort de vous supplicier ainsi”, lui répondis‑je. Et je lui expliquai notre méthode. Il y a vingt ans de cela; et quand il m'écrit, encore aujourd'hui, chaque fois il me dit qu'il est sorti de la voie de la douleur et que je l'ai délivré des galères. Je ne blâme pas ce qu'on fait dans les séminaires. Il est très bon de former les jeunes prêtres à cet exercice de la méditation, de la réflexion profonde sur une matière donnée, mais il serait bon de leur faire apprendre aussi une autre méthode d'oraison.

Après l'oraison vient la sainte messe, que l'on entend ou que l'on célèbre. Le Directoire donne les pensées pour s'y préparer. Cinq ou six minutes suffisent pour la préparation immédiate, puisque nous venons de faire notre oraison, qui est la meilleure des préparations à la sainte messe. Qu'on tienne son âme bien recueillie. On va remplacer Notre-Seigneur, on va remplir des fonctions divines. Il faut garder au fond de son âme le sentiment de l'action que l'on va faire, il faut bien suivre les rubriques et dire les prières en s'habillant. Qu'on n'arrive pas non plus à 1'autel mal habillé, mal construit et mal tourné. Cela n'édifie pas les fidèles et cela les contrarie. Il faut bien faire les cérémonies, bien faire les signes de la croix surtout, et n'avoir pas l'air alors de chasser les mouches. Remarquez que cela ne demande pas plus de temps pour faire bien que pour faire mal. La conséquence de tout cela est que nous édifions les fidèles. Ne soyons pas trop long ni trop court, 25 ou 26 minutes suffisent. Moins de temps que cela, scandaliserait. Vingt minutes est trop peu, même pour les messes des morts. Les fidèles trouveraient, et avec raison, que nous traitons trop légèrement le saint sacrifice. Nous savons en dire des choses magnifiques, ce serait nous donner un démenti et n'avoir pas l'air de croire toutes ces belles choses. Articulons bien les mots, sans éclats de voix, recto tono, sans affectation, d'un ton de voix bien naturel. Certains bons et excellents prêtres affectent des airs langoureux, avec une expression de dévotion exagérée. Il ne faut pas faire cela. Pas d'intonations ou de finales singulières. Quand nous nous retournons pour dire: “Le Seigneur soit avec vous”, ne faisons pas des évolutions, comme une troupe qui tourne au milieu de la cour de récréation des enfants. Soyons graves, sérieux.

Pendant la sainte messe, faut‑il prendre les pensées du Directoire? Toutes? Saint François de Sales n'était pas scrupuleux, mais il était lourd de corps, actif d'esprit: il cherchait toujours à occuper son esprit. Ce qu'il s'imposait pour lui‑même à la messe, faut‑il que nous nous efforcions de l'accomplir intégralement? Ici je vais me permettre de contredire un peu, très respectueusement, saint François de Sales, ou tout au moins de ne pas obliger à suivre pas à pas et mot à mot, ce qu'il s'était imposé à lui-même dans sa jeunesse sacerdotale, car ce que renferme là notre Directoire de la messe est le règlement de jeune prêtre de saint François de Sales. Il vaux mieux que votre esprit soit occupé par les actes et les paroles de la messe. Mais j'ajoute: si vous avez des distractions, reprenez vite les pensées de saint François de Sales, et gardez-vous des distractions. Il est certainement mieux pour vous, si Dieu vous en fait la grâce, de vous unir à Jésus-Christ et à la pensée de l'Eglise, par les paroles mêmes du saint sacrifice. Que ces paroles pénètrent jusque dans le fond de votre âme. Elles font le ravissement des anges du ciel, elles font le ravissement des âmes du purgatoire. Saint Bernard disait la messe à Saint-Paul Trois-Fontaines à Rome. Après la messe, on entendit dans tout le couvent des chants d'allégresse. On vint le dire à saint Bernard qui répondit: “Vous ne savez pas que j'ai dit la messe pour les défunts du monastère. Plusieurs âmes ont été délivrées, et elles font entendre leurs chants d'allégresse”. La messe est toute puissante pour délivrer les âmes du purgatoire, et donner encore de la joie au ciel. Les âmes et les saints se réjouissent de la délivrance de leurs frères. Saint Jean Chrysostome nous dit dans son traité du sacerdoce, je crois, que Dieu lui avait fait la grâce de voir les anges autour de l'autel, et remerciant Dieu de leur avoir permis d'assister aux saints mystères. Ramenez donc bien vos pensées et votre cœur aux paroles et aux actes de la sainte messe. Sainte Jeanne de Chantal demandait un jour à saint François de Sales s'il avait quelquefois des distractions pendant la sainte messe. Il répondit: “Dieu m'a fait la grâce que, quand j'ai la figure tournée vers l'autel, je n'ai point d'autres pensées que celles de son saint amour”.

Vous prendrez donc la méthode dans votre cœur. Vous écouterez ce que votre cœur vous dira, et vous célébrerez la messe d'une façon qui édifiera. A Villeneuve-au-Chemin, j'ai achevé de construire une chapelle dédiée à saint Joseph. L'abbé Cardot avait commencé cette œuvre qu'il n'a pu achever. J'ai vu l'abbé Cardot lire la messe, il y avait là quelque chose qui vous pénétrait le cœur. Comment faisait‑il pour la dire si bien? Je ne sais. Il y a de ces choses qui ne s'expliquent pas. A l'apparition de Notre-Seigneur, dont j'ai été gratifié, sans doute la vue de son visage me produisait une impression bien grande qui ne peut se rendre. Mais j'ai eu cependant bien des pensées autres pendant le temps de l'apparition. Je voyais un pli de son manteau. C'était un pli comme tous les plis. Mais il y avait là quelque chose de si ravissant que je me disais: “Je serais en paradis, que je ne demanderais pas à contempler autre chose que ce pli de manteau! J'aurais mon bonheur pour toute l'éternité!” A la sainte messe, c'est un peu comme cela. Nous sommes devant Notre-Seigneur: regardons, ne fût-ce que le pli de son manteau. Le pli de son manteau suffit à nous impressionner et nous ravira. Dites bien la sainte messe. Apportez‑y toutes les plus généreuses dispositions, et ne nous faisons pas remarquer par des singularités.

Après le saint Sacrifice, nous rentrons à la sacristie. Quittons avec respect les ornements sacerdotaux et disposons‑les bien, que la chasuble ne fasse pas de faux plis. Placez le manipule en travers, toujours du même côté, l'étole en croix par dessus, le cordon plié en deux ou trois fois, dans le sens du manipule. Suspendons l'aube, ou plaçons-la de façon à ce qu'elle ne soit pas froissée. Faisons tous de la même manière de façon que le prêtre qui nous succédera pour la messe trouve bien tout en ordre et puisse s'habiller facilement. Et puis les ornements traités ainsi avec soin ne se détériorent pas et se conservent longtemps. A la Visitation, vous voyez des ornements qui sont là depuis 70 ans et qui sont encore propres. Cela tient sans doute aux soins des Sœurs de la sacristie, mais cela tient aussi à la bonne volonté de ceux qui s'en servent. On n'a pas ainsi de chasuble froissée, de travers, faisant un arc de cercle dans le dos. On est habillé convenablement et décemment. J'insiste sur tous ces petits détails, parce qu'ils ont une très grande importance. Le prêtre qui dit la messe dans des conditions liturgiques convenables, qui se tient bien, et qui, du fond du cœur, est intimement présent à ce qu'il fait, produit un grand bien dans les âmes. On parle beaucoup d'hypnotisme de nos jours. On découvre dans la nature de véritables mystères, et parfois un rien, une toute petite découverte faite par un savant dans un cabinet de chimie concernant un de ces secrets de la nature conduit à des conséquences inattendues et considérables. De même dans les choses saintes, de petites pratiques conduisent quelquefois à des résultats extraordinaires, à des conséquences inespérées. Il en est de même pour la sainte messe.

Nous la dirons donc convenablement, décemment. Nous ferons en sorte d'attacher nos pensées et nos paroles aux actes: alors la Messe nous pénétrera et s'identifiera avec nous. Nous pourrons dire à la vérité: “Ceci est mon corps”. Nous serons absolument l'image de Notre-Seigneur. Nous tiendrons sa place à la fois vis‑à‑vis de Dieu et vis‑à‑vis des fidèles qui viennent à la messe. Nous produirons en quelque sorte comme l'impression de la présence réelle.