Retraites 1883

      


PREMIÈRE INSTRUCTION
La retraite du Thabor

 

Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit sur une montagne élevée (Mt 17:1). C'est notre histoire: c'est la retraite. Jésus va nous prendre et nous séparer du monde. Il nous prendra tous. Pierre d'abord, celui qui gouverne, qui conduit, qui nourrit les âmes. Jacques, celui qui instruit, qui enseigne les choses du Ciel et les choses d'ici-bas. Il est très juste que nous regardions saint Jacques comme notre maître et notre modèle dans les choses de l'enseignement. Il a si bien enseigné dans ses Epîtres et si clairement, si fortement, si parfaitement pour le fond qui est la vie chrétienne pratique, et pour la forme qui est simple mais attrayante, pleine de comparaisons gracieuses, que le premier soin de Luther fut de prendre sa plume et de biffer les Epîtres de saint Jacques: il enseignait trop bien! Jésus prend enfin Jean, Jean qui est tout jeune et tout enfant, qui apprend maintenant dans le silence les secrets de l'amour divin, et qui ne parlera que plus tard, quand il aura longtemps écouté et étudié: ce sont les jeunes novices qui doivent être bien recueillis en Notre-Seigneur, afin d’entendre ce qu'il dira à leur cœur et d'enseigner ensuite les autres.

Jésus conduit Pierre, Jacques et Jean sur la montagne, la montagne élevée, loin des bruits de la terre. On prie mieux sur les hautes montagnes. Je faisais ma retraite à la Grande-Chartreuse, et je couronnais cette retraite par une ascension au Grand-Som. La caravane était nombreuse, et composée de toute espèce de gens; il y avait là quatre jeunes Américains, des protestants sans doute. A mesure que nous montions, les bruits de la plaine cessaient, et ce silence des hautes montagnes impressionnait les cœurs. Un son lointain retentit faiblement: c'était la grosse cloche du couvent qui sonnait l'Angelus; on l'entendait à peine. Tout le monde s'agenouilla et toutes les voix répondirent à la prière. Sur la montagne élevée de la retraite, la prière sera plus facile.

“Construisons-y trois tentes”, disait saint Pierre. Il faut réaliser cette parole et construire d'abord une tente pour Moise et une tente pour Elie.

Moïse, c'est la loi, c'est le règlement de la retraite. Soyons-y fidèles: c'est là le principal de la retraite. Si le règlement est observé, la retraite sera fructueuse. Ayez des sécheresses et des angoisses; soyez privés de toute lumière et de toute consolation; ennuyez-vous pendant la retraite; désirez d’en sortir; allez comme une machine d'un exercice à un autre. Tant mieux, mille fois tant mieux! Si vous observez exactement le règlement de la retraite, votre retraite sera excellente. Je crois plus au travail de Dieu dans l'âme pendant la retraite, qu'au travail de l'âme en Dieu. Le règlement porte sa grâce avec lui parce qu’il est l'expression de la volonté de Dieu; et, si on fait bien le règlement, tout ce qu'on n'aura pas reçu pendant la retraite, on le recevra dans la suite et plus abondamment. De saintes âmes qui recevaient en temps ordinaire de fréquentes communications de Dieu, étaient privées de tout pendant la retraite. Je pourrais vous citer bien des exemples de saints prêtres, de saints religieux, des Religieuses. Sœur Marie-Geneviève avait à chaque instant des communications surnaturelles, auxquelles je croyais pleinement, car j'en avais eu la preuve. Pendant la retraite elle priait, épluchait ses carottes, disait ses Pater, et s'astreignait rigoureusement, mais sans goût, au règlement, et elle n'avait plus rien de Dieu pendant toute la retraite. Une autre sainte âme, très originale et bienfaitrice du monastère de Troyes, Mademoiselle Thériot, d'Auxerre, qui certainement avait de grandes grâces en temps ordinaire, me disait en son langage original: “Pendant la retraite je suis comme nos poules, je gratte et gratte sans cesse jusqu'à ce que j'aie trouvé un petit grain ou un petit ver”.

Il en est d'autres qui, pendant la retraite, vont dans la tente d'Elie. Elie, c'est le prophète à qui Dieu parle, qui voit Dieu, qui passe sa vie avec lui, qui quitte la terre, emporté sur un char de flammes. Ce sont les âmes à qui Dieu parle pendant la retraite, à qui il se révèle, qu'il console. Il faut bien l'écouter, s'il parle, et bien en profiter.  Elie, sur le mont Horeb, entend la voix de Dieu, c’est un souffle léger, un souffle qui passe. Il faut écrire les bonnes choses que Dieu nous dit alors, pour les retrouver plus tard, aux jours de l'angoisse, de l'ouragan, de la sécheresse.

Mais, surtout, soyons avec Jésus par la prière. Le premier jour de la retraite est une journée pacifiante: il faut, dit saint François de Sales, accoiser notre âme. Rappelons-nous-le pour nous-mêmes et pour les âmes que nous dirigerons. Tenons-nous tranquilles “à l’écart sur une haute montagne” (Mt 17:1).