Retraites 1896

      


QUATRIÈME INSTRUCTION
Encore les collèges, les œuvres

C'est encore la retraite, et elle touche à sa fin. Dans l'été, c'est à la fin de la saison chaude qu'on moissonne, c'est à la fin de l'automne que l'on vendange, c'est à la fin du travail accompli que l'on reçoit son salaire. Redoublez de courage et d'énergie. J'ai l'air de vous encourager, mais c'est qu'on en a vraiment besoin. La retraite a ses amertumes, ses ennuis, ses dégoûts, ses fatigues, et quand nous savons que ces choses‑là sont excellentes, que c'est en définitive la meilleure part, il est plus facile d'accepter, d'agréer les misères qui arrivent, et de parvenir sain et sauf jusqu'à la fin de la bataille. Si je n'avais pas vu dans le cours de mon ministère ces choses‑là, je ne pourrais pas vous parler ainsi, mais comme je l'ai vu, non seulement dans une personne, mais dans deux, trois, quatre, dix personnes, comme j'ai constaté à maintes reprises que la retraite est d'autant plus profitable que l'on se trouve plus éprouvé, plus desséché, je ne puis m'empêcher de penser que toutes les fois que pendant la retraite une âme passe par ces épreuves, c'est pour elle un très grand avantage. Dites bien cela à tous ceux et celles à qui vous ferez faire des retraites.  Pendant la retraite, sans doute, il faut faire son examen de conscience, il faut mettre ordre à ses affaires spirituelles et prendre des résolutions: c'est absolument nécessaire. Il faut régler ses comptes, mettre ses registres en règle avec le bon Dieu. Le reste ne nous regarde pas. Il faut le laisser à la volonté de Dieu, à la permission divine, il faut tout accepter ce que Dieu envoie. Avec cela la retraite est parfaite et complète, il n'y manque rien. Vous n'avez qu'à continuer tout le reste de l'année, et vous amasserez des trésors infinis. Voilà la grande doctrine de saint François de Sales, et c'est assurément la plus claire, la plus compréhensible pour tous les esprits, et en même temps la plus efficace.

Nos œuvres, mes amis, ne se terminent pas aux collèges. Nos collèges sont d'abord nécessaires, nous le disions hier, pour atteindre une certaine partie de la population chrétienne. En dehors des collèges, voilà certaines familles que vous ne pourrez atteindre en aucune manière. En dehors des collèges, il vous sera impossible de jeter dans l'âme de toute une nombreuse classe de jeunes gens, les semences de la foi. Où iront‑ils chercher la vérité? C'est une grande et terrible justice de Dieu sur la population bourgeoise, qui fait que la grande majorité de ses enfants, de ses jeunes gens, sont emprisonnés dans les carrefours de l'enfer, comme disait quelque part saint Bernard. Il semble que ce soient là les corridors, les avenues de la perte éternelle. L'instruction, la fausse éducation qu'ils reçoivent n'aboutissent pas à autre chose. Ce n'est pas encore l'enfer, sans doute, mais en sortant de là, on tombe fatalement dans l'enfer! Qu'est‑ce qui ira tendre une main secourable à ces malheureux? Qu'est‑ce qu'on peut faire pour eux? On prêche des missions dans leur paroisse? Ils ne mettent pas les pieds à 1'église. L'unique moyen de les atteindre, c'est le collège.

Le collège est une obligation de votre vocation, ce devoir de l'instruction chrétienne de la jeunesse est écrit en tête de nos Constitutions. Les Papes Pie IX et Léon XIII m'ont répété tous deux la même chose. La voix de la catholicité tout entière dit bien haut combien c'est chose nécessaire d'arriver à ces familles‑là pour prendre leurs enfants et en faire des chrétiens. C'est une besogne très dure, c'est vrai: il faut un dévouement presque incompréhensible, on ne peut pas s'en rendre compte quand on n'a pas travaillé soi‑même à cette besogne. Vous allez bien chez les sauvages. Pourquoi n'iriez‑vous pas là? L'âme du fils d'un marchand épicier, d'un brasseur, vaut autant que l'âme d'un Hottentot. Nous devons avoir pour cette classe le même dévouement, la même charité. Il faut aller à eux avec le même amour du bon Dieu, qui vous pousse en Afrique ou chez les Indiens d'Amérique. C'est aussi une vraie mission chez des peuples sauvages. Comprenons bien que les fonctions que nous pourrions remplir là‑bas et celles que nous remplissons ici sont les mêmes. Si nous ne nous plaçons pas à ce point de vue, nous faisons un travail d'insensés, nous sommes comme des gens qui veulent ramer contre le courant, qui veulent souffler contre la tempête, comme des gens qui n'ont pas la raison saine.

Je me rappelle ce que me disait M. Chapelle. M. Chapelle était le chef de gare de Troyes, qui venait communier ici tous les matins dans notre petite chapelle. Avant d'être chef de gare, il avait été professeur, maître de pension. “Tous les soirs, me racontait-il, je me promenais de long en large dans le dortoir pendant que les élèves se couchaient. Je veillais sur eux avec sollicitude. Un soir je me dis: «Mon Dieu, je fais là une besogne utile aux familles, à l'humanité, mais est‑ce que je n'ai pas encore autre chose à faire, un autre devoir à remplir à l’égard de ces enfants? Est-ce que ce n'est pas une mission cela, et une mission divine? Or ces devoirs sacrés, je ne les remplis pas. Je suis chrétien, j'ai la foi, mais il y a longtemps que je ne pratique plus, que je ne me confesse plus, que je ne prie plus. Ces enfants ont une âme, cette âme doit avoir des rapports avec Dieu. Il est de mon devoir de les conduire à Dieu. Mais comment leur faire faire ce que je ne fais pas moi‑même?” “Après ces réflexions”, continuait M. Chapelle, “j'allai me confesser. Je promis à Dieu de donner mes soins non seulement à l'intelligence mais à l'âme de mes élèves, de leur apprendre à prier, à s'élever. Et cela m'a réussi”.

Vous le voyez, mes amis, notre mission est tout à fait de choix, tout à fait céleste. Qui est‑ce qui fera cela, si ce n'est pas nous? Quels hommes faut‑il pour faire des collèges? Des religieux, des prêtres zélés, dévoués, qui ne reculeront pas devant la fatigue, les dégoûts, les angoisses, qui sauront résister à la tentation de tout abandonner, n'en pouvant plus. Nous, mes amis, nous resterons.

Avec les collèges, il y a les œuvres de patronages de jeunes gens, de jeunes filles. Ces œuvres sont absolument nécessaires pour conserver la foi et la pratique religieuse dans la classe populaire. Sans les œuvres, il est impossible, dans nos classes ouvrières, de conserver des chrétiens. M. l'abbé Nioré prêchait l'année dernière un sermon de charité à l'Œuvre de la Jeunesse. Il disait: “J'ai été élevé par les Frères des Ecoles Chrétiennes. J'ai connu là près de 400 enfants de mon âge, j'en ai perdu de vue un certain nombre sans doute, mais la plupart je les ai suivis et les connais encore. Eh bien! sur ces 400 enfants de ma connaissance, pas un seul n'a persévéré que moi! Donc, ajoutait‑il, une œuvre de jeunesse, c'est l'œuvre par excellence, c'est l'œuvre des œuvres.” Dans les familles aisées, on peut faire choix d'un bon collège pour y placer et faire élever ses enfants. Mais nos pauvres ouvriers, où trouveront-ils une maison où l'âme de leurs enfants soit en sécurité? Nulle part. On lui trouvera peut‑être un patron chrétien. Mais il n'est pas facile à trouver, ce patron. Et si on le trouve, aura‑t‑il quelque influence sur ses ouvriers? Ne se défieront‑ils pas de lui? Qui protégera le pauvre enfant contre l'entraînement des passions, contre les mauvais exemples et les mauvais conseils? Uniquement les œuvres de patronage. Il ne reste d'hommes chrétiens, dans la ville de Troyes, à part de rares exceptions, que ceux qui ont fréquenté les patronages.

Qui peut faire ces œuvres, et y réussir? Sans doute il y a pour cela une Congrégation spéciale, les Frères de saint Vincent de Paul, qui pratiquent admirablement la charité dans cet ordre de choses. C'est une fondation que la Mère Marie de Sales aimait et a bénie. J'ai connu les fondateurs. Ils venaient voir la bonne Mère à Paris. Ils ont commencé, il n'y a pas cinquante ans, “mais qu’est-ce que cela pour tant de monde?” (Jn 6:9). Qu'est‑ce qu'une Congrégation zélée, mais forcément restreinte? Qu'est‑ce aussi que le zèle de quelques vicaires qui se dévouent, souvent quelque peu malgré leur curé. Les curés sont souvent opposés à ce qu'on établisse des œuvres de patronage dans leur paroisse. Pourquoi? Au fond, ils n'en savent trop rien, mais ils feront tout ce qu'ils pourront pour les démolir. Qui donc fera ces œuvres? Vous voyez que le champ nous est largement ouvert. L'âme d'un apprenti, l’âme d'un ouvrier vaut bien l'âme d'un Hottentot.

Les œuvres de jeunes filles sont peut‑être encore plus nécessaires, parce que la jeune fille ne se conservera jamais bonne au milieu d'un atelier, d'une société immorale ou impie. C'est impossible. Ce n'est même pas possible au jeune homme, et elle est plus faible, elle a l'intelligence moins éclairée, elle agit par sentiment, elle ne se rend pas toujours compte de ce qu'elle fait, de ce qu'elle dit, de ce qu'elle pense. Elle suit le courant, et le courant est bien mauvais. Je pourrais vous citer bien des faits à l'appui. Il n'y a pas bien longtemps une jeune fille vient me demander un conseil. “Mon Père, cela m'ennuie de rester comme je suis, si je faisais comme les autres? Si j'écoutais certaines propositions qu'on me fait, est‑ce que ce serait bien mal?”—“Mais, mon enfant, qui vous a donné ces idées‑là?”— “Les autres! Toutes elles le font. C'est bien plus intéressant que la vie que je mène en restant sage. On a un petit chez soi, on a des toilettes, on peut paraître et se montrer! Je reste là à traîner mes savates: je n'ai pas le moyen de m'acheter une robe”.

Voilà la situation qui est faite à une partie de l'humanité et à la partie la plus intéressante au point de vue de l'éducation. Car enfin la jeune fille sera plus tard la mère, c'est elle qui élèvera l'enfant, l'homme de l'avenir, qui jettera dans son âme le rayon divin, qui jamais ne s'éteindra complètement. C'est la mère qui met dans l'âme de l'enfant ce qu'il y a de bon, de saint, de parfumé. C'est elle qui y trace les premières impressions, souvent indélébiles. C'est la mère qui jette dans le cœur de son enfant la foi, la foi en Dieu, la foi à l'amour de ses parents, la foi à ce qu'il doit aimer, à ce qu'il doit craindre, à ce qu'il doit faire un jour. Or qui est‑ce qui apprendra ces choses à la jeune fille à l'heure présente? Qui est-ce qui la mettra à même d'y penser, de les entendre? Rien! Personne! Elle ne va plus à la messe, si elle ne fréquente pas l'Œuvre. La foi, qu'est‑ce que c'est pour elle? Excepté celles qui viennent à l'Œuvre, les jeunes filles de la classe ouvrière ne savent plus rien du tout de ces choses. Elles ne savent pas ce que c'est que Dieu, elles ne savent pas faire le signe de la croix. Elles savent se moquer du prêtre, de la dévote, mais elles ne savent pas le premier mot de la création, de la Rédemption, des sacrements, de quoi que ce soit. Et voilà une jeune fille qui dans deux ou trois ans sera mère de famille, et comme instruction religieuse elle n'a rien, comme foi, rien, comme cœur, rien. Et où aurait‑elle pu trouver du cœur? Qui est‑ce qui lui a jamais témoigné un peu de véritable affection? Personne. Son père l'aimait peut‑être un peu, quand il n'était pas tout à fait ivre. Sa mère ne l'aimait guère. Ses frères, ses sœurs sont des égoïstes qui se moquent bien d'elle. De vraie et bonne affection, elle ne sait pas ce que c'est, elle n'en a jamais rencontré. En revanche, elle a déjà rencontré plus d'une fois sur son chemin des tentatives de séduction: on ne la regarde avec quelque bienveillance que de ce côté-là. Voilà donc une âme chrétienne, rachetée par le sang de Jésus‑Christ. Elle est sur le bord de l'abîme, on l'y pousse, et elle n'a pas le moindre soutien, la moindre ressource. Qui est-ce qui arrivera à mettre cette âme dans le bon chemin, si l'Œuvre ne s'ouvre pas devant elle? Que deviendra‑t‑elle? Que deviendra la famille dont elle doit être la souche?

Mais heureusement vous avez recueilli cette jeune fille à l'Œuvre. Elle n'était peut-être pas baptisée, elle n'avait pas fait sa première communion, elle n'avait jamais entendu parler de Dieu. Elle est confiée maintenant aux soins de religieuses dévouées, on éclaire peu à peu cette âme, on l’encourage par de bonnes paroles, par de bons conseils. Vous déposez véritablement goutte à goutte la vie dans cette âme, dans ce cœur. Sous cette influence bénie vous voyez peu à peu tout germer, fleurir, reprendre. Vous rachetez, vous reconstruisez et, avec de la patience, avec de la persévérance, vous arrivez au but que vous vous proposiez. C'est une âme d'élite: j'ai vu plus d'une se faire religieuse. Elle fera au moins une bonne mère de famille, qui conduira ses enfants vers le bon Dieu, qui leur apprendra à le regarder, à l'écouter. Elle aura imprimé profondément la foi dans leur âme. Et plus tard, si des circonstances malheureuses, si le temps vient à affaiblir ce rayon de foi dans ces enfants, quand ils auront grandi, ils sauront la retrouver, elle se ranimera au moins au moment de la mort, comme le feu qui se conservait au fond du puits dont il est parlé au Livre des Macchabées. (2 M 1:19) Oui, le feu divin se rallumera dans ces âmes. Dévouez‑vous donc à ce genre d'œuvres. Vous voyez que c'est le seul moyen de conserver la foi dans l'âme de la jeune ouvrière, comme dans l'âme du jeune homme.

Nos missions. Le bon Dieu montre assez que nos missions lui sont agréables, et la preuve que j'en ai, ce sont les fruits du dévouement, de l'héroïsme déployé par nos Pères et nos Sœurs à l'Equateur et au Cap. Ils ont passé par toutes les épreuves, ils ont passé par la faim, la soif, les périls de toutes sortes, le dénuement le plus complet. Les Sœurs de Zicalpa depuis deux ans n'ont rien pu recevoir. Que mangent‑elles? Ce que la charité leur donne. Au Cap, de quoi vivent nos Pères, à l'heure qu'il est? De grains écrasés à même sur une pierre, et quand on a du feu on le fait bouillir pour en faire de la pape. Qu'écrit le Père David? “Mon Père, nous traversons de terribles épreuves, mais nous avons confiance en la Providence et personne de nous ne voudrait changer”. Le P. Simon écrit: “Nous mourons de faim, mais nous sentons cependant que le bon Dieu nous aide et ne nous abandonnera pas”. Ces sentiments de nos missionnaires nous sont une grande preuve de la bénédiction du bon Dieu sur nos missions.

En Grèce, c'est pareil. Nous commençons là quelque chose dans une situation vraiment terrible. La Grèce nous a attiré toute espèce de désagréments, d'ennuis, de haines, de préventions. On est allé frapper jusqu'à la porte du Vatican: c'est une lutte comme on n'en voit pas, comme on n'en imaginerait pas. Le bon Dieu permet que nous passions indemnes à travers toutes ces épreuves, et que nous puissions établir là quelque chose de solide, que nous puissions faire comprendre à des peuples, ce que c'est que le catholicisme, et qu'il n'est pas tellement abominable qu'on ne puisse faire quelque bien aux jeunes gens qu'ils nous envoient. Nous les rapprocherons peu à peu de la vérité, nous travaillons de loin à l'unité, à l'uniformité de foi et de religion. Il y a beaucoup de ces âmes qui sentent un attrait, un appel mystérieux à la vérité. Ces âmes souffrent. Ce n'est pas le clergé orthodoxe qui peut leur apporter sur ce point aide et conseil. Les jeunes filles de Naxos, les pensionnaires des Ursulines viennent dire au Père: “Pourquoi ne voulez‑vous pas nous confesser? Oh! Que les catholiques sont heureux! Rien ne nous consolerait comme une bonne confession. Nous sentons que beaucoup de choses nous manquent dans notre religion” Voilà, mes amis, une bonne porte d'entrée pour arriver à cette union que le Saint Père désire tant.

En Angleterre, ce n'est pas très brillant. Pourtant le Père Isenring fait du bien, sa parole est comprise, elle est goûtée de beaucoup d'âmes. On commence à aimer saint François de Sales: c'est ce qu'il faut. Une dame de Londres disait dernièrement au Pape: “C'est la doctrine des Oblats qui convient surtout à l'Angleterre. C'est elle qui ranimera et vivifiera les âmes desséchées par l'hérésie”. Et le Pape était de cet avis. Oh! mes Amis, avec saint François de Sales nous avons tout ce qu'il faut.

La prédication. Comme je vous l'ai dit et enseigné cent fois, prêchez, je vous en conjure, pour les personnes qui se trouvent devant vous. Dans les commencements, il est absolument nécessaire d'étudier les sermonnaires, de faire comme faisait Bourdaloue, c'est‑à‑dire, d'écrire et d'apprendre par cœur vos sermons, mais gardez‑vous bien d'en faire des pastiches de Bourdaloue, de prendre le ton et les formes oratoires de Bourdaloue. Il faudrait évoquer des auditeurs vieux de 150 ans pour vous comprendre. Quand vous avez écrit consciencieusement votre travail, relisez‑le attentivement et rendez‑vous compte si le sermon est bien vraiment ce qu'il faut pour les gens devant lesquels vous devez prêcher.

J'ai eu souvent cette pensée, et je la mettrai un jour à exécution, de donner à nos novices, à nos jeunes Pères, un sermon de Bourdaloue et de les charger de l'approprier et de le mettre au niveau des différentes classes d'auditeurs que l'on peut trouver devant soi. Il y a différentes classes d'auditeurs. On peut avoir devant soi des enfants, des écoliers, des jeunes gens, des ouvriers, des jeunes filles, des personnes dévotes, des gens du monde, l'auditoire paroissial ordinaire de la ville ou de la campagne, des religieuses, que sais‑je? Je suppose que vous vouliez prêcher sur la confession. Il vous faudra exprimer de six ou sept manières différentes, au moins, les pensées du sermon de Bourdaloue sur la confession, que vous vous serez assimilées, pour bien dire la doctrine de Bourdaloue à chacun, de façon que chacun puisse comprendre et retenir quelque chose. Il ne s'agit pas de faire des passe‑partout, qui n'ouvrent aucune porte, ni de débiter avec plus ou moins de volubilité une suite de paroles incompréhensibles pour l'auditoire que vous avez là, paroles qui tombent sur les bancs lesquels, pas plus que les gens qu'ils portent, n'ont d'oreilles pour vous entendre: “un cymbale qui retentit” (1 Co 13:1). C'est perdre le temps, le vôtre et celui des autres.

Cette méthode, croyez‑vous qu'elle soit bien facile, et qu'elle ne coûte pas beaucoup de travail et de peine? J'étais un dimanche à Genève. Mgr Mermillod devait prêcher à l'église paroissiale de Notre-Dame. L'auditoire se composait de bons paroissiens. Oh! pas des gens de premier étage, mais des ouvriers, des ouvrières, de petits commerçants, des domestiques, des gens de modeste condition. Les grands personnages, les gens en vue vont à la messe de midi. “Aujourd'hui, me dit Monseigneur, je vais parler pour mes ouvriers et mes ouvrières”. Il monte en chaire et fait une homélie sur l'évangile du jour. Je fus très frappé de la simplicité de ses paroles, de la clarté de son exposition, de son ton paternel et familier. Il terminera par une véhémente exhortation. Tout le monde buvait, littéralement, ses paroles. “Monseigneur, lui dis‑je, la dernière fois que je vous ai entendu, c'était à Paris, à sainte Clotilde. Vous prêchiez sur l'Eglise. Permettez‑moi de vous dire que l'instruction de ce matin m'a touché plus profondément encore.” —  “Mon instruction aux ouvriers de Notre-Dame de Genève, me répondit‑il, était plus difficile et m'a coûté plus de travail que mon sermon sur l'Eglise de sainte Clotilde”. Il faut bien entrer dans cette voie‑là, mes amis, et nous rappeler que, avec saint François de Sales, nous avons tout ce qu'il faut pour parler à tout le monde.

La confession, la direction des âmes. Plus tard, mes amis, des conseils vous seront donnés concernant la direction des âmes, les règles à suivre au saint tribunal. Nous devrons bien nous y conformer et rester bien fidèles aux enseignements de saint François de Sales dans les avis qu'il faut donner en confession, dans la méthode dont il faut se servir pour interroger les pénitents et pour les amener aussi aux dispositions nécessaires de contrition et de bon propos. Il y aurait là sans doute bien des choses à dire. Pénétrons‑nous bien de tout ce que dit le Directoire sur la manière de bien administrer le sacrement de pénitence. Fixons bien, chacun de nous, notre méthode personnelle en suite de ces documents qui sont si remplis de sagesse, de prudence, de lumière divine. Nous obtiendrons ainsi, ce qui est bien désirable, l’uniformité dans la méthode de confesser. Voilà les Pères Jésuites. Il y a chez eux uniformité complète dans les méthodes de direction et de confession. Dans les relations de la vie, ils ne sont pas toujours du même avis, ils ne disent pas toujours la même chose. Chacun tient à ses idées et à ses considérations théologiques. Il y a quelquefois des discussions. Mais dans la confession,  dans la direction des âmes il n'y a plus de divergences: tous se ressemblent. Ils sont tous coulés dans le même moule. Dans une résidence de Jésuites, quand un confesseur est changé, quand le Père Philippe s'en va, le Père Jacques succède, qui recueille tous ses pénitents et pénitentes. Et rien n'est changé, c'est la même chose, les mêmes avis, la même direction. En partant le Père Philippe a bien recommandé à ses fidèles de s'adresser au Père Jacques et pas à d'autres, et surtout pas en dehors de la Compagnie.

Mes amis, si nous faisons bien notre Directoire, si nous suivons bien les avis de saint François de Sales, notre direction sera parfaite, souverainement théologique. Elle soulèvera les âmes et leur fera faire des merveilles. Les âmes se rapprochent de Dieu, s'unissent sans cesse et de plus en plus à lui, par un mouvement continu, bien qu'il soit presque insensible. Nous les rattachons à la charité, à l'amour, sans qu'il y ait rien de brusque, rien de violent; l'âme est ainsi portée par la charité divine sans presque s'en douter, sans inquiétude, sans souci. Dieu est avec elle, et elle lui est fidèle. Il agit, il mérite en quelque façon pour elle. Nous ne sommes pas comme des prêtres séculiers, comme des diacres qui vont quitter le séminaire et commencer leur ministère. L'enseignement que vous recevez est un enseignement à suivre absolument. Il est bien facile d'avoir l'uniformité quand on a la vérité, quand on tombe juste sur le parquet, en équilibre, les deux pieds au même niveau.

Que chacun de nos jeunes confesseurs demande avis aux anciens sur la manière de confesser, d'exhorter, d'encourager, d'interroger. Pénétrez-vous bien de la méthode qui nous est marquée. Alors nous opérerons un bien d'autant plus durable que celui qui nous succédera fera et dira la même chose que nous.  Voilà, mes amis, un aperçu de nos différentes œuvres. Resterons‑nous en face de ces obligations tièdes, mous? Non, nous prendrons les choses à cœur, nous prendrons cœur à notre besogne: c'est là notre vie, c'est là notre bonheur. C'est beau, mes amis, quand un professeur vit sa classe, quand un prédicateur vit ses instructions, quand un confesseur vit sa direction, quand un simple surveillant vit sa vigilance et lui donne tous les soins et la sollicitude de son cœur. C'est très beau, c'est là la vie vraie et heureuse. Mais quand l'esprit et le cœur sont absents de la besogne, quand on rêve autre chose, on n'aperçoit plus dans tout cela qu'une obligation désagréable, un joug lourd, ennuyeux. Ce ne sont plus là les ouvriers actifs. Apportez votre cœur à la besogne, mettez‑vous‑y volontiers, comme dit la sainte Ecriture: “Car Dieu aime celui qui donne avec joie” (2 Co 9:7). Mettez le bon Dieu dans votre besogne, et il y mettra l'allégresse, la joie. La bonne Mère Marie de Sales, saint François de Sales, sainte Chantal vous regardent. Qu'à la fin de cette retraite, ils nous bénissent tous et nous donnent ce qu'il nous faut pour faire de nous leurs véritables fils. Oh! la bienheureuse famille! “Oh qu’elle est belle la race ... avec éclat”- [“Quam pulchra generatio cum claritate”]  (Sg 4:1 - note n). Quelle gloire les environne déjà, quelle gloire continuera de s'attacher de plus en plus à leur mémoire!