Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La grande et bonne manière de faire la retraite

Chapitre du 2 décembre 1896

“Le noviciat durera une année entière, selon la règle du Saint-Concile de Trente et des Constitutions Apostoliques; il ne pourra jamais être abrégé pour quelque raison que ce soit, et ne pourra se prolonger que pour de graves raisons, dont le Supérieur et le Conseil seront juges; toutefois cette prolongation ne pourra pas excéder six mois” (Const., Art. III:6; p. 6-7).

La Constitution dit qu'on ne pourra pas prolonger le noviciat au-delà de 6 mois. Il y a là en effet une question de justice. Le novice, qui a déjà passé de longs mois dans la communauté, a dû se faire suffisamment connaître. S'il en était autrement, s'il n'était pas suffisamment connu, ce serait une preuve que ses qualités sont bien peu apparentes. Et la Congrégation, en le recevant, risquerait de le prendre sans vocation. Il est donc très à propos que le noviciat se fasse sérieusement, et dans le temps normal. La trop grande lenteur à acquérir les vertus nécessaires risquerait de nécessiter absolument une prolongation plus grande, et par suite impossible à réaliser. Il faut que le novice s'y mette donc tout entier, et dès la première heure.

“Avant l'admission à l’habit et avant l’admission à la profession, les postulants devront suivre des exercices spirituels pendant dix jours” (Const., Art. III:7; p. 7).

En ce qui concerne cette retraite de 10 jours, préparatoire à l'entrée au noviciat, comme aussi les retraites qui précèdent la première profession et les vœux perpétuels, il faut suivre ponctuellement le règlement ordinaire des retraites. Il est bon de se conformer aussi a ce que j'ai dit plusieurs fois sur ce sujet, dans les chapitres et dans les instructions des retraites générales. C'est bien de recueillir ces enseignements et de s'y conformer pendant la retraite. La retraite chez les Oblats est une vraie solitude de l'âme.

Il y a bien des manières de faire les retraites. Dans certaines communautés il y a un très grand nombre d'exercices pendant la retraite: des méditations à n'en plus finir. Je me rappelle un professeur du grand séminaire que j'étais allé voir au couvent où il faisait sa retraite à Paris. Il me dit: “Voici ce que j'ai à faire chaque jour”. Et il me montrait 8 grandes pages in‑folio qu'il avait à lire et à méditer pendant la journée. “Si je lisais cela attentivement”, ajoutait‑il, “j'aurais de quoi m'occuper du matin jusqu'au soir. Ce n'est pas pratique”.

La retraite n'est pas une étude. C'est une suite des exercices de la vie ordinaire que l'on tâche de faire avec plus d'attention et de perfection. On fait la retraite pour que, pendant les jours et mois qui suivront, on continue de faire les choses comme on les faisait pendant la retraite. Il est vrai que pendant la retraite les exercices de piété sont un peu plus nombreux. On prie davantage, mais surtout on doit veiller mieux sur soi. Mais la manière de faire oraison, de s'entretenir simplement avec Dieu, de préparer sa journée avec lui, ne change pas pendant la retraite.

Les retraites, saint François de Sales les appelle solitudes. L'âme qui se dit: “Voilà le règlement de la retraite, je vais le faire avec la plus grande exactitude”, reçoit de la divine Providence la grâce de faire une excellente retraite.  Le bon Dieu peut permettre des maladies, des nouvelles fâcheuses, des ennuis, des sécheresses. Cela empêchera‑t‑il la retraite? Tous les autres religieux diront: “Peut‑être. Nous ne pouvons pas faire notre retraite dans ces conditions”. Je leur réponds: “On peut très bien la faire, car la grande et bonne manière de faire la retraite, c'est de s'exercer à la fidélité, à la dépendance, à la volonté divine indiquée par les événements qui nous arrivent, c'est d'acquiescer à Dieu et de se tenir près de Dieu”. Il y a sans doute à examiner sa conscience, à prendre des résolutions, à considérer les charges nouvelles que peut‑être l'obéissance nous confie. Mais le fond de la retraite est ce que je vous dis.

Faisons faire ainsi les retraites aux gens du monde, aux ecclésiastiques, quand l'occasion s'en présente. C'est la vraie et bonne retraite, celle qui se fait ainsi. Qu'est‑ce que Notre-Seigneur a dit: “L’esprit est ardent mais la chair est faible” (Mt 26:41). On croit que l'on a fait une excellente retraite, parce qu'on a médité longuement, parce que peut‑être on s'est monté l'imagination. On parle de courage, de surmonter tous les obstacles. Or qu'arrive‑t‑il? C'est que le diable qui était parti, revient avec 7 autres plus méchants que lui, et l'état est bientôt pire qu'avant la retraite. Il y a peu de ces retraites qui ne soient pas suivies de grandes tentations, parfois de découragements et même de catastrophes, à moins toutefois que cette retraite n'ait été très douloureuse, très pénible, et qu'on ait fait preuve d'une grande générosité. Elle produit alors un effet analogue à celui d'un jeûne, d'une macération, d'un exercice de pénitence.

“L’esprit est ardent mais la chair est faible” (Mt 26:41): c'est là le grand secret du gouvernement des âmes, c'était le grand secret de saint François de Sales en cette manière où il était sans rival. Il faut donc passer en revue ses devoirs religieux, ce que l'on a fait ce que l'on n'a pas fait, ce que l'on a à faire. Il faut prendre de généreuses résolutions et les mettre sous la protection de la sainte Vierge, de notre saint fondateur, de la bonne Mère, pour que ces pensées nous reviennent au moment où nous en aurons besoin. Mais si l'on veut compter et s'appuyer sur ce qui s'est passé pendant la retraite dans la tête et 1'imagination,c'est s'appuyer sur un roseau bien fragile.

J'espère que nous aurons aussi un jour à nous occuper de retraites ecclésiastiques. Plusieurs prêtres du diocèse de Troyes m'ont déjà demandé si ce serait chose possible. Ils voient là pour eux un moyen à leur portée de se sanctifier et de trouver la lumière dont ils ont besoin. Je ne veux pas dire, mes amis, qu'il ne soit pas possible de faire des retraites d'une autre manière, mais ce que je dis c'est que les exercices plus ou moins violents de l'esprit et de l'imagination ne servent pas à grand-chose: ces retraites longues et surchargées de méditations, peuvent facilement devenir dangereuses.

Ce que je vous dis là est le résultat d'une longue pratique. C'est ainsi qu'ont agit saint François de Sales, saint Liguori, la bonne Mère. Il faut donc faire ainsi nos retraites préparatoires au noviciat, à la profession, aux ordinations, nos retraites annuelles; et elles produiront infailliblement leur effet. Ce n'est pas vous, c'est le bon Dieu qui fait la retraite. Vous êtes là seulement pour lui obéir et accomplir sa volonté, pour le servir, pour répondre à ce qu'il demande de vous. Faites donc vos retraites bien sérieusement dans ce sens‑là, car on ne fait jamais bien faire aux autres que ce qu'on a déjà bien fait soi‑même.

Il va sans dire que pendant la retraite il y a la préparation à la confession. Il faut que cette préparation soit bien sérieuse et bien complète. L'avantage de ce genre de retraites, c'est qu'il n'effarouche personne: tout le monde peut la faire ainsi. Mais il faut cependant une certaine capacité de volonté, car la retraite peut être à certains moments très pénible. Sœur Marie- Geneviève n'a jamais pu faire sa retraite autrement. Les retraites, je me le rappelle, étaient toujours pour elle extrêmement dures. Mais après ses 10 jours de sécheresse et de souffrance, le bon Dieu lui donnait des grâces extraordinaires. Nos retraites ne seront pas toujours heureuses et douces. Attendons‑nous-y. Nous avons toujours le règlement de la retraite entre les mains, cramponnons‑nous‑y.

Nous sommes mal à l'aise, nous subissons de rudes tentations, nous sommes comme saint Jérôme au désert, assaillis de mauvaises pensées. Nous nous sentons portés au mal. La retraite, au lieu d'être un paradis, est pour nous un enfer. Et tout cela, est‑ce mauvais? Non, puisque c'est le moyen que le bon Dieu emploie pour sanctifier votre âme, pour vous fonder dans la vraie vie spirituelle.

Il faut aller à la retraite à la suite de Notre-Seigneur. Il ne dit pas à ses apôtres: “Allez dans un lieu désert”, mais “Venez avec moi, n'allez pas tout seul, avec vos propres forces”. Il faut que toutes nos retraites se passent ainsi. Il faut bien enseigner cette doctrine aux prêtres, aux âmes qui viennent à nous, ou auxquelles on nous envoie. Faites‑leur comprendre, estimer, aimer cette doctrine. Toutes les âmes sont capables de faire ainsi leurs retraites, de mener le genre de vie que nous menons, de faire l'oraison comme nous la faisons.