Retraites 1883

      


DEUXIÈME INSTRUCTION
Le compte à rendre

Voilà une première journée de la retraite passée. Nous nous sommes tenus sur la montagne, nous avons passé avec Moïse et Elie notre journée auprès de Jésus. Peut-être n'avons-nous pas eu de consolations. Jésus était là pourtant et nous étions dans sa tente, par la prière. Le Bienheureux Benoit-Joseph Labre, qui avait tant de grâces de Dieu en temps ordinaire, disait qu'il faisait ses retraites à force de bras.

Comment bien employer le temps de la retraite? Faisons la retraite comme nous la ferions si nous étions sur notre lit de mort à l'agonie. La retraite est un temps de crise dans la vie. Il y a des crises qui sauvent et il y en a qui tuent. La retraite ne passera pas indifférente pour nous. Je n’exagère pas; ce sera pour notre perte ou notre salut. Le Sauveur s’approche de nous, il nous dit: “Rends compte de ta gestion” (Lc 16:2). Y avons-nous bien songé, à ce fermage? Oh! parce que nous vivons exempts de grosses fautes, nous ne songeons pas au compte à rendre. Le jugement sera rigoureux pour nous, plus rigoureux que pour les pécheurs. Dieu ne demande qu'une chose au pécheur, la pénitence, un acte de contrition. L'Eglise nous parle quelquefois de pénitence; mais l'Eglise, interprète de l’Evangile, nous remet bien cent fois par an sous les yeux ce compte à rendre, ces talents confiés.  Voyons ce compte. Il y a déjà le bail de notre innocence baptismale: qu'en avons-nous fait? Sans doute, nous nous sommes confessés, nous avons été pardonnés; mais il y avait un contrat, et qu'est devenu ce contrat? Et cet autre bail de notre première Communion, ces promesses renouvelées solennellement, qu'en avons-nous fait encore?

Et ces grâces des Ordinations auxquelles nous pensons si peu? C'était encore un contrat. Depuis les promesses de la Tonsure, celles des ordres Mineurs et celles du Sous-Diaconat et du Diaconat. Si nous relisions le Pontifical — nous ne l'avons peut-être pas relu deux fois —  nous y retrouverions les engagements que nous avons pris à chacun de ces ordres. Ce sont des engagements dont la portée est immense. Voyez ce qu'en disent et en pensent les Pères de l'Eglise, saint Chrysostome, saint Jérôme dans ses lettres. Nous sommes tentés de prendre cela pour de la littérature ou pour de l'histoire. Les seules promesses de la Tonsure, à quoi ne nous engagent-elles pas? “Yahvé, ma part d’héritage et ma coupe, c’est toi qui garantis  mon lot; le cordeau me marque un enclos de délices, et l’héritage est pour moi magnifique”(Ps [16]15:5-6). Et les promesses du Sacerdoce? Voyez ce qu’en dit saint Chrysostome  dans son Traité du sacerdoce. Comprenez les saints qui s'arrêtaient à la porte du sacerdoce parce qu'ils trouvaient le fardeau trop lourd. Monter chaque matin à l'autel et offrir à Dieu la chair et le sang de Jésus-Christ, en disant à Dieu: ”Voilà, pour mon péché et pour celui de tout le Peuple”. Donner la Communion: nous n'y songeons pas assez,  donner Dieu aux âmes ! La bonne Mère Marie de Sales me dit un jour un mot qui m'ouvrit les yeux sur la grandeur de cette action. Je ne voulais pas l'écouter: “Chaque matin, me dit-elle, vous me donnez Dieu tout entier et vous ne voulez pas qu'à mon tour je vous donne quelque chose de lui, quelque parcelle de sa vérité?”  Absoudre les âmes; quelles dispositions de sainteté et de pureté ne sont pas nécessaires pour cela? Les grâces de la vie religieuse et les grâces intimes. Et les grâces de la vocation et de la vie religieuse? Et ces autres grâces plus intimes que nous avons reçues, nous! Un village, une ville, une province reçoivent-ils une somme de grâces égale à celle que nous recevons? “J’ai aimé Jacob mais j’ai haï Esaü” (Ml 1:3). Ne sommes-nous pas Jacob, et que ne devons-nous pas rendre à Dieu en retour de cette dilection? Que ces pensées ne mettent pas le découragement dans nos âmes. Humilions-nous devant nos misères, mais relevons-nous avec confiance. Comment payer cette dette immense? Comment combler cette immensité qu’il y a entre ce que nous aurions dû faire et ce que nous avons fait? Faisons-nous bien humbles et bien petits, et prions Jésus de combler cette immensité par son infinie miséricorde. Disons à Jésus-Christ: “Si j'ai accepté des charges, si je me suis engagé, c'est parce que vous l'avez voulu, c'est vous qui avez pris cet engagement avec moi et pour moi, aidez-moi à le remplir”.