Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Nous avons besoin de notre réputation

Chapitre du 7 avril 1897

J'aurai à vous faire une recommandation très importante, recommandation à laquelle tout le monde doit faire bien attention. A l'heure actuelle, il y a dans le diocèse, et à Troyes surtout, une sorte d'effervescence contre la manière d'être des prêtres. Certaines personnes qui n'ont pas sans doute tout le jugement désirable vont, paraît-il, à l'évêché, faire toute espèce de dénonciations. Le grand vicaire me disait dernièrement que cela commence à le fatiguer. Moi‑même j'ai reçu, de la part de personnes qui se disaient extrêmement dévouées et au dévouement desquelles je ne crois pas du tout, des accusations contre tel ou tel Père de Saint- Bernard, tel ou tel auxiliaire. C'est ridicule, mes amis, mais il faut tout de même que nous fassions un peu attention à cela. Il est bien certain qu'il y a eu des scandales à Troyes. Cela a ému l'opinion publique, et volontiers on tournerait tout en scandale. Il y a, m'a‑t‑on dit, un petit abbé de Saint-Bernard qui n'a pas du tout une tenue convenable à un ecclésiastique. J'en ai demandé le portrait à ces charitables personnes. On m'en a fait une description détaillée, qui heureusement ne peut s'appliquer, en toute évidence, à personne de Saint-Bernard. On sera donc obligé d'abandonner le thème. On en changera.

Mes amis, nous avons besoin de notre réputation; et il y a à bien s'observer, pour éviter d'être mal jugé. Il faut toujours en revenir à ce que dit le Concile de Trente: “Que leur comportement soit sérieux, exempt de tout excès et bien respectueux” - [“Nihil nisi grave, moderatum ac religione plenum prae se ferant”]. A Troyes, le clergé se tient bien, est très digne. Efforçons‑nous d'autant plus de nous tenir bien et d'être dignes. Il y a de braves gens qui ne sont pas favorables du tout à Saint-Bernard: tenons‑nous sur nos gardes. Allons‑y tout droit, bravement, simplement, sans avoir l'air d'être gênés ni gênants. En ce moment, je le répète, il y a une poussée violente contre le clergé. Comment nous mettrons-nous à l'abri de toute critique? En observant fidèlement ce qui est dit dans nos Constitutions: ne pas sortir sans permission, sans dire où l'on va, et pour quel motif on y va. Observons bien ce point de la Règle, et la Règle toute entière, car en dehors de la Règle il n'y a plus de garantie, ni pour la communauté, ni pour l'individu.

Nous éviterons donc toute espèce de relations habituelles avec une famille, une maison, une personne en particulier, sans permission bien expresse. Tout religieux ou toute religieuse qui s'attache à une personne ou à une maison du dehors perd le bonheur de sa vocation, sinon sa vocation elle‑même. Nous n'aurons donc pas de rapports avec les gens du monde. Si nous sommes obligés d'en avoir, nous resterons bien dans les limites de notre charge et de l'obéissance. Ne faisons pas de visites sans mission, je le répète, ni sans permission. C'est assujettissant, mais cet assujettissement vous épargnera beaucoup d'ennuis, et de misères.

Nous nous préparerons aux solennités de Pâques. Nous ne laisserons pas passer les mystères de la passion, sans en recueillir les bienfaits. Voyez, la sainte Eglise n'institue pas de fêtes sans un but spécial. Pâques, c'est la résurrection; le vendredi saint, c'est la mort de Notre‑Seigneur. Voyons ce qu'il y a en nous à ressusciter, ou au contraire à faire mourir en nous, dans notre vie, nos inclinations, nos habitudes. Un homme vraiment intelligent, judicieux, au cœur droit, ne court pas après toute espèce de choses, après tout ce qu'il imagine et qui lui passe par la tête. Non, il se sert de ce qu'il a sous la main. Voilà des fêtes. Les Rameaux, le Jeudi Saint, le Vendredi Saint, les fêtes de Pâques. Profitons‑en. Il ne faut pas que ces jours passent comme les autres, sans profit pour nos âmes. Autrement, notre âme serait bien peu délicate et ne saurait guère comprendre ce qu'il lui faut et où sont ses vrais profits. Soyons des hommes pratiques. En dehors de cela, nous n'aboutirons à rien. Or, rien de plus triste que le rien, le propre à rien.  Voyez ce qui est dit dans l'Apocalypse: “Tu n’es ni froid ni chaud — que n’es-tu l’un ou l’autre! — ainsi, puisque te voilà tiède, ni froid ni chaud, je vais te vomir de ma bouche” (Ap 3:15). Le rien, cela soulève le cœur.

Et comment entretenir en nous cette chaleur, cette vie? Pendant votre visite au saint sacrement, à la sainte messe, priez pour cela. Réfléchissez là-dessus à vos moments de loisir et de repos, C'est comme cela qu'on amasse. Voyez un homme de génie, Bossuet. Toutes ses pensées étaient tournées du coté de la sainte Ecriture. Dans ses E1évations sur les mystères, dans ses Méditations sur l'Evangile, lisez en particulier le discours aux disciples après la Cène, lisez‑le, vous n'y verrez rien autre chose que le texte sacré avec un court commentaire. Et cependant quelle lumière et quelle splendeur Bossuet ne jette-t‑il pas sur le texte évangélique!

Mes amis, je le répète, il ne faut pas que nous soyons des gens de rien du tout. Je désire d'un grand cœur que les Oblats soient quelque chose, qu'il y ait en nous ce jugement sûr, pratique qui utilise tout pour la sanctification et pour l'amour du bon Dieu. Un petit mot, une parole de notre bréviaire, nous donnera une lumière, quelque chose qui ne s'effacera pas, qui restera en nous, qui fera notre fond. Quand vous aurez à parler, vous n'aurez pas à chercher ailleurs, dans les livres, puisque vous aurez en vous ce que vous aurez à dire. Ce sera vous qui le direz, vous ne serez pas seulement un écho. Avec cela, mes amis, on est quelque chose, on exerce une action vraie et salutaire sur les âmes. Ce qu'on leur donne est vibrant, c'est une communication personnelle. Faites donc bien nos fêtes dans l'esprit de l'Eglise et de la Règle et vous serez nourris et éclairés, vous serez quelque chose, vous ne serez pas inutiles comme tant de gens. Il y en a tant de nos jours qui ne sont rien et propres à rien.

Mais, pratiquement, comment arriver à être quelque chose? “C’est en forgeant qu’on devient forgeron” - [“Fabricando fit faber”]. L'adage est vieux, mais il est plein de vérité. Mettez‑vous‑y de tout cœur en ces jours de fêtes, des Rameaux, de la Passion, de Pâques. Dans tous les offices de l'Eglise, il y a tant de belles choses qui éclairent, encouragent,  stimulent. Vivez de cela cette semaine, et vous vivrez vraiment de quelque chose. Faites avec cela votre oraison, et ce ne sera pas une oraison d'amour‑propre ou de lâcheté. Réfléchissons, prions, recueillons aussi, utilisons tout ce qui se passe en nous et autour de nous, ce que nous faisons, ce que nous entendons, ce que nous apprenons de nouveau, nos petites pratiques, nos efforts quotidiens: ne laissons rien perdre. C'est comme cela que nous deviendrons quelqu'un et que nous ferons quelque chose.

Le P. Poupard fait un cours aux élèves des Oblates. Elles aiment à l'entendre; il est écouté. Pourquoi? Parce que le P. Poupard travaille. Il trouve chaque jour des choses neuves pour lui, il les emmagasine, et cela donne de la vie et un puissant intérêt à ses études et à ses leçons. Ces demoiselles des cours disent: “Il faudrait que ce soient toujours les Oblats qui nous prêchent nos retraites. Nous ne comprenons pas les sermons des autres prédicateurs. Au moins, quand un Oblat prêche, il nous dit des choses compréhensibles”. Evidemment, si l'on se contente d'écrire un sermon copié de droite ou de gauche dans un sermonnaire, et de le débiter vaille que vaille. A quoi bon? Si l'on n'est pas bien pénétré de ce que l'on dit, et si l'on ne donne pas une parole vivante? Soyons des hommes pratiques, et que chacun de nous soit quelqu'un et fasse quelque chose!