SIXIÈME
INSTRUCTION
La fondation de l’Œuvre
Continuons bien notre retraite, et suivons le souffle de l'Esprit de Dieu:
“N’éteignez pas l’Esprit” (1 Th 5:19) Gardez-vous bien d'éteindre
le souffle de l'esprit de Dieu en vous pendant la retraite. Comment parle-t-il
? Il parle par une voix intérieure très forte, facile à entendre et à
comprendre. Ou bien il parle encore par un mouvement de la grâce qui presse
notre volonté, qui la détermine à ce que le Bon Dieu veut de nous. Ou bien
encore, il parle par des sécheresses, des aridités qui ne ressemblent pas à
celles des autres temps de l'année. Vous ressentez dans la prière, dans vos
rapports avec Dieu quelque chose de plus difficile et de plus douloureux qu'en
temps habituel, est-ce encore l'Esprit de Dieu qui souffle? Oh! oui. C’est
ce que disait le prophète. Votre Esprit a soufflé sur le désert, et le désert
n’a pas fleuri; mais après que le souffle de l'Esprit a eu passé, le désert
s'est couvert de verdure et de fruits abondants. Eh bien, soyons respectueux
de cette action de Dieu, respectueux de sa manière d'être avec nous. Entrons
dans une profonde vénération de l'acte divin, de la permission de Dieu, de
ce que Dieu veut de nous. Ramassons tout notre être pour conserver et donner
le bon Dieu.
J'ai bien compris cela à Rome, et le Père Deshairs a pu le remarquer avec
moi: pendant que je parlais à notre Saint-Père le Pape Léon XIII des
desseins de Notre-Seigneur, des grâces particulières que le bon Dieu a
faites à la bonne Mère Marie de Sales, la physionomie du Saint-Père est
devenue tout à coup si profondément recueillie, qu’il semblait que tout
son être fût concentré dans l'attention qu'il nous prêtait. Et là, devant
Dieu, devant l'Esprit Saint qui semblait lui donner toute sa force, tout son
être, toute sa volonté, toute sa lumière, afin de pouvoir prononcer sur les
choses que je lui avais dites, il nous donna notre mission. J’ai compris
alors mieux que jamais ce que c'était que la soumission entière de l'homme
à Dieu, que cette espèce d'anéantissement de toute volonté, de tout
jugement, de tout acte personnel devant la souveraine et infaillible autorité
de Dieu. Voilà, mes amis, l'exemple que le Pape nous a donné, voilà ce
qu'il faut que nous fassions chaque jour de notre vie, et surtout pendant
l'instruction que je vais vous faire ce matin.
Nous avons ces jours-ci parcouru les devoirs essentiels de la vie religieuse,
exprimés par les trois vœux de religion: l'obéissance, la pauvreté, la
chasteté. Tout religieux doit pratiquer ces trois vœux. Seulement, je vous
ferai remarquer que dans cette pratique il y a quelque chose de particulier
pour chaque Ordre religieux. J'ai essayé, avec la grâce de Dieu, de vous
faire comprendre en quoi consistent pour nous les vœux de religion, comment
l'Oblat de saint François de Sales doit les pratiquer, ou plutôt quel esprit
préside à l'accomplissement de nos vœux. Je me suis bien arrêté sur le
sens que nous devons donner à nos vœux. Aujourd’hui, je veux aller plus
loin. Je tiens à vous redire ce que j'ai déjà dit souvent, mais pas devant
tout le monde. La grâce de la retraite attachera une vertu plus spéciale à
ces paroles que j'ai dites et que vous avez peut-être déjà entendues; vous
les méditerez.
Chaque Ordre religieux a une pensée particulière. Les uns s'attachent à la
pauvreté, d'autres au zèle des âmes, d'autres à une mortification pénible,
d'autres s’adonnent à un ministère tout particulier, par exemple, au soin
des malades, et le reste. Quel est donc notre but? Car nous en avons un
particulier; si nous n'en avions pas, nous n'aurions pas de raison d'être,
nous ne serions qu'une catégorie d'individus qui font exactement la même
chose que les autres, qui n'ont pas, par conséquent, une raison spéciale
d'exister et ne peuvent réussir. Mieux vaudrait grouper les forces plutôt
que de les disséminer, et se réunir à d'autres afin d'obtenir de meilleurs
résultats.
Remontons à notre origine, à notre création; l'enseignement historique a,
sur tout autre, un immense avantage: celui de mieux préciser le but, et les
moyens d'atteindre ce but. Quel est le début de l’histoire de notre
fondation? Cette fondation date de loin: il faut aller jusqu'à un petit
village de la Suisse pour en trouver la première pensée, la première
inspiration. Je passe sous silence les premières années de la vie de la
Bonne Mère. Elle ne comprenait pas encore clairement ce que Dieu lui
demandait, elle n'avait pas de révélations positives.
Comment se fait-il que Dieu ait choisi une femme pour cette fondation?
Et pourquoi n'avoir pas choisi un homme? Je n'en sais rien. Voilà tout
d'abord la première réponse à faire. Le doute a pu exister tant que la
chose n'était pas définitivement établie. Mais, maintenant, je puis vous
dire ce que Notre-Seigneur disait aux Juifs: “Si vous ne croyez pas à ce
que je dis, croyez au moins à cause de ce que je fais”. Vous pouvez douter,
disait Notre-Seigneur, nier la vérité, votre mauvais cœur le fera sans
doute, mais, au fond, mes œuvres vous obligent à croire.
“Croyez en ces œuvres” (Jn 10:38). Je viens vous dire la même
chose. Ne regardez pas à la personne, regardez ce que cette personne a fait.
Or, voilà qu'un jour au Noviciat de Fribourg, la Sœur Marie de Sales
Chappuis reçoit du bon Dieu de grandes lumières. Le fond de cette réception
c’était cela: la fondation des Oblats. Dieu lui faisait voir quelle était
l’opération des trois personnes de la sainte Trinité, et notamment du Père
avec le Verbe. Ces choses étaient bien élevées. Elle dit tout à sa Supérieure,
suivant ce que prescrit la Règle. Sa Supérieure, femme très remarquable,
sainte elle-même, ne se fiant pas à son appréciation personnelle, a recours
à l'évêque, Mgr Yeni, pontife saint et savant, élevé à Rome à la source
de la doctrine. Le saint évêque réunissait autour de lui tout un collège
de prêtres de la plus grande distinction, qui tous avaient été élèves du
Collège Germanique à Rome. Ces prêtres passaient la plus grande partie de
leur temps, non à jouer aux cartes, mais à étudier dans de sérieuses conférences
des questions de théologie et de droit canon, et à se fortifier dans la
science, qu’ils avaient acquise à une si bonne école. La mère de Fribourg
recourut donc à l’autorité et à la science de cet évêque, qui comprit
aussitôt et apprécia la valeur de la Religieuse qu'on soumettait à son
examen. Sur son avis, la Supérieure dit à la sœur Marie de Sales: Il faut
écrire et me soumettre tout ce que le bon Dieu vous donnera.
La Sœur, par obéissance, se mit à écrire. Un premier écrit que j'ai entre
les mains, rend compte à la mère des opérations divines, de la part que la
Sœur doit y prendre, des conséquences qui doivent suivre. Ce premier cahier
nous donne sur l'œuvre à accomplir une vue complète. Dieu révèle à cette
âme qu'il a dans sa charité une vue particulière de salut sur le monde,
qu'un grand nombre de grâces et de faveurs spirituelles se trouvent encore préparées
par sa charité divine et disposées pour le monde. Elle voit cela très
clairement, elle le dit plus clairement encore. L'évêque, à l'examen duquel
la mère soumet tout, étudie à fond cette question.
Ces Evêques de Suisse sont, en général, des hommes bien remarquables, mais
ils sont admirables surtout par les liens intimes qu'ils ont gardés avec Rome.
Soumis continuellement aux tracasseries d’un gouvernement qui n’est pas
catholique, ils se rattachent plus étroitement à Rome. Et l'évêque qui
s‘occupe aujourd'hui de la canonisation de la bonne Mère, Mgr
Lachat, est l’ami intime, domestique si je puis ainsi dire, de Mgr
Pecci, aujourd'hui Léon XIII. C'est chez lui qu'il passait ses vacances quand
il était à Rome. Mgr Lachat est un prélat édifiant. Il avait dans son Diocèse,
il y a deux ans, une jeune fille, qui disait recevoir des communications
particulières du bon Dieu. Mgr Lachat fit faire des informations à l'Evêché.
J'arrivais auprès de lui; il me dit : “Tenez, mon Père, voudriez-vous
voir ce dont il s’agit et me dire ce que je dois penser de ces révélations.
Qu’en pensez-vous vous-même ?”— “Monseigneur, je ne sais pas, c'est
une chose bien délicate”. — “Je veux que vous me disiez ce que vous en
pensez”. — “Monseigneur, le temps est le grand maître.” Alors,
il me dit : “Le temps, mais ce n’est pas à moi de fixer le
temps au bon Dieu. S'il veut que j'agisse en suite de ce qui m’est dit, ce
n'est pas à moi à faire attendre la volonté de Dieu”.
Je vous cite ce fait pour que vous voyiez avec quel profond respect ces évêques
traitent de telles questions. Voilà un homme, non seulement savant, mais un
confesseur de la foi, un ami intime du Souverain Pontife, un homme profondément
éclairé. Il n'ose pas ne pas répondre au bon Dieu, il veut lui répondre de
suite, si Dieu l'exige.
C'est donc dans ce milieu qu'est apparue la Mère Marie de Sales. Voilà
comment on jugea son œuvre, ses premières communications avec Dieu. Ce
cahier qui renferme sa reddition de comptes parle des communications qu'elle
reçoit des personnes divines, et particulièrement de ce que Dieu veut encore
donner à la terre. Ce cahier dit: “Voilà que je suis appelée à être apôtre
et à servir à l’œuvre que Dieu établira pour communiquer ses grâces et
pour étendre la diffusion de la charité divine. Le Sauveur apportera des mérites
non encore employés. Le trésor de sa charité sera répandu sur la terre, et
donné dans sa plénitude au monde”. Voilà ce que Dieu disait à cette
novice de Fribourg. Voilà ce qu’acceptaient la Supérieure et l’évêque.
On ne lui a pas dit: “Ma bonne Sœur, c'est très bien; ayez la bonté d'en
rester là; bornez-vous à l’oraison commune”. On ne lui dit pas:
“Changez de voie et de ton”. Elle continue donc. Le saint évêque venait
la voir de temps à autre, et il disait à sa Supérieure: “Oh! laissez-lui
dire et faire tout ce qu' elle voudra”. Il disait quelquefois: “C’est
une sainte que vous avez là; le bon Dieu se sert et se servira d’elle.
Laissez-la faire, aidez-la”.
Voilà, mes chers amis, je le crois, des communications bien autorisées. Il
n'y a là rien de risqué, rien de contraire à la doctrine de l'Eglise. Ces révélations
sont entourées de docteurs qui sont en rapport immédiat avec le Saint-Siège.
Cependant, la bonne Mère ne veut pas tout d'abord s’occuper extérieurement
de cette œuvre, et employer l'effet des effets. Il faut comprendre ces mots.
Les effets, c'est ce qui se passe en Dieu, et qui était communiqué à la
bonne Mère. Ce sont les rapports des trois personnes divines, voilà
l'effet premier. L'effet second, résultant du premier, c'est la
communication que Dieu en fait aux fidèles appelés à profiter de ces choses.
La bonne Mère vint à Troyes. Mon but n'est pas de vous raconter son histoire.
Etant à Troyes, en arrivant, elle comprit que c'était là le lieu que Dieu
avait marqué pour l'accomplissement de son œuvre, qu'il en avait posé là
la première pierre, et que là devaient se manifester les effets des effets
de la sainte Trinité. “C'est ici, dit-elle en arrivant, le lieu de mon
repos pour toujours”. Ce sentiment fut très fort en elle. Déjà, elle
avait dans ses communications avec Dieu quelque chose de plus positif, de plus
clair.
Dieu ne l’adressa pas à l'aumônier de la Visitation, mais à un saint
homme, le Père Théodore, confesseur des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie
de Picpus, qui devait devenir le confesseur de la Visitation. Elle avait
demandé au bon Dieu de lui faire comprendre à qui elle devait confier dorénavant
tout ce qu'il lui dirait, maintenant qu'elle n'avait plus sa Supérieure,
qu’elle n’avait plus son évêque. Et voici que le bon Dieu dit à la
bonne Mère de s'adresser au confesseur qu’il lui enverra, et qu'elle
reconnaîtra dès son arrivée, je ne sais à quelle marque. Le Père Théodore
vient lui rendre visite; on ne dit pas à la bonne Mère qui il était. Elle
arrive au parloir et au premier son de sa voix, elle s'écrie: “Oh! c'est
vous qui êtes le confesseur que le bon Dieu nous envoie”.
Mais, ma Mère, je ne puis pas être votre confesseur”. — “C'est
vous qui serez notre confesseur; voilà ce que le bon Dieu m'a dit”.
Le Père Théodore n'était pas un homme savant. Ses études théologiques
n'avaient pas été bien longues. Obligé de partir pendant la campagne de
1814, il avait eu si peur à une bataille où il était mêlé, qu'il était
allé se cacher, et il avait eu soin de tirer ses coups de fusil par terre,
afin de ne blesser personne. Vous voyez qu’il avait sa manière particulière
de faire la guerre! Le Père Théodore n'était pas un profond théologien,
mais c'était un saint, et un grand saint. Ce que le bon Dieu communiquait au
Père Théodore suffisait à la bonne Mère. Les théologiens, du reste, ne
faisaient pas défaut à la bonne Mère. Elle
était en rapport avec les professeurs du Séminaire, avec un surtout, qui était
fort distingué, Monsieur Chevalier, professeur de morale. C'était un homme
un peu sec, original, qui n'était naturellement pas d'humeur à entrer en
conférence avec les femmes et les Religieuses. Sa voie à lui était de
s'occuper de choses plus graves et plus sérieuses. Il vit la bonne Mère, et
malgré ses habitudes et son humeur, il l'apprécia et la comprit. Monsieur
Chevalier était un très grand théologien. Plus tard, je lui parlais de la
bonne Mère, dans les premiers temps où j’étais en rapport avec elle:
“Voilà cette Supérieure qui a des visions, qui me parle de ce que Dieu lui
dit. Qu'est-ce que je dois croire de cela? Est-ce que je dois l'écouter?”
Il me répondit: “Oh! écoutez-la; et puis, écoutez-la encore. Ne perdez
aucune de ses réflexions. Je vais vous dire jusqu'à quel point j'ai
confiance en elle. Je n'aurais pas eu la foi, que la bonne Mère me l'aurait
donnée”. Or, je le répète, Monsieur Chevalier était un homme tout à
fait mathématicien, au langage très rond, et n’entrant pas volontiers dans
l’examen des choses superfines. Il avait bien d'autres grandes préoccupations!
Non seulement Monsieur Chevalier, mais d'autres professeurs venaient voir la
bonne Mère. Un jeune professeur de théologie dogmatique, s'étant rencontré
avec elle, ne resta que cinq minutes au parloir, et ne voulut jamais revenir,
convaincu que la bonne Mère lisait dans son âme, qu'elle voyait ses péchés.
Il ne voulut plus jamais subir cette épreuve. C’était un grand prédicateur
et un homme extrêmement distingué.
Je fus envoyé à la Visitation pendant que la bonne Mère était à Paris. En
1842, un an après, j'allai la voir à Paris. Elle me dit: “Vous êtes
destiné du bon Dieu pour m’aider beaucoup dans la besogne qu’il me reste
à entreprendre. Le temps est venu où le bon Dieu va commencer son œuvre. Et
quand elle aura commencé, quand elle sera sur le point de prendre son développement,
il y aura un signe. Dieu donnera, soit à Paris, soit aux environs de Paris,
une maison. Celui qui la donnera de la part de Dieu, fera de vives instances
et sera plus empressé à donner qu'on ne sera de recevoir. Il sera en grand
deuil et aura un crêpe noir”. Elle répéta cette prophétie à plusieurs
religieuses, à sœur Marie Donat, en particulier. En 1879, Monsieur Legentil
vint nous offrir sa maison de Saint-Ouen. Il venait de perdre sa mère, et le
jour où j’arrivais, il sortait de la sainte messe qu'il avait fait dire
pour elle. J'étais très ému. Cette preuve tardive qui m'était donnée me
paraissait un témoignage bien plus fort qu’un fait passé quelques jours
après la prophétie seulement.
La bonne Mère revient à Troyes, et là elle me parle d'une manière plus
explicite: “J’ai commencé, disait-elle, mais ma mission est remplie. A
l'heure qu'il est, je n'ai plus rien à dire à personne, plus rien à
commencer. L’œuvre s’accomplira prochainement”. Je n'entre pas dans le
détail des preuves qui me furent données, de manières bien différentes, et
toutes bien frappantes. Je les ai dites à notre Saint-Père le Pape; je vous
dirai tout à l'heure ce qu'il en a pensé. La Mère Marie de Sales n’a pu,
pendant tout le reste de sa vie, passer un seul jour sans venir me rendre
compte de tout ce qu’elle avait reçu de Dieu. Dieu lui montrait l'action en
lui-même, et les effets de cette action pour les hommes. “Ce que je reçois,
disait-elle, n’est pas pour moi, mais pour vous. Ces effets seront vos
effets. C’est pour vous autres, cela”. Elle me le répétait bien souvent.
“Vous ne serez pas de longues années avec moi. C'est à vous à appliquer,
à donner, à répandre les effets de ce que je vous dis là”.
Je puis vous dire que longtemps j’ai hésité à croire tout ce qu'elle me
disait. “Dieu vous le fera comprendre à la sainte messe”, me disait-elle”.
J'avais la lumière à la sainte messe; et lorsqu'après la messe elle me
demandait: “N'avez-vous rien eu?”— “Je ne sais pas, lui répondais-je,
cela n'est toujours pas clair pour moi”. Elle n'en continuait pas moins, sûre
des promesses de Dieu. Elle revenait au parloir, après ses communions, la
figure toute transfigurée, avec l'auréole des saints, et comme recouverte de
la gloire de Dieu. “Oh! ces choses-là, disait-elle toujours, sont pour vous
autres; vous ferez cela, vous appliquerez cela. Oh! si vous saviez combien de
grâces sont en réserve dans le Sauveur; combien il y a de force et de bénédictions
dans l'acte divin, intime de la sainte Trinité; et ce qu'elle fera au-dehors
pour se faire connaître à la terre, pour le bien des hommes”.
Si j'avais écrit tout ce qu'elle m'a dit, ce serait une œuvre immense. Il
aurait fallu des livres et des livres! Je n'ai pas écrit. Peut-être ai-je eu
tort, mais c'est irréparable. Je dois affirmer aujourd'hui en conscience,
pour réparer ma faute, je dois affirmer que Dieu voulait par elle nous
confier une mission. Je le répète, les choses qu'elle me disait étaient les
choses les plus élevées, la doctrine la plus pure, l'expression la plus
exacte de ce qui se passe dans le bon Dieu. Tout cela, communiqué par la Mère
Marie de Sales, doit avoir son effet aujourd’hui.
Cette situation s'est définie à la fin de la vie de la bonne Mère, lorsque
vint le temps où Dieu montra clairement ce que devaient être les Oblats, au
commencement et dans la suite des temps. Tout ce qu'elle dit, dès lors, tout
ce qu'elle fait, converge là. Et Dieu lui donne des preuves nombreuses de sa
volonté. Toutes ces choses trouveront place dans sa Vie. Son œuvre était
tout pour elle; elle n'était absolument qu'à son œuvre. La communauté ne
la chargeait pas. Dieu lui avait donné de n’avoir qu’un seul cœur, une
seule volonté dans la parfaite observance. La communauté n’était pas une
surcharge pour elle, c'était une aide. Plusieurs sœurs, sœur Marie-Geneviève
en particulier, l’aidaient beaucoup pour les affaires extérieures. “Ma
bonne Mère, venait lui dire la Sœur Marie-Geneviève, il faut dire ceci, il
faut dire cela”. Ou bien: “Ma bonne Mère, il n'y a rien à dire, ne vous
occupez pas de cela; écrivez de telle manière”. La bonne Mère faisait ce
que lui disait la Sœur; elle se déchargeait sur elle des choses extérieures,
elle suivait le mouvement du bon Dieu. Voilà quelle était sa vie. En chaque
circonstance où elle recevait quelque chose de plus particulier de Dieu, elle
affirmait qu’elle n'avait autre chose à faire qu’à recevoir cette lumière
pour la communiquer, et la remettre aux mains des Oblats de saint François de
Sales. “Tout doit être appliqué par eux, employé par eux et réussir
entre leurs mains”. “Les mérites de la Rédemption, disait-elle encore,
sont infinis; les mérites du Sauveur non encore employés forment les trésors
secrets de la charité de Dieu. Il y a là une foule de grâces que Dieu va
donner, parce que le monde en a besoin à la fin des temps. Ces grâces sont
opérées en Dieu; c'est à vous de suivre le mouvement divin et de les
appliquer aux hommes”.
Je ne voudrais pas vous fatiguer plus longtemps. Ce sont pourtant des choses
bien belles et bien grandes; et je vous le répète, je ne sais combien de
fois elle me les a répétées. Il y a trois ans je les redisais, ces choses,
à notre Saint-Père le Pape. Alors le Saint-Père, dans une méditation
profonde, dans un recueillement qui semblait lui faire tout oublier, après un
silence de quelques instants, dans lequel il semblait que tout son être s'était
anéanti, ou tout au moins s'était replié sur cet unique point, jeté lui-même
tout en Dieu, alors notre Saint-Père le Pape: “Tout ce que vous faites,
dit-il, vous, dans ces œuvres, c'est la volonté de Dieu que vous le fassiez;
et tous ceux qui ont travaillé avec vous ont fait personnellement ce que Dieu
voulait d'eux. Ce que vous faites maintenant, Dieu le veut. Et Dieu le veut
non seulement de vous, mais de tous ceux qui travaillent avec vous. Que vous
reste-il maintenant à obtenir? L'approbation de la sainte Eglise Catholique,
Apostolique et Romaine. Moi, le Pape, je vous la donne, et qui plus est, je
vous envoie. Allez à la France! Vous irez encore ailleurs. Répandez vos œuvres:
je les aime. Soyez des hommes de sacrifice. Il faut des religieux jusqu’à
l’effusion du sang” [“usque ad effusionem sanguinis”]. Et alors le
Pape sera avec vous. C'est moi qui travaillerai avec vous”. Il fallait voir
le Pape s'élever de plus en plus. C'était vraiment le bon Dieu qui parlait.
Le Pape reprit: “Vous comprenez, soyez des hommes de sacrifice, des hommes généreux.
Le Pape est avec vous; le Pape travaille avec vous”.
La mission de la bonne Mère Marie de Sales est-elle vraie ? Y a-t-il quelque
chose là-dedans? Prenez l'histoire ecclésiastique, lisez-la d'un bout à
l'autre. Beaucoup de fondateurs d'Ordres ont-ils entendu de pareilles paroles
du Pape? Notre rôle est donc tout tracé. “Comment se fait-il, me demandait
le Saint-Père, que vous ne vouliez pas faire ce que la Mère Marie de Sales
vous disait, vous, prêtre?” — “Très Saint-Père, si mes Supérieurs,
si mon confesseur m’en avaient dit la moindre partie, je l'aurais fait immédiatement.
Mais cela venait d’une femme. Je doutais”. Alors le Saint-Père s'étant
levé me dit avec une souveraine majesté les paroles que je vous ai citées.
Je ne crois pas possible maintenant que le doute puisse subsister plus
longtemps. Je le déclare devant Dieu: Je serais couvert de tous les crimes du
monde, que je serais moins embarrassé de paraître devant Dieu au jugement
dernier, que si je venais à ne pas utiliser ce que la Mère Marie de Sales
m’a dit. Je puis bien porter devant Dieu les taches de ma vie, mais le défaut
de foi à ces choses, je ne le pourrais. Il n'en est pas de cela comme d'une
impression passagère; cela domine toute ma vie. J'ai eu le temps pendant
cinquante ans de voir les choses assez à froid, assez à distance pour en
bien juger.
La conclusion que vous pouvez tirer de tout cela, c'est de continuer d'avoir
foi en la bonne Mère Marie de Sales. Elle vous est bonne. La situation de
votre âme en ce moment-ci, votre foi, votre désir sincère et profond d'être
de vrais religieux, font que vous pouvez aller à elle “comme à une mère”
[“tamquam ad matrem”]. Elle nous aidera. Allons à elle; elle a dit
comment il fallait commencer, elle dira comment il faut continuer et finir.
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