Retraites 1896

      


TROISIÈME INSTRUCTION
Nos œuvres, les collèges

Mes amis, continuez la retraite comme vous l'avez commencée, avec tout ce que le bon Dieu vous envoie. C'est ce qu'il nous envoie qui nous profite. C'est le pain que Dieu envoyait à saint Paul, premier ermite, dans le désert, qui le nourrissait. Saint Paul vivait dans la solitude et la retraite, sans aucune communication avec le monde, d'une vie tout à fait unie à Dieu, sans distractions humaines: c'est la vraie image de la retraite, cela. Et le bon Dieu lui envoyait sa nourriture par un corbeau. Voilà le vrai solitaire, le solitaire par excellence, le grand patron des retraites et des solitudes. Qu'est‑ce qu'il mange, pour se nourrir? Ce que le bon Dieu lui donne. Faisons la même chose pendant la retraite. Nourrissons‑nous de ce que le bon Dieu nous envoie, de ce qu'il permet qui nous arrive. C'est une disposition bien précieuse pour l'âme que celle‑là. Vous ne pouvez vous rendre compte des effets salutaires qu'elle produit, quand l'âme est bien entièrement toute remise et abandonnée à la volonté de Dieu. C'est la vie sainte par excellence, et on ne peut pas s'y tromper.

Ce que nous pouvons lire dans la vie des saints, dans les traités de la vie spirituelle, c'est beau, c'est bien bon, c'est excellent. Mais ce qui est meilleur encore et plus pratique pour nous, c'est ce que je vous dis là. Recevez donc avec reconnaissance le morceau de pain de chaque jour. Et quand il sera besoin de le partager, que le devoir vous le demandera, le bon Dieu vous enverra, avec Antoine, un double pain, et ses consolations abondantes. Ayez la foi, et que cette foi n'ait d'autres limites que la charité du bon Dieu pour nous. Continuez donc votre retraite avec courage, avec générosité. C'est une fatigue, c'est une mortification continuelle mais combien cela vous rapportera!

Je vous ai parlé des dispositions que vous deviez apporter à la retraite, et je vous ai parlé de vos vœux. Je n'entre pas dans d'autres détails personnels. Je préfère vous entretenir des moyens que le bon Dieu met entre nos mains. Je veux vous montrer que votre besogne est, de tout ce que vous pourriez désirer, ce qu'il y a de préférable et de meilleur pour la sanctification de votre âme, et que les œuvres auxquelles l'obéissance nous appelle, doivent et peuvent être notre nourriture de chaque moment. Ce sont des moyens de sanctification qui opèrent dans des limites que personne, que rien ne peut dépasser. Quelles sont ces œuvres?
 
Il y a d'abord nos collèges. Un collège, qu'est‑ce que c'est? Tout le monde sait et tout le monde vous dira que c'est une institution où l'on reçoit des jeunes gens pour les préparer à l'avenir, en particulier à l'avenir de leurs examens. Il faut veiller sur leur conduite. Et tout le monde sait que ce n'est qu'à force de travail et d'abnégation que l'on peut arriver au résultat matériel qu'on s'est proposé. Souvent le résultat spirituel semble faire entièrement défaut. Les collèges? La plupart d'entre vous sont destinés à travailler dans les collèges. C'est avec cela qu'il faut que nous devenions des saints. Et je vais plus loin: c'est avec cela seulement que nous pourrons devenir saints, puisque c'est l'occupation, le devoir que Dieu nous donne.

Que faut‑il pour devenir saints dans un collège? La prière, la mortification, la souffrance. Or les mortifications et les souffrances ne vous manqueront pas dans les collèges. De toutes nos œuvres, c'est la plus pénible, la plus décourageante. Il est plus facile, bien plus facile d'aller en mission, de donner son cœur, sa parole aux âmes réunies autour de vous. Il est bien plus facile de donner ses soins aux âmes que l'on confesse ou qu'on dirige. Il est bien plus facile de s'en aller en Amérique ou en Afrique. Les autres œuvres, les patronages ont leurs difficultés: ce n'est rien en comparaison de celles des collèges, surtout à l'heure qu'il est, où nous avons à lutter contre le défaut de foi des parents, des enfants, contre un gouvernement maçonnique, contre toutes les malveillances imaginables. Et l'intérieur du collège n'est pas non plus facile à gouverner: le mauvais esprit, les mauvaises impressions reçues, les maximes fausses et impies qui roulent partout, donnent à une éducation consciencieuse un travail immense, inouï. Ajoutez à cela la fatigue corporelle, jour et nuit, perpétuellement, et qui enlève à l'avance tout attrait pour ce travail. Nous avons sans doute le goût de l'enseignement. Nous aimons l'histoire, la littérature, les mathématiques. C'est‑à‑dire que de temps en temps un petit bonbon tombe sur le bout de la langue, et c'est tout!

Les collèges sont donc de toutes nos œuvres, celle qui est la plus propre à nous sanctifier, parce que nous aurons là beaucoup moins qu'ailleurs des consolations et des encouragements. Nous n'y aurons presque rien pour le cœur, et pas grand-chose pour l'esprit, et rien pour satisfaire notre zèle, pour nous donner quelque jouissance dans les courts moments que nous pouvons avoir à nous. Il importe donc extrêmement que nous sachions nous servir de nos devoirs, de nos obligations, de nos surcharges, pour y trouver précisément la sanctification de notre âme. Nous trouverons là des sacrifices beaucoup plus méritoires que ceux du Chartreux qui se relève la nuit pour aller chanter l'office, que ceux des ordres les plus austères, les plus sévères par le jeûne et la pénitence, parce que le travail que nous avons à faire se prend dans notre intelligence et dans les forces de notre corps, dans notre âme et dans notre santé, et dans tout notre être. La preuve? Voyez dans l'Evangile, voyez ce que l'Evangile donne comme étant le travail le plus difficile de l'apostolat: le soin, la protection, l'éducation de l'enfance.

Voyez cet enfant qui était tourmenté par le démon. Les disciples viennent: “Seigneur, nous avons rempli la mission que vous nous avez confiée: nous avons parcouru les bourgades, nous avons chassé les démons, mais il y a en un que nous n'avons pas pu renvoyer”. Où donc était‑il logé, ce démon? Dans le corps d'un enfant de 14 ou 15 ans. Jésus leur dit: “Ce genre de démons, vous ne le chasserez pas par cette puissance ordinaire qui a été remise entre vos mains; il faut la prière et le jeûne: “Cette espèce-là ne peut sortir que par le jeûne et la prière (Mc 9,29). Le diable ne s'en ira de l'enfant qu'à la suite de vos prières et de vos mortifications. Pourquoi cela? Le démon tient bien plus les âmes sous sa puissance à cet âge‑là. Il sait bien qu'en s'en emparant alors, il y a bien des chances pour que la conquête soit faite pour toujours. Toutes les difficultés, toutes les oppositions que vous rencontrez dans l'éducation viennent principalement de là, de l'action du démon. Vous êtes en face d'enfants, de jeunes gens rebelles, paresseux, ayant mauvais esprit et mauvais cœur, offrant je ne sais quoi de répugnant qui vous dégoûte, qui vous accable. Cela vous produit un effet contre lequel vous sentez ne pas pouvoir réagir, excepté par la prière et le jeûne. C'est 1'unique mais tout puissant remède.

Nous faisons donc un travail extrêmement pénible et dur. Dans les ordres anciens, chez les Jésuites, chez les Dominicains, on ne mettait dans les collèges que de jeunes religieux, et au bout de quelques années on les retirait. L'épreuve avait été suffisante. On les employait alors à la prédication, à la confession, à la direction. C'était comme un second noviciat qu'on leur faisait faire là, dans les collèges, pour mieux connaître leurs aptitudes. Vous voyez, mes amis, que le bon Dieu nous donne là le moyen certain d'une sanctification complète. La part qui nous est échue est assurément la plus laborieuse et la plus ingrate, donc la plus méritoire. Cependant cette œuvre des collèges est une œuvre absolument nécessaire. Certaines communautés religieuses, en face des difficultés présentes, des lois persécutrices, du mauvais esprit qui règne partout, abandonnent les œuvres d'éducation et d'instruction. Ma volonté, et la vôtre, n'est pas d'abandonner nos collèges. Nous avons d'autres œuvres sans doute, des œuvres populaires, ouvrières. C'est bien! Continuons de nous dévouer à ces œuvres. Mais sans les collèges, quels moyens nous restera‑t‑il pour atteindre l'autre partie de la société, ce qui n'est plus la classe ouvrière?

Pourquoi avons‑nous fait nos collèges? Notre but absolu et unique, c'est de conserver la foi et les bonnes mœurs, c'est de développer l'une et l'autre chez les enfants, chez les jeunes gens qu'on nous confie. C'est uniquement pour cela que nous avons des collèges. En dehors de cela nous n'en voudrions pas. Remarquez bien que ce point de vue que j'appelle absolu, unique, n'écarte pas d'autres points de vue secondaires, loin de là. C'est au contraire un moyen assuré de succès dans les études. Toutes les fois que nous avons à juger une question de collèges, d'élèves ou quelque chose qui y a trait, mettons‑nous de suite en face de ce grand motif: c'est une âme, ce sont des âmes à sauver, c'est Jésus-Christ à faire connaître et aimer. Considérons bien cela et agissons en conséquence. Nos collèges ne sont assurément fondés que pour cela. Le premier article de nos Constitutions nous dit très expressément que nous sommes institués pour nous sanctifier personnellement, en travaillant à la sanctification du prochain par l'éducation chrétienne de la jeunesse. Et cette œuvre, en soi, n'est-elle pas l'une des œuvres les plus excellentes qu'on puisse faire? C'est ce qu'affirmait saint Chrysostome devant le peuple de Constantinople, louant des prêtres, des fidèles dévoués à l'éducation de la jeunesse. “Qu'y a‑t‑il de plus grand au monde, disait‑il, que de façonner les âmes, que de former les mœurs de la jeunesse?” Il est certainement plus habile que tous les peintres, il a certainement plus de génie que tous les sculpteurs, quelqu’artistes qu'ils soient, celui qui possède l'art de façonner pour le bien la conscience et le caractère des jeunes, celui qui sait créer en l'homme l'image et la représentation de Dieu, celui qui sait lui donner une attitude d'âme qui dise sa similitude avec Dieu.

Certes l'éducation du collège a une influence énorme sur le reste de la vie. Et à l'heure présente où trop souvent la famille oublie l'éducation chrétienne de l'enfant, ce devoir incombe absolument aux maîtres chrétiens. C'est tellement vrai, que ce que nous disons et faisons est neuf pour la plupart des enfants qu'on nous remet entre les mains. Notre méthode est bonne. Avec l'esprit de saint François de Sales, nous arrivons à un excellent résultat. Nous faisons des hommes complets, bien équilibrés, qui ont un jugement sûr, qui se conduisent selon les principes de la foi et de la raison, chez qui l'imagination, l'enthousiasme, l'exagération n'ont pas d'écho, des hommes qui vont à leur but par un chemin droit, sans aventures, des hommes qui prennent une route sûre. C'est simple, cela. Ailleurs on pourra peut‑être faire quelque chose de plus brillant, quelque chose qui marque davantage, des sociétés, des exhibitions à grand fracas. Nous pourrions nous aussi parler davantage à nos élèves de leur rôle social, avec de grandes idées et de grands mots. Nous pourrions leur montrer dans un certain jour brillant et relevé l'avenir qui les attend, l'avenir en face duquel ils vont se trouver bientôt, demain. Et qu'arrive‑t‑il souvent alors? La désillusion, le dégoût du devoir trop austère et des chutes profondes, fréquentes. Nous n'avons pas cet écueil‑là à craindre avec notre système d'éducation. Oui, mes amis, j'estime ce que nous faisons, et je l'estime grandement. Je ne dis pas que nous faisons mieux que les autres, mais je dis que nous ferons très bien ainsi. Il n'y a pas à établir ici de comparaisons.

Nous devons donc nous affectionner à nos collèges et continuer de nous y dévouer comme nous l'avons fait jusqu'ici, afin de suffire à toutes les exigences. Nous demanderons au bon Dieu de nous donner le courage et il ne nous le refusera pas, car nous ne ferions pas ce métier‑là si ce n'était pas pour lui. Mais de tout notre travail, ne reste‑t‑il donc rien? Mais vous le constatez vous‑mêmes. Chaque année dans nos réunions d'anciens élèves, nous voyons que ce que nous avons semé n'est pas tombé toujours dans un sillon stérile. Si nous tenons compte du milieu dans lequel ils tombent en sortant de nos mains, nous trouvons ces jeunes gens, quand ils nous reviennent, dignes de notre affection, de notre respect. Ce qu'ils ont fait pour se soutenir et se garder, pour lutter victorieusement contre les idées et les exemples de ceux qui les entourent est digne de nos éloges et de notre admiration.

Qu'est‑ce qu'elle est, en fait, l'éducation de l'enfant, du jeune homme? Avez‑vous bien pensé à ce que constitue, en résumé, l'éducation de l'enfant? Ce sont d'abord les soins dont on l'entoure, évidemment, puis ce sont les bons conseils qu'on lui prodigue, et enfin les bons exemples qu'on lui donne. J'ai toujours été frappé du rôle très grand que joue l'exemple dans l'éducation. Lamartine, dans ses dernières années, écrivait ses souvenirs. “Pourquoi suis‑je devenu poète?” se demanda‑t‑il. “Ce qui m'a rendu poète, c'est le Père Martin. C'est à lui que je dois l'éclosion de mon talent poétique”. Et il raconte que le P. Martin était un de ses maîtres du collège, un paysan picard, noir et froid. Il disait la messe chaque matin, et Lamartine la lui servait. Et pendant sa messe, le Père était quelquefois si souffrant qu'il pouvait à peine articuler les mots. L'enfant avait besoin d'exercice et de grand air. C'était le P. Martin qui était chargé de le conduire à la promenade. Ils s'en allaient tous deux silencieux, sans dire mot, sur le bord des bois, dans la campagne. Lamartine voyait cet homme discret, mortifié; il lui paraissait un saint. Il avait conçu pour le P. Martin une telle vénération que sa simple présence, son geste, sa tenue faisaient sur lui la plus heureuse des impressions, l'animaient au bien, à la vertu. Le soir, raconte-t-il, il s'en allait à la chapelle où il avait servi la messe le matin. Il se retirait derrière un pilier, et là il sentait son âme, dit‑il, tout inondée de Dieu. Il se passait en lui de vraies révélations; il comprenait le Beau et le Bien, il éprouvait des sentiments qui élevaient tellement son âme, dit‑il, qu'elle avait pu pénétrer dans les parvis de la poésie. Les portes lui en avaient été ouvertes précisément en suite de la vue du P. Martin, de l'impression qu'il avait faite sur son âme d'enfant.

Monsieur Lenfant, maire de Romilly, qui est mort il y a quelques années, et qui était un très bon chrétien, me racontait qu'il attribuait la préservation de sa foi au supérieur du petit séminaire, M. l'abbé Fournerot, et à l'impression que sa sainteté avait produite sur lui. Un jour M. Fournerot lui fait un petit signe: “Venez vous promener!”. Et il emmène l'enfant faire un tour de jardin. Il ne lui adressa pas une parole, si ce n'est qu'en rentrant il lui dit: “Il fait bien chaud aujourd'hui”. L'enfant était tellement ému, tellement pénétré d'avoir marché à côté de ce saint homme, qu'il se dit en lui‑même: “Que c'est beau d'être saint. Si je ne puis pas devenir un saint, je veux du moins rester toujours un bon chrétien”.

Il y a en nous, mes amis, il y a en chacun de nous une source de grâces. Nous sommes appelés par le bon Dieu à l'éducation de la jeunesse. Dès lors le bon Dieu doit mettre en nous tout ce qui est nécessaire pour accomplir cette tâche; tout ce que nous devons communiquer aux âmes des jeunes gens et qui leur sera transmis d'une manière que Dieu seul connaît, et avec une efficacité incroyable. Nous ne sommes pas, dans nos collèges, des maîtres d'étude gagés, des professeurs d'université, nous ne sommes pas de grands savants. Mais nous pouvons être de grands saints, et nous deviendrons de grands saints en faisant seulement ce que je vous dis là. Et votre action sur les enfants sera toute puissante, incomparable.

Cela va bien pendant la retraite. Mais pendant toute l'année, il y a tant de travaux et d'amertumes, il y a tant de fatigues, de luttes, que tout cela déborde et nous passe par‑dessus la tête. Nous sommes annihilés! Mes amis, croyez‑moi: restons toujours fermes. Ramassez toutes les épines du chemin. Plus elles seront abondantes et fournies, plus elles vous feront ressembler au Sauveur. Voyez votre besogne comme cela, envisagez‑la à ce point de vue. Il faut pour cela une grande fidélité à la grâce. Vous ne seriez pas Oblats, que jamais je ne vous dirais cela. “Mais, mon Père, nous ne pouvons pas y mordre, à tout ce que vous nous dites là. Et nous ne voyons pas comment nous y mordrions jamais. Vous dites que vous ne prêcheriez jamais cela devant des gens qui ne seraient pas Oblats, et vous avez parfaitement raison. Ce que vous nous dites là n'est pas faisable, n'est pas pratique. Ce sont des idées, de belles et héroïques idées, mais le premier souffle qui passera balaiera tout cela!”

Non, mes amis, vous pouvez faire tout ce que je vous dis et vous le ferez avec votre Directoire. Faites votre direction d'intention avant chaque action, dirigez bien vers Dieu, vers le Sauveur, vos affections et vos volontés, en faisant votre tâche, et alors vous pourrez accomplir, et facilement, ce que je vous ai dit. Et pourquoi dans vos oraisons, dans vos confessions, ne vous examineriez‑vous pas à ce point de vue, des pensées du Directoire, de l'offrande de vos actions? Pourquoi ne compteriez‑vous pas les manquements que vous y faites et ne les diriez‑vous pas, afin qu'une autre fois ils soient moins nombreux? Soyez bien convaincus de ce que je vous dis là. “Mais c'est bien difficile!” Au fond, mes amis, ce n'est pas si difficile que cela paraît au premier abord. Avec un peu de fidélité, nous y arriverons. “Mais je serai tout le temps gêné, comprimé, je n'aurai jamais ma liberté d'action!” Mes amis, souvent la bonne Mère me disait: “Laissez seulement le bon Dieu entrer en vous et commencer la besogne, et vous verrez que tout ira bien et que vous serez bien à votre aise, bien plus à votre aise que s'il n'était pas là”. Faisons bien cela.

Dans notre besogne de collèges, à chaque instant, cinquante fois par jour, faisons la direction d'intention. Voilà un élève qui a mauvaise volonté, ou qui est incapable, ou brutal. Il blesse votre délicatesse, il vous surexcite. Faites, renouvelez votre direction d'intention, et cet élève recevra le contrecoup de cet acte que vous venez de faire, il s'en trouvera mieux, croyez‑moi! Vous êtes surchargés de classes, de surveillances, cela ne va pas comme il faudrait, vous êtes écœuré, fatigué, énervé. Que faire? Faisons notre direction d'intention, acceptons toute la peine et mortification que le saint amour a déposé pour nous en cette action. Alors, mes amis, nous serons vraiment des éducateurs de la jeunesse, alors nous aurons sur nos élèves un ascendant pour le bien, dont il ne se déferont jamais. Ils nous aimeront toujours, nous respecteront, seront contents de nous revoir. Ce sera pour eux un bonheur, une félicité. Voyez combien la doctrine de saint François de Sales nous vient en aide, et dans les plus petits détails, comme elle nous ouvre une porte facile pour pénétrer et agir dans les âmes, comme elle éclaire toutes nos démarches, comme elle nous mène au but que nous nous proposons d'atteindre, comme elle nous conduit dans le chemin qui mène à ce but.

Continuez bien votre retraite, avec votre besogne quotidienne vue ainsi en Dieu. Prenez la résolution de renouveler bien fréquemment votre direction d'intention. Je répète bien souvent la même chose, mes amis, mais c'est que je désire vivement nous voir entrer tous dans cette voie, de faire tout ce que nous avons à faire, avec l'aide de Dieu, de lui demander son secours à chaque chose et à chaque moment. Le bon Dieu ne gêne pas, il ne restreint pas la liberté, il ne comprime pas l'initiative, il ne fait que la développer et l'étendre, dans la lumière et la vérité. Et voilà, mes Amis, la voie de la sanctification parfaite.

On dit quelquefois que les Oblats n'ont pas de règle, qu'ils ne sont pas organisés, constitués, réglementés comme d'autres religieux. “On ne sait pas ce que c'est que des religieux comme cela! Ils manquent facilement à l'observance, pour un oui ou pour un non. Ils n'ont pas un noviciat sérieux. Ils n'ont rien!” Mes amis, je ne m'offense pas de toutes les sottises que certains vont répétant. Le jour où nous aurons un novice, un religieux qui comprendra bien ce que je viens de vous dire, on dira que les Oblats sont des religieux parfaits. Ce seront des saints, tout simplement et bonnement. Nous n'avons pas besoin pour cela d'être enrégimentés, d'obéir au coup de sifflet, à un mot d'ordre. Nous n'avons pas besoin qu'on nous serine un air de chanson. Comprenez bien que toute notre vie d'Oblat est là. Pour cela il faut, avec la grâce de Dieu, de la volonté, de l'énergie. Il faut être des déterminés, comme disait la bonne Mère. Il faut entrer dans cette voie de bon cœur, et n'en pas sortir. Il faut bien tenir, et ne pas lâcher: “Je l’ai saisi et ne le lâcherai point”- [“Tenui nec dimittam”] (Ct 3:4).

Il faut garder dans sa main le manche de la charrue et ne pas s'arrêter pour regarder en arrière. Faut‑il pour cela n'avoir pas plus d'énergie qu'une femmelette? Faut‑il avoir une intelligence abâtardie? Non, il faut un cœur généreux et bon, il faut une volonté et un raisonnement bien complets et équilibrés. Avec cela on marche. Ce ne sont pas là, certes des pratiques de femmes, des pratiques de petits esprits: ce sont des pratiques de grands génies. Lisez Bossuet dans toute sa doctrine, étudiez sa pensée. Rendez‑vous compte de Bossuet, et vous verrez si ce grand génie avait d'autres moyens que celui dont je vous parle: le recours incessant à Dieu. Vous verrez s'il ne mettait pas là toute sa foi. C'était là qu'il puisait son énergie, son inspiration, sa science et son génie. Bossuet, c'était un homme de cour, un grand orateur. C'était sur ce fonds qu'il avait entièrement établi toute sa vie: le recours incessant à Dieu. C'était la base de tout son enseignement spirituel. C’était le génie de Bossuet qui lui avait fait découvrir cela. C'était là son point de départ, c'était sa base et le fondement de son édifice spirituel et surnaturel. Avec cela il s'est conservé saint au milieu de la cour de France, il est un apôtre et un grand directeur d'âmes, il a été le plus grand des orateurs chrétiens. Et saint François de Sales, a‑t‑il eu d'autres procédés, d'autres moyens, dans tout ce qu'il a dit, dans tout ce qu'il a pratiqué, dans tout son enseignement? C'était le fonds de son âme et de sa pensée, cela.

Agissez ainsi, mes amis, entrez dans cette voie où vous trouverez l'épanouissement de votre intelligence, de votre volonté, de votre force, de votre cœur. Les actes que vous ferez seront des actes extrêmement raisonnables, ce seront vraiment des actes de chrétien, de religieux, d'apôtre. Ce sont des choses du ciel. C'est un rayon du cœur de Dieu qui tombe dans le cœur de l'homme. En marchant dans ce sens, vous suivez la voie royale, comme l'appelle saint François de Sales, où rien n'est frivole, rien n'est inepte ou incapable, où tout est à la hauteur des services que Dieu et l'Eglise attendent.