Retraites 1897

      


QUATRIÈME INSTRUCTION
Le vœu d'obéissance

Ne perdons pas les fruits de la retraite. Au contraire, conservons‑les bien soigneusement, augmentons‑les ces derniers jours, afin que les grâces que nous devons recevoir nous soient données au complet. Attachons‑nous bien à la fidélité aux exercices, au silence, à la vigilance sur nous‑mêmes. Acceptons bien complètement toutes nos petites providences d'épreuves, surtout la solitude de notre esprit, de notre imagination. Nous sommes en retraite, restons bien en retraite. Ne regardons pas où nous serons samedi, lundi, la semaine prochaine. Ces pensées‑là font envoler les bons anges, les esprits de Dieu (Cf. Ct 6:4 “... me avolare fecerunt”). Soyons bien généreux: “Fais ce que tu fais” - [“Age quod agis”]. Faites bien ce que vous faites; ne faites pas trente-six choses à la fois. Soyez victorieux dans cette lutte de tous les instants, ne laissez entrer dans votre esprit ni préoccupation, ni regard sur les choses du dehors. Quand Noé était dans l’arche il ne regardait pas au-dehors, il ne regardait ni la pluie ni les flots. Il regardait l'arche qui le portait. Nous sommes dans l'arche. N'ouvrons pas la fenêtre jusqu'à ce que le dernier moment arrive, jusqu'à ce que le Saint-Esprit apporte une petite branche d'olivier, jusqu'à ce que Jésus nous dise comme aux disciples: “La paix soit avec vous! C’est moi, n’ayez pas peur” (Jn 6:20). Soyons courageux.

Hier je n'ai pas fini de dire toute ma pensée sur le collet. Nos Pères l'ont adopté en chapitre: tout le monde l'aime bien, moi aussi. Mais si ce petit collet est mal porté par nous dans le diocèse, si deux ou trois prétendants ou novices s'en vont en ville l'air évaporé, mondain, se faisant remarquer, faisant juger mal les Oblats, il faut y prendre garde. Ce serait fâcheux que les novices n'aient pas le petit collet: ils ont droit à porter l'habit de l'Institut. Il y aurait peut‑être moyen de tout arranger. Quand quelqu'un ira en ville dorénavant avec cet air‑là, quand il se fera remarquer, quand il s'en ira avec une belle canne, étalant une chaîne d'or ou d'argent, avec des cheveux trop bien soignés, à celui‑là on remettra le rabat, afin qu'on ne le prenne pas pour un Oblat, jusqu'à ce que sa chevelure trop soignée, son air mondain et vaniteux aient disparu. Ce sont de petites étourderies? C'est plus sérieux qu'on ne pense. Je recommande particulièrement au Père Rolland de faire cette police‑là et de la faire sévère. Que les supérieurs des autres maisons y tiennent aussi la main: qu'ils veillent à ce qu'on fasse bien comme j'ai dit.

Parlons aujourd'hui du vœu d'obéissance. Qu'est‑ce que c'est, et à quoi nous oblige‑t‑il?. À qui devons‑nous obéir? Nous devons obéir aux Constitutions, au Directoire, au Coutumier. À qui devons‑nous obéir encore? Au supérieur général, et aux supérieurs locaux; à ceux qui sont en charge, qui ont un office quelconque dans la Congrégation. On a dit de bien belles choses sur l'obéissance. Ces belles considérations parfois ne nous touchent guère. C'est si difficile de soumettre entièrement sa volonté et son jugement! Je n'essaierai donc pas de vous dire de belles choses qui peut‑être ne vous toucheraient pas. Je vous dirai seulement: Vous êtes religieux, vous avez fait des promesses, des vœux; vous êtes par conséquent liés, obligés. Pourquoi marchander? Pourquoi discuter ceci ou cela? Pourquoi prendre aujourd'hui une petite partie de votre liberté, un autre jour un autre morceau plus considérable? Vous irez ainsi affaiblissant la colonne de la sainteté, la colonne de la vérité et de la justice, sur laquelle repose votre âme. La bonne Mère Marie de Sales disait qu'il faut être des déterminés. Voilà ce que j'ai promis: je le ferai. Dites‑vous cela, faites‑le, et la cause est entièrement gagnée.

Quelles autres considérations pourriez‑vous trouver qui justifient pleinement votre défaillance? Voulez‑vous le bonheur, la paix, la joie? La paix: vous n'aurez plus à lutter, dès lors que vous serez déterminés à toujours obéir. La joie: la vie des saints, notre expérience nous disent quelles sont les joies ineffables de 1'âme obéissante. Le bonheur: mais vous avez là le bonheur de votre vie entière, chaque instant, chaque minute passée dans l'obéissance, vous apportant la félicité morale, surnaturelle. 

C'est difficile d'obéir? Si nous étions des hommes faisant de grandes méditations, nous aurions de quoi employer notre vie à méditer l'obéissance de Notre-Seigneur, puisque c'était là toute sa vie. Si nous aimions le Sauveur petit enfant, homme fait, obéissant à un homme qui n'était qu'un humble ouvrier, à une simple femme, trouverions‑nous l'obéissance difficile? Nous la trouverions divine. Obéissez donc: c'est vous mettre en quelque sorte à la hauteur de l'Homme‑Dieu. Je ne veux pas vous indiquer d'autres moyens que ces deux‑là: considérer les grâces qu'apporte l'obéissance.

Soyez déterminés. Montrez-vous des hommes de caractère. Vous savez ce que vous faites. Il faut partir de là. C'est dur d'obéir, c'est humiliant? Une vieille anecdote, que je raconte perpétuellement: quand j'entrai au petit séminaire, il y avait là un certain abbé T[rouvé], maître d'étude, homme d'un caractère exigeant et difficile. Je ne sais ce que je fais, je tourne la tête, et voilà cet homme qui descend furieux de sa chaire en me criant: “Vous copierez cent vers”. Me voilà pris, pensai‑je. Comment faire? Aller lui dire que je ne suis pas coupable? Il ne voudra pas me croire. Je ne veux pas y aller. Voilà une belle école, où je suis venu. Je me mis à prier tout bas; je vois encore ma place, dans la grande étude: “Oui, mon Dieu, me voilà pris! Je vais être obligé d'obéir à ce vilain homme! Eh bien non, je ne lui obéirai pas; mais je vous obéirai à vous, mon Dieu; et je vous obéirai toujours. Je ferai tout au monde pour accepter, de votre part, ce qu'on me commandera, et pendant tout le temps qu'il me faudra rester ici”.  J'ai tenu parole au bon Dieu et je ne m'en suis pas mal trouvé. Je dois certainement ma persévérance dans ma vocation à cette prière‑là. Je n'ai jamais eu à me reprocher le moindre petit mot sur mes maîtres, jamais de récriminations sur la nourriture ou autre chose. Je suivais mon petit chemin avec ma petite fierté intérieure; je n'étais soumis à personne, si ce n'est à Dieu. Quand nous laisserions cette idée entrer un peu en nous, elle nous aiderait peut‑être dans l'obéissance.

Que ce soit donc notre grande résolution d'être déterminés, d'être fermes dans l'obéissance. Quand on vous donne une obédience, ne pas faire d’objections. Il n'est pas défendu de donner ses raisons avec une simplicité toute salésienne et une entière disposition à obéir quand même. Mais quand l'ordre est formel, l'obéissance doit être irrévocable. Voilà donc le premier et le dernier mot de l'obéissance au supérieur: je vois dans ce qu'il me dit la volonté de Dieu, Dieu lui‑même. Voir Dieu dans le supérieur n'est pas toujours facile, ni au physique, ni au moral. Il faut se placer au point de vue surnaturel. J'agis pour Dieu, je fais la volonté de Dieu. Qu'importe que ce soit de cette façon‑ci ou de cette façon‑là.

Inutile d'en dire plus long sur ce sujet, du supérieur. Nous obéirons donc à notre Règle, à nos saints écrits, et nous obéirons aux supérieurs: et voilà toute l'obéissance. Nous y serons fidèles. Et savez‑vous ce qui en résultera? Ecoutez Saint Paul: “L’Evangile, dont je suis l’ambassadeur dans mes chaînes” (Ep 6:20). C’est dans ma chaîne, c’est soumis à une dépendance lourde comme une chaîne, que j'accomplis la mission que Dieu m'a confiée. Oh! faisons bien cela, le service de Dieu dans les chaînes de l'obéissance, de la dépendance. C'est à ce prix que nous serons vraiment les ministres de Dieu. Rien n'est plus profitable aux âmes et à nous, rien n'est plus admirable que ce que nous faisons dans les chaînes de l'obéissance. On finit par trouver cette chaîne bien douce, l'amertume ne revient pas par après. C'est comme le vent qui a passé sur la mer et qui apporte sur les terrains brûlants la fraîcheur et la fertilité. Aimez donc cette chaîne de l'obéissance. Baisez‑la dix fois, vingt fois par jour. Que le bon Dieu vous fasse bien comprendre ce qu'il y a là de grand, de saint, de fort.

Pourquoi la religion reçoit‑elle des communautés religieuses un secours si puissant? Pourquoi sont‑elles le cœur de l'Eglise, ce qu'elle a de meilleur et de plus cher? C'est parce que les communautés religieuses sont attachées par cette chaîne de l'obéissance. L'Eglise les a liées d'un lien d'amour, de charité divine, à tout ce qui est de Dieu et de sa divine volonté. Le religieux qui en se levant le matin ne se sent pas libre, mais qui à ce premier moment se sent attaché à Dieu, qui continue toute la journée à porter sa chaîne d'amour: à l'oraison, à la messe, à la classe, à l'étude, qui sent le poids de cette chaîne dans telle charge, tel emploi. Oh qu'il est bienheureux! Il peut s'écrier avec saint Paul: “C’est à cause de l’espérance d’Israël que je porte les chaînes que voici” (Ac 28:20). Oh! comme elle m'est chère et comme je l'aime! Oui, on aime bien les choses dont on s'est fait un devoir. Il en était ainsi à la Visitation de Troyes au temps de la bonne Mère. Cette obligation de l'obéissance était chère à toutes les Sœurs, surtout aux meilleures. On s'affectionne à tout ce qui coûte, l'obéissance, la pauvreté, la mortification. On s'affectionne à ce qu'il y a de difficulté dans les prescriptions de la Règle. Cela apparaissait si manifestement à la Visitation, cela éclatait en elles. C'était un vrai bonheur, une félicité, quelque chose de tout surnaturel et surhumain. Et elles s'étaient accoutumées à cela. Cela leur devenait facile, cela les rendait tout à fait heureuses.

Je vous en prie , mes amis: faisons‑en tous l'expérience. Vous avez bien des obligations, vous en êtes environnés, surchargés. Toutes les fois que vous avez une peine, que vos goûts ne sont pas satisfaits, prenez sur vos forces, arrivez à aimer ce que vous envoie la Providence. Si nous aimons ce que Dieu nous demande, nous serons ce que tout le monde désire de nous, ce que l'on se figure que nous sommes. Je reçois tous les jours des lettres qui expriment cette pensée: “Quelle belle et grande chose que d'être Oblat”. Qu'est‑ce qu'on n'attend pas de nous? Le P. [Claude] Perrot de Notre-Dame des Ermites me disait il y a 25 ans que les Oblats sont appelés à prendre dans l'Eglise de Dieu une des premières places, s'ils sont fidèles. “Il n'y a rien à ajouter, rien à changer. Qu'ils gardent bien intact l'esprit de leur règle, de leur fondation, et ils seront des soldats d'élite dans l'armée de Jésus-Christ. Ils seront généreux, ils marcheront à la conquête des âmes”.

Le P. Rollin, dans la conférence qu'il vous a faite, vous a dit la pensée de Rome. Les lettres que je reçois, je le répète, accusent toutes la même pensée. Si vous faites bien votre Règle, si vous vous soumettez au joug de l'obéissance, ce sera une chaîne que vous porterez, mais vous serez vraiment les ministres de Dieu et Dieu agira merveilleusement par vous. Vous serez des religieux parfaits, vous serez de saints religieux. Mettons-nous‑y de tout notre cœur, soyons vraiment obéissants, soyons vraiment pauvres. Qu'il y ait un changement notoire, visible dans chacun de vous, dans la communauté tout entière. Je ne dis pas que nous ayons besoin d'un changement complet, d'une conversion entière. Non, nous sommes bons. Je ne veux pas faire de comparaison avec qui que ce soit, mais j'affirme qu'en aucune autre communauté on ne trouvera plus que chez nous le fonds bon et excellent, la simplicité, le cœur, le dévouement. Je vais plus loin: l'obéissance même et la simplicité de jugement, bien que nous ne la montrions pas toujours, la charité elle‑même, quoique nous y manquions trop souvent. Voilà ce qui fait notre force, notre vitalité. Nous avons tout ce qu'il nous faut: nous faisons beaucoup déjà. Pourquoi ne ferions‑nous pas le reste? Il nous faut mettre les dernières pierres de l'édifice. A l'œuvre!

Qu'est‑ce qui nous manque? La doctrine? Voyez‑vous quelque chose à changer? Avez‑vous une seule hésitation, un seul doute? Notre manière d'aller au bon Dieu apporte‑t‑elle avec elle la moindre incertitude? Notre correspondance, notre union avec le Sauveur, le moindre desideratum? Notre évangile n'est‑il pas l'Évangile de Notre-Seigneur, tel qu'il a été écrit, tel qu'il a été révélé aux évangélistes? L'intérieur de nos demeures n'est‑il pas celui de la maison de Nazareth? Nos prédications ne sont‑elles pas les prédications du Sauveur, nos travaux ne sont‑ils pas les siens? Qu'est‑ce qui pourra donc nous séparer de la charité entière du Sauveur? Rien! Une seule chose produirait ce résultat: notre infidélité à ne pas porter cette chaîne qui nous lie à Dieu, ce lien ineffable vraiment. Mettons‑nous‑y de tout notre cœur, et alors nous devenons vraiment des hommes, des religieux. Il y a en nous quelque chose, le Sauveur trouve en nous une copie qui lui ressemble. Nous sommes les amis de son cœur, nous sommes ceux à qui il dit tout, à qui il confie tous ses secrets, toute sa pensée. Notre théologie est bonne, serrée. Je le répète, nous avons ce qu'il faut. Il ne manque plus que la couronne de l'édifice. Que cette retraite mette le sceau divin de la charité, de l'amour, de cette union de charité, de cette dilection à laquelle le Sauveur a promis sa bénédiction. La bonne Mère m'a dit: “ Je ne vous laisserai pas, je resterai toujours avec vous afin que vous soyez vraiment trouvés dignes de votre vocation”. Je regrette de ne pas pouvoir vous dire tout ce qu'elle me disait sur ce sujet. Le P. Rollin nous dira encore un petit mot, j'espère, et le P. Pernin nous dira encore quelque chose de ce qu'il a vu et remarqué dans ses courses de prédication, et qui puisse vous donner une juste idée de ce que doit être un Oblat de saint François de Sales.

Je finis. Je vous conjure par l'amour que Notre-Seigneur a eu pour nous, par la grâce qu'il a faite en donnant la Mère Marie de Sales, de vous tenir réunis tous en un seul même cœur, en une même âme, pendant cette retraite. Durant ces jours bénis, il nous a attirés à lui, il nous a donné la lumière, celle jusqu'où sa grâce nous appelle “depuis la constitution du monde”(Mt 13:31). Méditez ces choses, et que la grâce descendant dans vos âmes déterminées à être vraiment et complètement Oblats de saint François de Sales vous apporte l'obéissance à la doctrine et à l'esprit de notre saint Fondateur. Ainsi soit‑il.