Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Tous vifs et actifs à la besogne

Chapitre du 21 février 1894

Un point de vue que nous ne devons pas oublier c'est que la Congrégation des Oblats, comme toute société constituée, doit être munie de tous les éléments nécessaires pour vivre et atteindre sa fin. Une société se compose d'individus. Que chaque individu, dans la société, s'étudie donc bien à comprendre la vocation générale, non seulement la vocation à telle forme précise de vie religieuse, mais aussi de vie intellectuelle. Il faut que celui qui a des dispositions pour l'enseignement cultive ces dispositions-là. Et dans l'enseignement il est bon qu'il voie ce qui lui ira le mieux et qu'il s'y prépare. Dieu nous a doués de moyens, d'inclinations spéciales; entrons dans cette ligne‑là, sous la direction de l'obéissance, bien entendu.

Les supérieurs auront toujours la grâce de bien reconnaître les aptitudes de chaque sujet et, en favorisant sagement ces aptitudes, d'agrandir et de développer les moyens naturels de chacun. Ainsi envisagée, la vie religieuse, outre tous ses avantages surnaturels, a encore un immense avantage naturel. Dans le ministère ordinaire des paroisses, quel que soit le goût particulier d'un sujet, il est appelé à être vicaire ou curé, il est appelé à diriger sa paroisse; il est obligé de laisser là ses attraits, ses aptitudes, ses moyens particuliers. La situation de curé l'exige, et quelquefois bien impérieusement. En plus d'une circonstance, cela a été un malheur qu'un curé s'exerce à autre chose qu'à la besogne de son ministère. À  Arcis j'ai connu un bon curé qui perdait son temps, aussitôt qu'il pouvait avoir un moment de libre, à composer un poème épique sur Jeanne d'Arc. Voilà quel était le premier vers: “Plein d'un feu dont en vain je cherche à me défendre...” Le premier vers donne la note et le sens du reste du poème, aussi long que fastidieux. L'abbé Jacquier aurait été religieux qu'on lui aurait donné une classe de littérature à faire. Il aurait développé là ses aptitudes littéraires et aurait fait quelque chose.
L’état religieux offre de très grandes ressources à ceux qui ont l'amour du travail, à ceux qui sentent quelque chose en eux.

Chez les Oblats on fera de tout. Voyez comme on en fait l'expérience tous les jours. Nos Pères de l'Orange ont élevé une église superbe, une vraie cathédrale. Qui étaient‑ils pour faire cela? Trois ou quatre Pères et deux ou trois Frères y ont travaillé. Un entrepreneur anglais ne pouvait se lasser d'admirer leur œuvre. Que chacun — et c'est là mon désir formel — s'étudie, qu’il voie ce qu'il peut faire. Quand nous avons changé l'année dernière les programmes des classes, c'était principalement dans ce but: que chaque professeur développant son talent, son goût particulier arrive à un plein succès. Il faut que ce soit là une des bases de notre Institut. Il ne faut pas être ni chair ni poisson, il faut être quelque chose. Cultivons donc bien le don de Dieu, et ce qu'il nous a donné, faisons‑le servir pour le bien des âmes et la prospérité de la Congrégation. Cela est bien dans l'ordre.

Dieu nous a confié tel talent, c'est pour l'exercer. Si nous voulons cultiver autre chose, nous réussirons moins bien. Ne faisons pas cela par un motif humain, en philosophes, mais faisons-le tout surnaturellement. Honorons en nous le don de Dieu, cultivons‑le, agrandissons-le. Faisons cela en action de grâces du don qui nous a été confié, afin de nous mettre plus en rapport avec la volonté divine. C'est une question de perfection surnaturelle. Il n'est pas bon que l'homme soit seul, avec rien. Ayons quelque chose pour vivre. Notre Directoire, notre vie bien régulière nous suffirait‑elle? Le bon Dieu nous a encore donné autre chose. Employons cette autre chose en union avec la divine volonté et avec un grand respect de cette volonté.  Que chacun voie bien ce dont il est capable, qu'il le dise bien simplement au supérieur. Le supérieur verra lui‑même ce qu'il est bon de faire, il tournera les efforts de son subordonné de tel ou tel côté. Et tout cela se fera afin d'être en plus parfaite conformité avec la volonté divine, afin d'unir plus complètement notre existence au vouloir divin.

Saint François de Sales disait que former un prêtre, c'est chose trop difficile. Par cette formation il entendait évidemment faire en sorte que chacun utilisât bien tous les dons de Dieu en lui et étendît sa correspondance fidèlement à toutes les volontés de Dieu sur lui. Rien ne manifeste mieux en nous les volontés de Dieu sur nous que les goûts qu'il nous a donnés, les aptitudes qu'il a disposées en nous. Par ce moyen chaque Oblat arrivera à faire quelque chose en conformité avec les intentions divines, chacun suivra sa voie. C'est bien le moyen le plus efficace de rendre service à la sainte Eglise, d'être les auxiliaires actifs du clergé, des évêques, de l'Eglise. Nous sommes leurs aides, nous avons tout en main pour rendre d’autant plus de services que chacun aura pu se perfectionner davantage dans sa voie, dans le genre d'étude dont l'exercice lui va le mieux. C'est là un moyen efficace de rendre gloire à Dieu et d’apporter une louange entière et parfaite. Que chacun se mette à sa besogne, qu'il s'exerce à ce qu'il a à faire, de façon à le faire parfaitement. Ne soyons pas seulement des êtres qui fassent leur besogne vaille que vaille, mais ayons notre but, ayons notre valeur personnelle.

Saint Ephrem a dit: “Méditez sans cesse de bonnes choses, afin que vous ne deveniez pas mauvais”. L'esprit humain n'est jamais en repos. S'il ne s'occupe pas de choses utiles, il s'occupe de choses futiles et vaines ou même mauvaises. Quand chacun cultive son attrait particulier. L’esprit qui a ce qu'il lui faut est occupé, il ne cherche pas à divaguer; l'âme s'attache à la volonté divine. Toute notre existence est bien alors dans le bon sens, dans la bonne direction, et nous allons tout droit au but. Que parmi nous donc il n'y en ait pas de lents, d'endormis, de tièdes, de mourants, de gens sans énergie. Soyons tous vifs et actifs à la besogne. Pour cela, occupons toujours bien notre esprit à quelque chose d'utile, à quelque chose dont nous soyons capables. Que chacun y pense donc bien et s'attache à bien cultiver ce que Dieu lui a donné. Partout où nous voyons quelque bon résultat, c'est qu'on avait bien marché dans ce sens.

Et ce que je vous dis là est vrai pour toute chose et en toute circonstance, aussi bien dans l'ordre matériel que dans l'ordre intellectuel. Voyez chez les artistes. Il y a un dicton que, pour faire un artiste, il faut trois choses: de la patience, de la passion, de la pâtée. Le religieux, lui du moins, a toujours la pâtée, mais il lui faut la passion. Si ses aptitudes le portent à la direction des âmes, à la prédication qu'il fasse cela passionnément bien, sous le regard de Dieu. Partout où cette vérité est comprise, on arrive à quelque chose. Dans quelles maisons trouve‑t‑on des résultats magnifiques sous le rapport de l'éducation? C'est dans celles où les maîtres s'en occupent avec attrait, en font leur besogne de cœur. “Vous donc, vous serez parfaits”, disait Notre-Seigneur. Et il ajoutait: “comme votre Père céleste est parfait” (Mt 5:48). “Mon Père est à l’oeuvre jusqu’à présent et j’oeuvre moi aussi” (Jn 5:17). La perfection que Notre-Seigneur nous demande ne doit pas être seulement dans la volonté, dans le bon désir, mais encore dans la réalité, dans l'action, dans l’œuvre. Travaillons avec Notre-Seigneur, avec l'attrait, le goût, l'ardeur qu'il nous a donnés, et il travaillera lui‑même à notre besogne: “J’oeuvre moi aussi”.
Pensez bien à ce que je vous ai dit ce matin. Que chacun voie et étudie; que chacun se promette de bien travailler dans sa voie. Voyez, mes amis, comme la doctrine de saint François de Sales est simple, complète, comme elle tombe juste, comme c'est un moule qui atteint bien toutes les parties et réalise tout ce qu'il y a à réaliser dans la manière, sans laisser de lacune ici ou là. Elle prend l'individu tout entier pour l'informer tout entier, pour lui donner toutes les nuances voulues par Dieu, pour le faire marcher à côté de Dieu qui le conduit par la main et le met en marche tout droit.