Retraites 1888

      


CINQUIÈME INSTRUCTION
La pureté de l’âme, la confession

La retraite ne nous est pas donnée seulement comme la forme de la vie que nous devons toujours mener. Il y a dans la retraite nécessairement deux opérations. La première, c'est la purification de notre âme. C'est de cette pureté et netteté de l'âme dont je veux vous entretenir ce matin. Il faut, pour que nous soyons entièrement à Dieu, que notre âme soit pure. Rien d'immonde, dit la sainte Ecriture, ne peut paraître devant ses yeux. Il faut donc purifier notre âme de toutes les fautes qu'elle a commises, et la purifier bien à fond, pour que, après la retraite, nous soyons tels que Dieu nous veut, lui qui nous a choisis, dans son élection toute d'amour, pour demeurer avec lui. Comment se fait cet acte de purification de l'âme? Il se fait assurément par la confession et aussi par ce travail intérieur de résolution, de prévision et de préparation de l'avenir que nous devons faire pendant notre retraite.

La confession, vous ne l'ignorez pas, est un grand moyen, et même le seul après le baptême, pour remettre les fautes graves. La confession est, vous le comprenez bien, assurément, ce qui fait qu'il y a en nous un aveu plus complet de nos misères, une volonté plus assurée et un propos plus complet, plus absolu de mieux faire. Il y a une classe d'hommes dans l'Eglise de Dieu qui se confesse bien, ce sont les prêtres. En général, ils se confessent bien, et très bien. Sans doute ils sont plus instruits, ils ont des grâces plus abondantes. Il y a toujours une grande différence entre la confession du prêtre et celle du fidèle, parce qu'il y a chez lui plus de sincérité, plus d'ouverture. Cette sincérité fait qu'on sent son âme, qu'on sent que cette âme‑là est préparée à la grâce, à la réception de la pénitence. Mes amis, s'il en est ainsi pour le prêtre, à plus forte raison doit‑il en être ainsi pour le religieux. En vous confessant bien, vous recevez le pardon de vos fautes, et vous obtenez la grâce d'être bon confesseur: ces deux choses sont extrêmement parallèles. Si vous vous confessiez réellement bien, vous administreriez réellement bien le sacrement de pénitence. La grâce est la même. Vous tirerez, dit saint Thomas, des trésors de l'Eglise dans votre ministère ce que vous y aurez vous‑même déposé pour porter intérêt. Car on ne peut user que de la somme, du capital que l'on a entre les mains.

C'est donc une obligation de bien nous confesser pour obtenir des grâces pour ceux qui s'adresseront à nous. Nous ne sommes rien, nous, mais les âmes qu'il nous envoie dans sa charité, dans l'affection de son cœur, ces âmes dont il nous dit: “Je vous les confie, c'est moi qui vous les confie. Je vous demande, au nom de mon amour, d'avoir pitié de ces âmes”. Ne l'oublions pas, notre vie publique, tout ce que nous faisons a un double effet. La prière du chrétien est pour le chrétien surtout; la prière du prêtre est pour lui et pour les âmes; la prière du religieux est pour lui et pour les âmes dont il est chargé, pour l'Eglise tout entière. La preuve en est que les ordres religieux doivent dire l'office, et cet office n'est pas applicable à tel ou tel territoire, mais à l'Eglise entière. “Mon Père, ce sont des considérations bien belles.” — “Non, ce ne sont pas des considérations, c'est le vrai sens de nos obligations touchant la confession”. Nous avons l'obligation de nous confesser bien, et parfaitement bien, pour pouvoir parfaitement confesser les autres, être le canal de grâces abondantes, et attirer sur nos lèvres et dans notre cœur ce qu'il faut pour les âmes, et les âmes viendront à vous.

Nous nous confesserons bien pendant la retraite. “Je  fouillerai Jérusalem aux flambeaux”, dit Dieu par un prophète (So 1:12). Il ne se contente pas de prendre les moyens ordinaires, généraux, pour visiter Jérusalem; il veut aller jusqu'aux lieux les plus reculés, les plus secrets, les plus éloignés, les plus mystérieux. Il veut y porter la lumière. N'avez‑vous pas vous‑mêmes un de ces petits coins mystérieux où personne ne pénètre? Avouons que nous‑mêmes nous n'osons pas y pénétrer, nous regardons à la surface et nous avons grand peine à regarder jusqu'au fond pour voir ce qu'il y a. Faites attention à ce petit réduit, cet endroit si retiré où nous craignons de mettre les regards, voyons-le aux flambeaux, avec la lumière de la conscience, de la foi, mettant tout en règle, afin que notre âme, après cette retraite, soit toute pure et nette. Voyez comme Notre-Seigneur traite les pharisiens: “Hypocrites, vous nettoyez le bord de la coupe de votre cœur et vous laissez au milieu une multitude de rapines. Vous blanchissez des tombeaux, et vous‑mêmes vous êtes des tombeaux blanchis; en vous approchant on vous croit tout purs, et réellement il n'y a que corruption, que personne ne peut sentir et supporter” (Cf. Mt 26:28). Soyez donc bien complets, encore une fois, dans vos confessions, bien entiers. Ne laissez pas la moindre petite place où vous ne porterez pas la lumière, le flambeau de la foi, de la conscience. N'ayez pas peur de tout dire, n'ayez pas peur de la lumière, du grand jour.

Le grand moyen donc de tenir notre conscience en sûreté, c'est la confession. Il y en a encore d'autres que je vais vous signaler; mais j'insiste sur celui‑là parce qu'il est nécessaire pour nous d'avoir la conscience bien à l'aise. Vous le remarquerez, tout ce que je dis tourne toujours autour du surnaturel. Nos devoirs, la façon dont nous devons les faire, tout cela est surnaturel. Toute notre vie est là. Ce qui est exigé de nous, notre Directoire, tout cela, c'est la vie intime avec le bon Dieu, le reste n'est rien. Si tout n'est rien en dehors de là, cette chose‑là doit donc être tout pour nous. Si notre conscience n'est pas bien pure, nous ne vivrons donc pas, nous ne respirerons donc pas, nous mourrons. Si notre âme n'est pas bien pure, comment réfléchira-t-elle Dieu, comment pourra‑t‑elle vivre et ne faire plus qu'un avec Dieu? Elle a le péché en elle, et elle voudrait se rapprocher continuellement de Dieu: c'est impossible. Notre conscience sera donc toujours pure et très pure.

Il y a d'autres moyens dont assurément on peut user. Ainsi les coulpes, l'eau bénite, les mortifications qui surviennent. Recueillez bien tous ces moyens‑là. Nous sommes pécheurs, nous avons offensé Dieu, nous avons une dette énorme à payer. Est‑elle payée? Promettez‑vous de payer, et de faire de grands versements? Où sont vos fonds? Soyons plus prudents. Servons‑nous de tout ce que le bon Dieu nous met entre les mains, pour racheter nos fautes. Que ce soit là la grande attention de notre âme. Vous pouvez, jour par jour, heure par heure, minute par minute, payer le solde que vous devez à Dieu. Ce que vous ferez sera peu de chose, mais petit à petit cela paiera votre dette. Purifiez votre âme par les moyens que je vous dis là: pratiquez surtout le Directoire, acceptez cordialement tout ce qui peut se rencontrer de pénible. “Mais, mon Père, c'est bien assujettissant”. — “Oui, mais si vous ne vous assujettissez pas, où cela vous mènera‑t‑il? A des chutes épouvantables, à des chutes jusqu'au fond de l'abîme”. Celui qui méprise les petites choses, dit le Sage, tombera, et il fera une chute énorme. Vous vous assujettissez, mais elle sera bien dédommagée de sa souffrance, l'âme sacerdotale, l'âme religieuse, par la grâce de Dieu, par son secours et ses consolations. Et puis enfin c'est son état, c'est son métier; c'est pour cela que vous êtes venus ici. Je ne vous prêche pas une dévotion particulière, une méthode spéciale. Je vous prêche vos devoirs, vos obligations, ce dont vous devez rendre compte, les dettes que vous devez payer: voilà le moyen de vous acquitter.

Maintenons notre âme dans une grande pureté, faisons souvent des actes de contrition et de regret de nos fautes. Ne restons jamais en état de péché véniel, avec une faute si légère qu'elle soit. C'était la pratique de tous les saints. C'est ce que faisait saint Vincent de Paul: “Quand je fais un pas sans vous, Seigneur, disait‑il, il me semble que les jambes vont me manquer pour faire la route”. Et il a fait bien des pas, le bon saint, dans la Rue de la Mission: il est venu tant de fois en Champagne au temps de la famine. La bonne Mère Marie de Sales agissait de même. On ne surprenait jamais en elle le moindre petit mouvement en dehors de ce que Dieu voulait d'elle. Saint Alphonse de Liguori disait qu'une minute en dehors de l'intimité du bon Dieu était pour lui une minute de l'enfer.

Ce que tous les saints pensaient et faisaient en suite de leur état, de leur manière d'être habituelle avec Dieu, nous devons le penser et le faire en suite des obligations de l'état que nous avons embrassé. A chaque faute demandons pardon à Dieu, dans l'humilité et la bonne volonté, et Dieu nous pardonnera. Sans doute cela sent bien l'enfant. Mais qu'a dit Notre-Seigneur? N'a‑t‑il pas dit qu'il fallait ressembler aux petits enfants? Notre-Seigneur aime l'enfance. Il l'aimera en nous, et il l'aimera en nous rendant forts et vigoureux. Autrement nous tomberons à terre inévitablement. La fable raconte qu'Antée, quand il avait touché la terre, était invincible. Il puisait là une force nouvelle. Toutes les fois que nous touchons Notre-Seigneur par l'amour, l'humilité, la bassesse, l'enfance, nous puisons en lui une force nouvelle, une énergie d'autant plus grande, que nous avons eu plus de crainte d'être éloigné de lui.

Notre conscience sera pure, elle sera exempte de péché. C'est la condition essentielle de notre vie sacerdotale et religieuse. Sans cela nous ne pouvons plus rien. Mais il faut que nous soyons unis à Dieu, que nous ne soyons plus deux, mais un avec lui. Ecoutons encore ce que dit saint Jean: “Celui qui reconnaît qu'il est coupable habite en Dieu, et Dieu est en lui et fait son œuvre”. Tenons bien à cela, ayons une grande netteté, une grande pureté de conscience.

A cette netteté de conscience, ajoutons une grande droiture intérieure. Qui est‑ce qui avait une plus grande droiture intérieure que la bonne Mère? C’était une grande sainte. Elle visait toujours droit à ce que voulait le bon Dieu, et jamais ailleurs. Notre intention à nous, quelle est‑elle? De nous procurer quelque jouissance, quelque retour immortifié du côté de nos élèves. Vis à vis de nos supérieurs, ce sera de les gagner en obtenant telle ou telle chose en dehors de l'observance, ou de la volonté de nos supérieurs immédiats, que sais‑je? “L'intention, dit saint Bernard, en un grand nombre de religieux, ressemble à des serpenteaux, ou petits serpents, qui ne sont pas bien venimeux, qui entrent et sortent sans qu'on s'en aperçoive, qui s'agitent, qui sont d'assez bonne compagnie; on peut vivre au milieu d'eux: ils ne mordent pas. Mais laissez‑les grandir. Quand ils auront grandi, qu'ils seront adultes, venez au milieu d'eux.” De même les intentions de l'âme religieuse dont on ne se rend pas bien compte finissent par prendre tout ce qu'il y a de bon dans l'âme. Vous connaissez l'homme de la fable, qui était environné de serpents et dont la sculpture a fait un chef-d'œuvre: les serpents l'enlacent, lui et ses enfants, et les étouffent dans leurs étreintes. Prenons garde que de pareilles luttes nous soient imposées.

Faisons attention de bien rectifier toutes nos intentions. La ligne droite est le plus court chemin. Voilà ce que Dieu nous dit: faisons‑le de suite. Dieu est ici, nous sommes là: quelle est la ligne droite? C'est l'intention droite: prenez‑la en toutes vos actions. Si vous ne l'avez pas prise, vous trouverez à droite un précipice, à gauche vous en trouverez dix, comme dit le Psalmiste: “Qu’il en tombe mille à tes côtés et dix mille à ta droite” (Ps 91[90]:7). Le chemin dans lequel vous auriez dû marcher est devenu une route où il vous sera impossible d'avancer.

Ayez donc la droite intention qui fait l'honnêteté de l'âme, la splendeur du caractère, et qui est certainement la plus belle lumière morale qui soit au monde. Dans tout ce que vous entreprenez, demandez à Dieu, avec le prophète Isaïe, de purifier votre intention. Le bon Dieu est la vérité et la beauté même. Or la vérité et la beauté sont dans l'intention. C'est par là que vous atteindrez le beau, que vous atteindrez Dieu; c'est là le parfait idéal de la vie religieuse. Demandez bien à la bonne Mère cette excellente vertu, car c'en est une: c'est la reine des vertus morales. On demandait déjà cette vertu dans les premiers âges du monde, et Dieu récompensait magnifiquement cette prière. Voyez ce jeune roi que vante l'Ecriture, quelle était sa prière?: “Seigneur, donnez‑moi non pas les richesses de la terre et la multitude des troupeaux; mais donnez‑moi un cœur droit”. Et Dieu fit ce coeur large comme la mer. “Parce que tu ne m'as pas demandé les choses de la terre, dit‑il à Salomon, je te les donnerai en surabondance avec celles du ciel.” Demandons bien ces deux choses: “Dieu, crée pour moi un coeur pur, restaure en ma poitrine un esprit ferme” (Ps 51 [50]:12). Le cœur pur et la droite intention, voilà les deux ailes de notre âme, les deux avirons qui conduiront notre barque sur cette mer, qui la dirigeront sûrement toujours et la feront marcher efficacement vers le port. C'est le don de notre saint Fondateur, c'est le don de la bonne Mère, ce doit être précisément le nôtre: c'est notre fortune, notre héritage, ne l'oublions pas. Que le Sauveur Jésus daigne écouter nos prières à tous. Me faisant votre intercesseur auprès de lui, je lui demande de répandre ce double esprit dans vos âmes. Sauveur Jésus, donnez‑nous toujours la pureté de la conscience. Sauveur Jésus, donnez‑nous toujours une volonté ferme, constante, et que cette volonté fasse en moi toujours la droiture d'intention.