Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Comment on éviter ce qui peut nuire à la chasteté

Chapitre du 17 mars 1897

“Ils soumettront au supérieur les motifs qui les obligent à se trouver en rapport avec les personnes d’un autre sexe, soit religieuses, soit du monde, et se rangeront à son obéissance, soit pour le temps, soit pour le mode de ces communications” (Const., Art. VII:4).

Voilà un Père qui est chargé d'une communauté. Il va sans dire qu'il en a la responsabilité, que tous les rapports qu'il a avec les religieuses et avec les personnes du dehors sont des rapports de situation, d'état, de fonction et qu'il ne peut avertir son supérieur de chaque détail de sa tâche. Néanmoins il est bon qu'il ne se tienne pas trop à l'écart de son supérieur. Il est bon qu'il communique même avec le supérieur général, ou le provincial, ou le visiteur, s'il a affaire à quelque personne un peu extraordinaire, à un fait qui est donné comme surnaturel. Il sera bon d'aller prudemment, de prendre des conseils sérieux et toutes les précautions possibles.

Mes amis, nous sommes Oblats: il n'y a pas à sortir de là. Voyez, on nous donne une direction spéciale pour la direction des âmes: les moyens de saint François de Sales. Ne sortons jamais des moyens de saint François de Sales, et revenons‑en toujours là. Tout en étant bons, dévoués, ne soyons jamais familiers. Ne vous mêlez pas à toute espèce de communications. Gardez toujours avec les âmes que vous dirigez une certaine réserve, une certaine distance. Ne travaillez pas à vous rendre intimes, intéressants, nécessaires, autrement vous feriez petite besogne, vous n'aboutiriez à rien qui vaille. Dans la direction des âmes, prenons donc bien les moyens de saint François de Sales. Ne soyez pas personnels. Qu'on ne sente pas l'homme, les idées de l'homme, la volonté de l'homme, l'affection de l'homme. Il pourra se faire alors que nous ne nous attirions pas l'affection des âmes; nous aurons du moins leur estime, ce qui est préférable. Souvent il arrive qu'on entre dans une foule de détails, de communications, de questions avec les femmes, sous prétexte de s'attirer leur confiance. C'est plutôt un moyen de la perdre plus vite.

Donc, quand on est confesseur dans une communauté, il faut bien se dire: “Voilà ce que j'ai à faire, voilà la règle. Il ne faut pas que j'apporte là ma manière de voir”. Et alors apportez toute votre intelligence à bien comprendre la règle et à la faire bien comprendre, et à la faire pratiquer sans entrer dans des détails qui ne signifient rien, et dans lesquels vous vous perdriez, sans faire rien qui vaille.

On fait grand bruit autour de la direction des âmes, et cependant c'est bien simple. Pour les gens du monde, comme règles de direction il n'y a que la théologie, et pour les communautés religieuses, leur Règle. Encore une fois, n'essayons pas de nous rendre intéressants. Ce n'est pas du reste le moyen d'obtenir la confiance. Qu'on ne se fourre pas dedans. Ou, si on s'y trouve fourré malgré soi, que ce soit avec beaucoup de prudence, de sagesse, de prières. Avec cela on ne s'égare pas, on ne se trompe pas. Il faut que les Oblats aient cela.

Maintenant les Oblats doivent‑ils amener les âmes qu'ils dirigent à prier à la manière de saint François de Sales, à vivre dans son esprit? Evidemment, c'est là l'affaire de notre vocation. Il faut les amener à prendre les moyens de saint François de Sales. Ce sont les plus efficaces du reste à l'heure présente. Du reste la sainte Eglise le laisse bien entendre puisqu'elle affirme que la doctrine du saint Docteur est aplanie et sûre.

Quand une personne croit avoir des faveurs extraordinaires, il est bon de consulter son supérieur, nous le disions, en toute prudence et discrétion. Il faut en ce cas bien éviter les deux extrêmes: être trop incrédule et opposé, ou être trop crédule. Dieu a le pouvoir de faire, quand il le veut, des choses extraordinaires. Maintenant, les fait‑il réellement toutes les fois qu'on le dit? Assurément non!

Dans nos communications par lettres, comme je l'ai déjà dit, il faut éviter soigneusement les termes qui sentiraient trop l'affection humaine ou une trop grande familiarité. Notre professeur de morale du grand séminaire, M. Chevalier — et j'aime à me rappeler son souvenir — nous disait: “Quand vous écrivez à une pénitente, mettez‑vous en face de son mari, ou de son confesseur ordinaire. Soyez persuadé que votre lettre tombera de façon ou d'autre entre leurs mains, entre les mains du mari, du père, de la mère, du frère, etc.  et alors vous serez prudent et vous n'écrirez pas de sottises”.

Mes amis, il ne faut pas se faire d'illusions: il est parfois facile de s'en faire Il arrive qu'on est tenté de se dire: “Je viens de bien parler, de faire quelque chose de bien. Tout le monde ne pourrait pas en faire autant”. Quelle puérilité, vraiment indigne d'un homme sérieux! Si on a bien dit, ne le doit‑on pas à la grâce de Dieu? Et si on a mal dit, il ne faut s'en prendre qu'à soi‑même. Les vieux confesseurs sont quelquefois obligés de rafraîchir et de renouveler leur stock de conseils et d'exhortations. On ne court pas beaucoup après les vieux confesseurs. Le proverbe dit: “Vieux médecins, jeune confesseur”. Quand on est jeune, on est censé avoir en partage un cœur sensible, une vive intelligence et toutes sortes de parfums (hilarité générale). Et tout cela, sont-ce de mauvaises choses? Assurément non. C'est une qualité, et même très précieuse, que d'avoir un bon cœur, une imagination féconde, de l'entrain, de la vivacité. Ce sont des dons du ciel, mais ce sont aussi des fleurs que l'on jette devant le saint Sacrement au jour de sa fête, que l'on doit bien se garder de profaner en les employant à un autre culte.

L'autre jour, à l'œuvre de saint Jean, les jeunes filles avaient représenté une pièce. En sortant, chacun disait son mot. L'un d'eux, l'abbé Jossier, le neveu, me dit: “Oh! comme c'était beau! J'ai pleuré, tellement j'étais ému”. J'ai jugé qu'il y avait chez lui beaucoup de sensibilité. Il fera certainement un bon orateur, comme son oncle. Donc ces choses‑là ne sont pas mauvaises, il faut en bénir le bon Dieu. Mais il faut se  rappeler aussi qu'on peut facilement en abuser. Quand on recueille et qu'on utilise ces dons humains avec humilité, avec foi, on peut en tirer de très grandes ressources. Mais encore une fois, n'abusons pas de ces dons dans nos communications avec les âmes. Ce serait les profaner que de les offrir à qui n'a pas le droit de les recevoir.

“Dans les œuvres et dans les exercices du Saint Ministère, ils éviteront avec un soin extrême  tout ce qui pourrait donner lieu au plus léger soupçon contre leur vertu” (Const., Art. VII:5; p. 24-25).

Il faut qu'on fasse bien attention à cela. Que la malveillance et l'impiété ne puissent jamais trouver d'appui pour leurs calomnies dans notre conduite. La prudence est une vertu; qu'on s'en rappelle bien! Parfois on serait naturellement tenté de s'aventurer à tort et à raison. Le bon jugement est la base de la prudence. Et quelquefois on ne se rend pas compte des circonstances dans lesquelles on se trouve. C'est le cas de répéter: “Donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse ... pour qu’elle me seconde et peine avec moi” (Sa 9:4;10). “

“Ils se souviendront que Dieu ne bénit jamais ce que l'on fait avec recherche de coeur ou  d’amour-propre, que c’est là une cause de ruine pour les oeuvres, et que Dieu permet souvent la calomnie en punition des complaisances et des satisfactions qu’on y a recherchées” (Const., Art. VII:5; p. 24).

Nous avons un grand remède contre ces recherches de cœur ou d'amour‑propre, c'est la direction d'intention. En la faisant, nous soumettons la réussite de notre œuvre à la volonté du bon Dieu, et alors si nous réussissons, notre âme éprouve de la joie, car enfin la vue du bien réjouit toujours. Si nous n'avons pas réussi et que nous n'ayons pu faire le bien que nous voulions, nous nous contentons de celui qui est produit, puisque Dieu l'a jugé bon ainsi. Tandis que si nous mettons notre complaisance dans ce que nous faisons, le bon Dieu envoie des épreuves et permet quelquefois la chute complète de la chose entreprise, et quelques fois surtout la calomnie.

“Pour accomplir plus facilement le vœu de chasteté, ils garderont une grande tempérance dans leurs repas, n’usant que de mets communs, mélangeant leur vin d’un peu d’eau, et suivant la règle de ne faire aucun repas sans pratiquer une mortification” (Const., Art. VII:6; p.25-26).

A chacun de nos repas, il ne faut pas oublier la mortification de règle. Il est du reste parfois si facile de la faire. Nous sommes en communauté; nous n'avons pas ce que nous aimerions, ce que nous désirerions. On nous sert au contraire ce que nous ne voudrions pas manger. Un petit rien, voilà notre mortification. Mais que reste‑t‑il de cela? Un mérite surnaturel.

Mes amis, prenons bien les choses à la manière de saint François de Sales, qui acceptait de bon cœur la mortification quand on le servait mal, et qui trouvait moyen de se mortifier quand on le servait bien. Ces choses sont morales. C'est l'intention, c'est la direction de la volonté qui en fait le mérite. N'oublions pas cela, nous qui sommes Oblats, c'est‑à‑dire des êtres communiquant toujours avec Dieu. Profitons bien toujours de tout ce qu'il nous apporte, et alors nous dominerons véritablement la situation.

“Ils fuiront l'oisiveté qui est la mère de tous les vices, et ils regarderont comme une sauvegarde  de leur voeu de chasteté, d’être constamment occupés” (Const., Art. VII:6; p. 26).

Un puissant moyen de réprimer les tentations, c'est d'être constamment occupés. Notre intelligence, du reste, quand on ne l'occupe pas, se rouille. Si nous n'avons pas toujours de quoi nous occuper constamment, dès l'instant que notre travail intellectuel ou matériel cesse, n'avons-nous pas notre travail spirituel, surnaturel? Il faut que nous soyons semblables à Notre-Seigneur sous ce rapport comme sous tous les autres. Or, comme son Père, il travaille toujours. C'est une chose sainte que le travail, c'est la garde de notre cœur.

A propos du travail, je vous recommande bien à chacun le travail personnel. Faites quelque chose où vous soyez vous. Vous vous sentez de l'attrait pour la prédication? Pourquoi ne pas vous y préparer tout particulièrement? Pour les sciences? Pourquoi ne pas leur réserver, quand vous pouvez trouver quelques minutes, un peu de votre sollicitude? Aimons à développer le don qui est en nous. Que chacun ait et cultive son attrait particulier, naturellement en soumettant tout à l'obéissance, et prenant soin que cela ne nuise point à nos devoirs professionnels et ne dérange en aucune façon la loi générale. Il faut que dans une Congrégation on trouve toutes les ressources possibles. Aussi est‑il nécessaire que chacun voie bien ce qu'il y a en lui. Il faut aussi qu'il n'empêche pas son voisin de suivre son attrait, en écoutant un misérable petit amour‑propre. Avoir cette largeur d'idées est le propre d'une grande intelligence.

Autrefois, nous avions un vicaire général à Troyes, M. Roizard, qui avait la réputation d'être le meilleur des curés du diocèse, parce que, disaient ses vicaires: “Quand nous lui soumettons tel petit projet, il nous encourage toujours, il entre dans nos idées, enchérit encore sur nos raisons et, sans en avoir l'air, écarte ce qui n'est pas à propos, et donne les meilleurs conseils pour aboutir”. En communauté, il faut bien qu'on agisse ainsi: il faut qu'on respecte un chacun. Celui qui entreprend de faire quelque chose conforme à son attrait, il faut se garder de le tourner en dérision, de le contrecarrer dans ce qu'il entreprend et qui est conforme à l'obéissance. C'est là l'un des grands secrets de la vie religieuse: aider ses frères à faire valoir les moyens que le bon Dieu leur a donnés.

Demandons cela au bon Dieu, car c'est là le véritable esprit de saint François de Sales. Ce n'est pas parce que vous êtes convaincu que ce que fait votre confrère n'aboutira pas et s'arrêtera là, qu'en effet la chose s'arrêtera là et n'aboutira pas. Pourquoi empêcher un autre de voir plus loin que vous et d'arriver aussi plus loin? C'est que vous craignez qu'il ne vous éclipse? Et après, quel malheur en pourra‑t‑il bien résulter? “Heureux les coeurs purs, car ils verront Dieu” dans tout ce qu'ils feront, dans les bonnes qualités de leur âme, parce qu'ils pourront compter sur son appui (Mt 5:8).