Retraites 1897

      


PREMIÈRE INSTRUCTION
L'œuvre de la retraite

La retraite est toujours une chose importante, non seulement pour nous, mais pour tous ceux qui nous entourent et sont en rapport avec nous. N'oublions pas qu'ils participent aux grâces que nous recevons. Ne faisons donc pas notre retraite pour nous seulement. Élargissons nos intentions, étendons notre champ d'action. Vous êtes Oblat de saint François de Sales, vous avez une doctrine, une règle, des Constitutions, un Directoire. Tout cela vient de Dieu, tout cela est approuvé par la sainte Eglise. Où en sommes‑nous de ces obligations qui sont vitales pour nous? Chacune de nos actions, en suite de ces puissants moyens que nous avons à notre disposition, est‑elle un acte surnaturel, divin? “Car nous sommes devenus participants du Christ” (He 3:14). “Mais, mon Père, pendant une retraite, vous devriez nous dire des choses beaucoup plus simples”. — “Non! je ne vous en dirai pas de plus simples, parce que je suis obligé de vous dire les choses que précisément je vous dis là”.

Prenez en effet, mes amis, le décret d'introduction de la cause de la bonne Mère Marie de Sales. Que dit‑il? Si ce qu'il dit n'est pas notre programme, nous ne sommes bons à rien. Nous ne sommes pas l'œuvre que Rome veut constituer, que la sainte Eglise veut bénir et approuver. Nous sommes l'eau qu'on voudrait appliquer en dehors des conditions baptismales. C'est tout cela en effet. Croyez‑vous que si nous faisions autrement que je vous dis, Dieu aurait fait tant de grâces à la bonne Mère? Est‑ce que l'Eglise s'empresserait ainsi d'introduire sa cause, d'approuver ses écrits, de louer ses paroles et ses œuvres? Est‑ce que nous‑mêmes nous serions la raison d'être de l'introduction de sa cause? Quand nous avons voulu demander qu'on instruisît le procès de béatification de la bonne Mère Marie de Sales, on nous a dit: “Mais il y a déjà deux Visitandines dont les causes sont pendantes: la bienheureuse Marguerite-Marie et la vénérable Anne‑Madeleine Rémusat. Nous ne pouvons pas en accepter une troisième”. Et alors nous avons présenté la bonne Mère au titre, non plus de Visitandine, mais de fondatrice et institutrice des Oblats de saint François de Sales. Et c'est à ce titre qu'on l'a acceptée. C'est donc à cause des Oblats que Rome a consenti à étudier et à faire marcher cette cause et à appeler la bonne Mère Vénérable, en attendant qu'on l'honore comme bienheureuse et comme sainte. Nous sommes donc quelque chose aux yeux de la cour de Rome.

Or Rome, dans le décret d'introduction de la cause, approuve ce que la bonne Mère a fait et ce qu'elle a dit. La bonne Mère, dit ce décret, a donné l'exemple d'une vie tout unie à Dieu. Elle a conduit les âmes qui lui étaient confiées au véritable amour de Dieu. Elle a montré par conséquent par tous les exercices de sa vie ce qu'elle répétait souvent: que le Ciel n'est pas une chose extraordinaire, étrange, comme on pourrait le croire par la vie de certains, et comme on se le figure souvent. La bonne Mère a dit et répété, et l'Eglise aussi le dit et répète, que chacun peut se sauver dans sa voie. Elle a dit et répète avec la sainte Eglise que la sainteté ne consiste pas dans la singularité et dans l'étrangeté de la vie, mais dans l'union à Dieu, dans l'union de la volonté à la volonté de Dieu. Et c'est parce qu'elle a dit et fait tout cela, que l'Eglise veut canoniser la bonne Mère.

Cette doctrine toute pratique, la bonne Mère l'a propagée par l'exemple de sa vie, par ses écrits, et surtout par les âmes qu'elle a menées à Dieu. Et aujourd'hui, si nous avons des collèges, des œuvres, ce n'est que pour continuer et utiliser cette pensée de la bonne Mère. Et ce faisant, nous serons vraiment Oblats de saint François de Sales, et nous ne le serons qu'à ce prix. Cela ressort évidemment du décret. Et ce décret vise surtout et en premier lieu ce qui concerne les Oblats, puisque c'est précisément à cause des Oblats qu'il a été porté: parce que la bonne Mère est fondatrice des Oblats.

On avait écrit de Troyes jadis une lettre, qu'on avait envoyée un peu partout, dans laquelle on disait que la Mère Marie de Sales était une personne vénérable, distinguée, intelligente dans sa direction, vertueuse, mais on n'admettait pas le surnaturel dans sa vie et la sainteté dans ses actes. Et le décret d'introduction de la Cause vient démolir tout cela. Il affirme la sainteté de la Vénérable. Et l'une des grandes raisons qu'il en donne, c'est parce qu'elle a été l’inspiratrice et l'institutrice des Oblats, qu'elle a éclairé la voie dans laquelle ils marchent, que les Oblats sont ses enfants et qu'ils font un grand bien dans le monde.

Je le dis en passant, mes amis, si dès le début nous avions bien su nous pénétrer de cette
pensée, toutes nos maisons auraient réussi. Pour réussir, nous n'avons pas d'autres moyens que ceux que nous donne la bonne Mère. Si nous avions d'autres moyens, alors nous serions d'autres hommes. Notre vie ne sera jamais que là, et le jour où nous serons trouvés conformes à ce que je dis là, les prédictions que la bonne Mère m'a faites, et dont une partie déjà jusqu'à présent s'est réalisée, se réaliseront encore et complètement. Mais pour cela il faut faire comme la bonne Mère a dit.

Je n'ai jamais été aussi affirmatif que dans ce que je vous dis là. C'est qu'aujourd'hui je me trouve fort des paroles de la sainte Eglise elle‑même. Pour comprendre cela, il faut des hommes intelligents, et c'est Dieu qui donne l'intelligence. Demandez‑la-lui donc. Si notre esprit est assez borné pour ne pas pouvoir s'élever à ces choses, si notre volonté n'est pas droite, si elle n'est pas assez généreuse pour reconnaître sa faiblesse, ses misères, nous ne comprendrons rien. Si notre volonté n'est pas pure, si elle n'est pas innocente, nous ne comprendrons rien. Est‑ce à dire qu'on ne peut pas être Oblat si l'on a fait quelques fautes en sa vie? Non assurément. Mais il faut que nous soyons comme ceux que le Sauveur a le plus aimés, Madeleine, Pierre, le bon larron. Il faut le repentir et la réparation. Il nous faut donc de l'intelligence, de la vertu, du courage, de la fidélité. Avec la fidélité nous arriverons rapidement à ce que la bonne Mère demande. C'est une étude que nous aurons à faire. S'il nous arrive de perdre un jour un peu de terrain, il faut nécessairement le regagner le lendemain.

Nous allons donc commencer cette étude. Et pour la commencer, il faut faire une bonne retraite. Il faut demander au bon Dieu de nous éclairer sur la doctrine de la bonne Mère. Elle produit vraiment des merveilles. Un de nos prêtres associés du diocèse de Troyes me disait dernièrement: “C'est une nouvelle vie vraiment pour nous, pour nos paroissiens par contre-coup. Nous nous sentons plus courageux, plus hardis pour demander aux âmes ce qu'elles doivent donner”. Si les prêtres étrangers comprennent cela, nous le comprendrons bien aussi, avec la grâce de Dieu, et même mieux qu'eux. Je le répète, pour bien comprendre ces choses, il faut faire une bonne retraite.

La retraite est en effet le commencement d'une période de notre vie. Saint François de Sales disait qu'il faut toujours recommencer. C'est pour nous l'occasion de recommencer. Laissons le passé à la miséricorde du Sauveur, et commençons par examiner notre conscience. Voyons ce que nous avons fait et voyons aussi ce que le bon Dieu a fait en nous. On fait de temps à autre son examen, mais on ne songe pas assez à faire l'examen du bon Dieu. Examinons‑nous sur les commandements de Dieu et de l'Eglise, sur nos vœux, sur les promesses que nous avons faites à Dieu, sur les grâces que nous avons reçues. Tenons en main la lampe. “Je fouillerai Jérusalem aux flambeaux”, dit le prophète (So 1:12). Examinons tous les recoins, visitez votre âme, visitez‑en le temple, le tabernacle. Visitez et scrutez toute votre Jérusalem.

Faites donc bien votre examen et apportez au confessionnal une confession bien entière, bien humble, dans laquelle Dieu vous donnera le repentir sincère et le ferme propos. Il faut aussi faire l'examen du bon Dieu. Combien de sources de grâces nous avons à notre disposition: les sacrements, la messe, l'oraison. Que de lumière, que de consolations nous avons reçues. Sans cela que serions‑nous devenus? Voyons nos instincts mauvais au fond de notre être. Que sommes‑nous par nous-mêmes et que serions‑nous devenus si la main de Dieu ne nous avait protégés, si nous n'avions par reçu cette surabondance de grâces? Le bon Dieu cependant nous les devait‑il?

Je ne saurai jamais assez insister là‑dessus, sur cette grâce de choix que Dieu attache à chacun de nos pas. La bonne Mère le disait: “Le Sauveur? Mais il est tout entier pour nous; c'est pour nous, pour chacun de nous en particulier qu'il s'est fait homme. Sa personnalité divine vient en supplément de la personnalité de chacun de nous. Pourquoi travaille‑t‑il encore, si ce n'est pour nous?” Vous comprenez alors la sainteté de notre vie, toujours unie à celle de Jésus-Christ. C'est là l'A.B.C. de notre doctrine. Ce n'est pas le fait d'une imagination exaltée. Non. C'est ce qu'a dit la bonne Mère; c'est ce que l'Eglise a approuvé. Si nous vivons de cette vie, nous serons de bons Oblats. Mais il faut commencer par une bonne retraite. Voilà donc toute notre vie: être unis au Sauveur. Quand nous l'aurons fait, nous serons arrivés à la sainteté. Cela nous empêchera‑t‑il d'être un bon littérateur, un bon mathématicien, un bon philosophe? Assurément non. Vous trouverez là au contraire, une grande aide pour réussir.

Je vous dis là des choses bien simples, mes amis. Je ne viens pas vous dire: “Portez le cilice! Ne mangez que deux ou trois fois la semaine!” Notre grande étude sera d'éloigner le mal, de dompter la passion, de nous encourager à la vertu par le souvenir de la présence de Dieu, par la bonne volonté de lui être unis. Nous allons donc faire une bonne retraite, nous appliquer à notre examen de conscience, à l'examen du bon Dieu aussi, faisant bien chacun de nos exercices. Que ces jours de retraite soient une vraie période de sainteté et le bon Dieu sera et restera avec nous.