Retraites 1884

      


TROISIÈME INSTRUCTION
L’œuvre des Oblats

Notre bienheureux père, saint François de Sales, dit qu'une horloge, pour bien fonctionner, a besoin d’être remontée toutes les semaines et nettoyée à fond tous les ans. Il faut chaque semaine remonter les poids, et une fois par an la remettre entre les mains d'un ouvrier soigneux qui la démonte pièce par pièce, nettoie chaque rouage, les pivots, l'échappement, le balancier, et facilite ensuite la marche entière du mécanisme en y glissant quelques gouttes d'huile. A ces conditions seulement l’horloge aura une marche régulière. Si l'ouvrier n'est pas soigneux, s'il n'accomplit pas bien exactement son nettoyage, le mécanisme sera vite dérangé. L'horloge, dit notre saint Fondateur, c'est notre âme. Nous remontons les poids par la confession de toutes les semaines, nous nettoyons à fond la machine par la retraite.

Le premier jour de la retraite il faut faire le silence en son âme, éloigner les préoccupations, accoiser son âme. Mais, dès le second jour, il faut examiner les rouages et les nettoyer, se précautionner contre ce qui pourrait déranger le mécanisme. Pour cela, nous n'avons qu'à suivre pas à pas le Directoire, voir une à une nos obligations particulières, les devoirs du sacerdoce. Nous sommes en famille, et je ne me gêne pas avec vous. Je puis bien vous dire ce qui m'est arrivé. Je désirais préparer soigneusement cette retraite. Depuis plusieurs jours j'avais feuilleté saint Thomas, la Bible, notre saint Fondateur, que sais-je ? J'avais amoncelé des livres. C'est du reste un genre d'études auquel je me livre volontiers. Mais impossible de faire quelque chose. Hier, j'ai été toute la journée dans un état impossible: un dégoût, une impuissance physique de m'appliquer à préparer quoi que ce soit.

J'étais à la Visitation de Paris. Le confesseur, le Père Chaveton, me dit: “La Mère Marie de Sales m'a joué un joli tour”. Et il me raconta cette histoire dont la bonne Mère me confirma ensuite la vérité. Une Sœur voulait faire une confession générale. Elle en avait déjà fait plusieurs. Le père y consent, tout en jugeant cette confession peu utile, à cause des scrupules de la Sœur. On fixa le jour pour commencer: il devait y avoir plusieurs séances. La Sœur prévint la bonne Mère, qui ne lui dit pas grand-chose, quoique cela la contrariât beaucoup. Mais la bonne Mère dit au bon Dieu dans son oraison: “Voilà cette bonne Sœur qui veut toujours faire des confessions générales, et voilà le père qui y consent, et qui va mettre le trouble dans sa conscience et dans celle des autres Sœurs qui voudront l'imiter. Prenez-les donc à la gorge tous les deux et empêchez-les de faire cette confession générale”. Le jour où la Sœur devait commencer, elle fut prise d'un mal de gorge qui l'empêcha d'aller à confesse, et le Père Chaveton, à son tour, fut retenu plusieurs jours à la maison par suite de la même maladie. Je crois que la même chose m'arrive et que le bon Dieu et la bonne Mère Marie de Sales me prennent à la gorge pour m'empêcher de dire ce que je voulais dire et m'obliger à vous parler d’autres choses qui seront plus selon les desseins de Dieu.

Ce n'est pas un exemple à suivre pour nos prédicateurs de retraites. Comprenez bien ce que je disais hier. Il nous faut notre esprit propre il faut que nous soyons une moulure distincte dans les ornements architecturaux de la Jérusalem céleste. Quand je vois la bonne Mère Marie de Sales travailler pendant cinquante années de sa vie, nuit et jour, à fonder une chose; quand je la vois préparer si péniblement tous les matériaux de ce qui était son œuvre, sa vie tout entière; quand je lui demandais ensuite: “Quelle sera donc cette œuvre, quelle sera sa forme extérieure, sa réalisation?” —  “Je n'en sais rien”, répondait-elle. C'est vous que Dieu a choisi pour savoir cela, vous ferez ce qu’il vous dira. Est-ce une manière d’agir humaine? N'est-ce pas une preuve de l’inspiration toute divine de la bonne Mère ?

Quel est l'esprit de cette œuvre, en quoi consiste-t-il ? Qu'est-ce qui la distingue des autres œuvres ? Nous ne sommes pas venus refaire ce qui a déjà existé dans l'histoire et faire revivre les Ordres religieux d'autrefois. Nous ne devons pas reproduire les Dominicains, les Franciscains, ni même les prêtres de saint Ignace de Loyola. Nous ne sommes pas non plus les prêtres du Sacré-Cœur. Sans doute, la dévotion au Sacré-Cœur est la grande dévotion de ce siècle; c'est elle qui a fait tout le bien de ce siècle. Elle a inspiré tant de Congrégations, d'Associations sacerdotales: les prêtres des Saints-Cœurs de Jésus et de Marie, les prêtres de Picpus, le Sacré-Cœur. A Rome, à mes derniers voyages, je ne voyais presque pas d'autels où ne fût exposée une image du Sacré-Cœur, tant cette dévotion est universelle. La Mère Marie de Sales aimait beaucoup le Sacré-Cœur, mais la dévotion au Sacré-Cœur n'était pas son œuvre propre.

Quelle était donc cette œuvre? Le culte de la personne du Sauveur tout entier, et non pas seulement de son Cœur Sacré. C'est à la personne du Sauveur qu'on s’attaque aujourd'hui, en niant l'existence de cette personne divine. N'est-ce pas à cela que tendent pratiquement les efforts des francs-maçons? Il y a soixante ans, on attaquait le Sacré-Cœur, on se moquait de Marguerite-Marie Alacoque. Aujourd'hui, on ne se moque plus du Sacré-Cœur, c'est le Sauveur Jésus lui-même qu’on attaque, que l'on veut détruire. Que ferons-nous donc, nous, que Dieu envoie au-devant de ce besoin nouveau de l'Eglise? Nous nous appliquerons à faire revivre le Sauveur, à le reproduire, à marcher et à agir avec lui, à le faire vivre en nous et par nous, en toutes nos actions. “On verra le Sauveur marcher encore sur la terre”, dit la Mère Marie de Sales. Qu'y a-t-il de plus indifférent que l'action de marcher ? Voilà ce qu’il faut que le Sauveur fasse pour nous. C'est le culte d'amour et d'action. L’œuvre de la Mère Marie de Sales, c’est la contradiction des attaques faites directement à la personne du Sauveur. Et qui donc prévoyait que ce serait là que se porteraient les coups de l'ennemi, quand Dieu le révélait à la bonne Mère, il y a soixante ans?

C'est là que tendaient tous ses écrits, toutes ses paroles. Et c'était là le fond de sa doctrine. On la consultait de toute part. Elle était en correspondance avec une foule de personnages éminents. Malheureusement, on lui obéissait trop, on a brûlé une grande partie de ses lettres. Plusieurs évêques la consultaient, le cardinal Morlot, archevêque de Paris, les archevêques de Paris, les évêques de Troyes, Mgr des Hons, Mgr Debelley, Mgr Cœur, pauvre évêque qui avait à lutter contre son éducation première et contre une grande partie de son clergé. Il écrivait à la bonne Mère: “Ce n'est qu’à la porte de la Visitation que je trouve la paix et le calme”. Et il m'écrivait à moi-même: “La Visitation, c'est l'aristocratie du Ciel. Il se traite là des choses les plus divines et les plus célestes”. J'ai bien d'autres témoignages; j’ai même des témoignages éclatants des Souverains Pontifes, mais je ne les citerai pas. Comme la cause de béatification de la Mère Marie de Sales est pendante, il faut être prudent en faisant son éloge, et ne pas sembler préjuger une cause qui doit être jugée canoniquement.