Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La pratique de la pénitence en carême

Chapitre du 3 mars 1897

[Avant l'entrée des novices]

Parmi les jeunes profès que nous venons d'admettre, il y en a quelques‑uns qui m'ont témoigné le vif désir de bien pratiquer leur vie religieuse. Si nous voulons continuer à avoir de bons profès, il faudra prendre les moyens que toutes les communautés prennent. Les nouveaux profès ne sont plus novices sans doute; cependant il faut leur donner encore quelque chose qui les rattache quelque peu avec le noviciat, avec les pratiques du noviciat. Pendant qu'ils étaient novices, on les a formés à la vie religieuse, on leur a donné la direction, on les a mis dans le mouvement. Mais il faut encore qu'ils se façonnent complètement. Ce sont de petits arbres nouvellement plantés, qui ont besoin d'enfoncer profondément leurs racines, pour pouvoir s'alimenter et résister aux orages. Il faut qu'ils s'habituent aux ardeurs du soleil. Ce sera donc le P. Chambelland qui vous dirigera, et le P. Ozanam sera son assistant dans cette besogne.

Ô mes amis, unissez‑vous bien les uns aux autres, aimez‑vous bien! Si vous vous resserrez bien entre vous, les exercices du noviciat vous seront plus faciles; vous aurez plus de force pour surmonter vos répugnances. Pendant votre noviciat, vous vous êtes formés à la pratique des vœux. Maintenant c'est le moment de les pratiquer tout de bon. Mes amis, je désire bien que vous fassiez ainsi. Encore une fois, aimez‑vous bien. Soutenez‑vous dans les différents exercices, dans vos études, dans vos classes.

A ce moment on est obligé de vous examiner, de vous étudier de près, pour voir ce que vous pourrez faire. C'est donc un moment grave et sérieux. Mettez‑vous à la besogne de tout votre cœur. Je le répète, il faut qu'on vous étudie, pour qu'on vous connaisse bien, pour qu'on puisse vous mettre à l'œuvre qui vous conviendra et dont vous serez capables. Vous n'êtes pas sans capacités. Vous êtes une réunion de jeunes gens qui ont certainement bonne volonté. Laissez‑vous façonner, et de votre coté mettez‑vous-y de tout votre cœur. Faites entre vous cette alliance de cœur qui vous attachera d'autant plus à la Congrégation. Croyez‑moi, mes amis, la charité est un lien bien fort et bien doux. Voyez, on aime toujours mieux ceux avec lesquels on a vécu enfant ou jeune homme, ses compagnons d'études ou de noviciat. Faites bien cela.

Je vous engage à bien profiter de la direction du P. Chambelland; il saura bien vous conduire et vous comprendre. Il est dévoué, il est intelligent. J'ai assisté dernièrement à la première conférence qu'il a faite sur l'Eglise aux cours des Oblates, et j'ai été étonné de l'ordre, de la diction, de la justesse de tout ce qu'il a dit. Je le savais certainement très capable, mais je ne croyais pas que ce fût à un tel point. Allez donc à lui avec confiance.

[Après l'entrée des novices]

Mes amis, nous entrons en carême. Il faut faire le carême. Il y a obligation à tous de faire pénitence. Les dispenses du jeûne et de l'abstinence ne sont pas des dispenses de la pénitence. On est tenu au mode de pénitence qu'on peut accomplir. Dans l'ordre de la Providence, il est de toute nécessité de faire pénitence. Sans pénitence, pas de pardon de ses péchés, pas de récompense de ses bonnes œuvres.

Comment faut‑il faire pénitence? Sans doute, si nous pouvions faire le carême tel que la sainte Eglise le prescrit, ce serait bien le meilleur carême, la meilleure pénitence que nous puissions faire. Toutes les fois que la santé permet de le faire, cela réjouit l'âme et on est véritablement très heureux. Voyez, les religieux des ordres très pénitents et austères sont pour l'ordinaire tous très joyeux. La pénitence courageusement faite amène le bonheur dans l'âme. Il serait donc très désirable que nous fissions notre carême comme il est marqué dans les lois de la sainte Eglise. Mais ce n'est guère possible pour la plupart d'entre nous, à cause de nos occupations de classes.

Comment donc faire pratiquement pénitence? Tout d'abord il faut voir en conscience ce que nous pouvons faire. Si nous ne pouvons pas faire tout ce qui est demandé par l'Eglise, il faut du moins essayer de faire quelque chose, tout ce que nous pourrons raisonnablement faire. Nous savons que la théologie dispense les professeurs: c'est entendu. Si nous ne sommes pas professeurs, ou que nous ne soyons pas très chargés de travail, voyons devant Dieu et avec notre confesseur ce que nous pouvons faire. Au déjeuner, ceux qui peuvent le faire, pourquoi ne prendraient‑ils pas un peu de pain seulement, le “frustulum” de la théologie. En amusant ainsi son estomac avec quelque petite chose, on peut souvent éviter la fatigue. Le jeûne strict peut être nuisible et causer des migraines ou des maux d'estomac. Quand on peut le faire ainsi et rester fidèle, avec ce petit adoucissement à la loi de l'Eglise, c'est plus édifiant et plus conforme à la discipline de l'Eglise.

Pour le dîner, on prendra ce qui est servi; on n'oubliera pas la mortification du réfectoire. Que chacun ait son petit moyen ordinaire pour bien faire cette mortification; par exemple, en acceptant de bon cœur ce qui plaît moins, ou qui ne plaît pas du tout. Mais, qu'on n'y manque pas, surtout en carême, et qu'on ne sorte jamais de table sans s'être mortifié quelque peu.

Pour le goûter, je fais la même réflexion que pour le déjeuner. Ceux qui le pourront, qu'ils ne prennent rien, ou qu'ils prennent seulement une bouchée de pain, afin que l'estomac ne se fatigue pas.

Le soir, qu'on prenne ce qui se présentera; et là encore qu'on n'oublie pas la mortification. N'y manquez pas. C'est de rigueur, surtout en carême. Il ne faut pas que le carême passe inaperçu et absolument semblable à tous les autres temps de l'année. Quant à ce qui concerne l'abstinence et la nature des aliments, vous n'avez pas à vous en occuper, puisque vous pratiquez l'abstinence que vous impose la communauté.

Comment donc, vous-mêmes, pratiquerez‑vous l'abstinence? Il y a abstinence et abstinence. Je vais vous donner un mode d'abstinence tout particulier. Saint Pierre parle de la participation “aux souffrances du Seigneur” (1 P 4:13). Il y a trois manières de communiquer avec Notre‑Seigneur: communiquer à sa volonté, en lui unissant la nôtre: c'est la direction d'intention; communiquer à sa chair sacrée: c'est la sainte Eucharistie; enfin communiquer à ses souffrances, à sa passion, en acceptant, en union avec Jésus‑Christ dans sa passion, toutes les peines, les épreuves, les souffrances qui nous arrivent.

Mes amis, mettez bien ces choses‑là dans votre cœur et préparez-vous aux souffrances, aux épreuves, aux tentations de toutes sortes, qui ne vous manqueront pas pendant le carême. Mettez cela dans votre agenda. Chaque matin préparez votre journée avec cette pensée. Mettez bien cela dans vos résolutions, telle ou telle pratique de mortification dans le repas, à la récréation, à la cellule, au lit.  Il faut que nous prenions notre part de tout ce que Notre- Seigneur a supporté, non seulement dans sa passion, mais encore dans toutes les fatigues, contradictions, souffrances qu'il a endurées. Nous devons, à chaque instant et toujours, sentir cette loi peser sur nos épaules. Sachons bien et rappelons‑nous bien toujours que nous sommes obligés à la mortification. Je désire bien que vous reteniez ces deux modes de faire pénitence: la mortification de chaque repas, et l'abstinence de la volonté propre dans 1'obéissance exacte, fidèle, amoureuse de la volonté de Dieu. Il faut que, sous ce rapport nous devenions vraiment religieux. Il faut nous faire, de cette doctrine, un fonds sérieux, qui nous fasse envisager les choses à leur véritable point de vue. Avec cela l'âme acquiert la sagesse, la prudence, la force.
In nomine Domini. Amen.