Retraites 1896

      


PREMIÈRE INSTRUCTION
La retraite et le Directoire

Mes amis, faisons bien sérieusement cette retraite. Tout le monde a besoin de retraite, les prêtres, les religieux, surtout les Oblats, parce que notre vie tout intérieure d'un côté, doit être tout extérieure de l'autre par la pratique incessante de la plus grande charité. Il faut donc que nous prenions toutes nos précautions, intérieurement et extérieurement, pour arriver à notre but qui est d’être un parfait religieux. La retraite pour nous, Oblats de saint François de Sales, n'est pas absolument telle que l'enseignent et la pratiquent beaucoup de bons prêtres et de saints religieux. On fait de longs exercices, de longues méditations. Je comprends que cela ait quelque efficacité sur l'imagination. L'esprit est frappé, les convictions paraissent plus profondes. La retraite produit de grandes secousses en de telles âmes, elle détermine de beaux actes, des résolutions généreuses, héroïques. Je suis loin, mes amis, de blâmer les retraites faites dans de telles conditions. C'est une secousse momentanée, qui n'inocule pas toujours la sève religieuse, c'est une pluie d'orage qui n'arrive pas toujours à détremper la terre, comme la pluie lente et douce, dont l'effet se fait sentir longtemps.

Nos retraites n'apparaissent pas, à première vue, environnées de tant de préparations, de tant d'appareil et moyens extérieurs. Mais si elles sont bien et simplement faites, elles poussent l'âme, elles produisent une direction, qui se perpétue, qui dure et qui n'est que la continuation de la première impulsion, de la première poussée. Or, mes amis, comment arriverons‑nous à obtenir un pareil résultat? C'est par une grande fidélité au règlement, par une ponctualité absolue, et par une rigoureuse observance du Directoire. Faites des journées de fidélité. Ce sera une habitude que vous contracterez et que vous continuerez par après, et ce seront de grandes grâces que vous attirerez sur vous. A l'extérieur, pas le moindre mot, pas le moindre manquement. A l'intérieur, toutes les pensées du Directoire, la bénédiction de l'heure, la direction d'intention, les aspirations du silence, les pratiques du réfectoire. Ce que je vous dirai dans cette retraite, sans doute vous fortifiera, vous éclairera. Mais vous connaissez déjà tous vos devoirs en détails. L'essentiel c'est d'être bien prêt pour recevoir les grâces de Dieu. Nous sommes bons sans doute, de bons prêtres, de bons religieux. Nous appartenons au corps ecclésiastique, et nous ne lui faisons pas déshonneur. On ne peut guère nous faire, pour l’extérieur, de reproches bien caractérisés. Mais sommes‑nous de bons religieux? Que chacun prenne son Directoire et se dise: “Ce petit livre que j'ai là dans les mains, l'ai-je dans le cœur? L'ai‑je dans ma volonté? Ai‑je bien l'esprit de la Règle? Tout ce qui est marqué, est‑ce bien ce que je fais? Les intentions qui sont indiquées dans ce petit livre, sont‑elles bien celles qui me font agir? En résumé, ma vie religieuse, est‑elle l'expression du Directoire?”

On dit que quand on voit une Visitandine, on les voit toutes: à Troyes, à Paris, à Rome, partout. C'est le Directoire qui fait cela. On me disait de même, au commencement de l'Institut: “Quand on a vu un Oblat, on les voit tous”. Et c'étaient des évêques, des prêtres remarquables, ceux qui me disaient cela. On ne me le dit plus guère maintenant. La note religieuse serait‑elle moins sensible? Là, encore une fois, mes amis, nous ne sommes pas mauvais, mais le rayonnement de notre personnalité au dehors n'est pas un rayonnement religieux. Eh bien, il faut nous y mettre. Il faut que cette retraite vous détermine à être enfin ce que vous devez être, il faut que vous preniez enfin cette note vraiment religieuse qui manque à quelques‑uns. Et comment cela? Par la pratique fidèle et complète du Directoire. Qui est‑ce qui a fait saint François de Sales? la bonne Mère Marie de Sales? Les saints prêtres qui ont connu la bonne Mère et qui se sont aidés de ses conseils? C'est le Directoire. Prenez celui de nos Pères que vous voudriez copier, celui que vous aimez le mieux et auquel vous voudriez ressembler: c'est le Directoire qui l'a fait ainsi, c'est le Directoire qui lui donne cette influence. Commençons par le commencement! Le matin, quel est celui qui, ouvrant ses yeux à la lumière du jour, les ouvre aussitôt à la lumière de la grâce et qui dit à Dieu: “Me voici, Seigneur, que faut‑il que je fasse pour accomplir votre volonté?”  “Hoc est enim omnis homo”, c'est là tout l'homme, tout le religieux, et ce n'est pas une petite chose. Vous vous éveillez: jetez donc tout de suite votre âme tout en Dieu, comme un petit enfant se jette dans les bras de sa mère.

Etes‑vous peu assuré sur votre état d'âme? Votre conscience est‑elle quelque peu perplexe? “Ma journée d'hier a été mauvaise”, pensez‑vous. Pourquoi alors ne pas dire: “Mon Dieu, pardonnez‑moi. Faites, par votre grâce, que cette journée‑ci soit meilleure”. Nous sommes les enfants du bon Dieu. Pourquoi ne pas aller avec confiance, d'un mot du cœur? Faites bien cela, mes amis, le premier acte de la journée est capital. De là il résultera que vous prendrez bien les pensées du Directoire en vous habillant, que vous direz bien l'Angelus comme c'est marqué, que vous vous préparerez bien à l'oraison, et que quand vous y arriverez, vous ne serez pas comme cette fille vagabonde d'Israël qui ne cherchait pas la vérité et la simplicité mais qui s'éloignait de son père et de ses frères pour s'en aller à Sichem chercher l'aventure et peut‑être le mal. Religieusement, vous devez faire votre lit. Mais c'est là l'affaire des domestiques. Eh! ne sommes‑nous pas les domestiques du bon Dieu? C'est beau d'être les domestiques de Dieu. C'est Dieu que vous servez en arrangeant votre cellule: vous faites dès lors une œuvre digne des récompenses du ciel. Comprenez bien que les grâces de la vie religieuse consistent dans les moindres actions déterminées par la Règle. Ce sont comme des sacramentaux qui obtiennent la grâce dans l'ordre ordinaire, c'est‑à‑dire quand on n'a pas l'âme chargée de grandes fautes.

Qu'est‑ce qui fait notre vie dans l'ordre naturel? Ne tient‑elle pas à un léger battement de notre cœur? Si ce battement vient à cesser, la mort arrive aussitôt. Notre vie surnaturelle a des similitudes achevées avec notre vie physique. Supprimez le battement du cœur, c'est la mort. Négligez le recours incessant à Dieu par le Directoire, vous ne serez plus un Oblat, vous serez un chrétien bien malade. Supprimez Dieu de votre vie, vous êtes mort. “Tu passes pour vivant, mais tu es mort” (Ap 3:1). J'insiste là‑dessus, car en général, nous ne comprenons pas assez cette doctrine, que pour être un véritable religieux, il faut vivre vraiment de cette vie intérieure et surnaturelle, sans laquelle nous languissons et mourons. Qu'est‑ce qui fait que nos œuvres ne sont pas plus prospères, que nous sommes faibles, sans espoir, sans ardeur? C'est précisément que nous n'avons pas assez cette vie intérieure. Nous commencerons donc à mener notre vie religieuse dès le matin. Je vous recommande bien instamment cette disposition de l'âme, cet esprit de foi qui croit à l'efficacité de la grâce de Dieu sur la journée. Soyons surnaturels, et notre extérieur sera ce qu'il doit être, car le dehors ne peut être que la manifestions du dedans. Notre foyer intime, c'est Dieu qui l'anime, qui l'entretient, qui lui donne son efficacité. Commençons avec lui, et nous aurons toujours ce qui sera nécessaire.

Mettons‑nous‑y de tout notre cœur, mes amis, il y va du salut de beaucoup d'âmes. Pauvres âmes! Elles s'en vont en enfer peut‑être parce que nous ne sommes pas assez bons religieux. Sans doute ce n'est pas positivement à cause de nous qu'elles vont en enfer, c'est à cause de leurs péchés. Mais si nous avions été plus fervents, nous les aurions sauvées de l'enfer. Dieu me les avait marquées, il me les avait données à sauver, je devais les conduire dans le chemin de la sanctification, je devais les mener au ciel. Et elles ont été en enfer, parce que je n'ai pas su prier, travailler, me sanctifier pour elles. Mauvais serviteur! On m'avait confié un talent et je l'ai perdu. Au grand séminaire, j'ai vu des jeunes gens qui, au moment de recevoir les Ordres, comprenaient l'importance et les responsabilités de la charge qu'ils allaient assumer, ils sentaient qu'il fallait être saints, et ils tremblaient devant leur faiblesse. Tous ceux‑là sont devenus de saints prêtres. Ils ont eu des succès incomparables dans leur ministère. J'en ai vu un qui était entré dans une paroisse mauvaise, il l'a transformée et maintenue pendant 55 ans, dans la vérité et la foi. Et cela tenait à sa sainteté personnelle. Il répétait dans le fond de son cœur de prêtre ce que Notre-Seigneur disait à son Père: “De tous ceux que vous m'avez donnés, je n'en ai perdu aucun, sauf le fils de la perdition”? (Jn 17:12), le misérable qui, envers et contre tout, et de sa propre et parfaite volonté, est allé se jeter dans l'abîme éternel.