Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Partout et en tout il faut trouver le religieux

Chapitre du 14 février 1894

Un principe dont il faut bien se pénétrer, c'est que tout le bien qui se fait dans une Congrégation religieuse dépend de l'entière observance des Constitutions et des règles. Rien ne peut être ni utile au religieux ni avantageux à l'Institut sans cette dépendance absolue de tout ce qui est prescrit. Enlève-t‑on par là l'initiative personnelle? Du tout. Le religieux est plutôt guidé que gêné dans son action. Il est vrai que cette action doit s'exercer dans des conditions déterminées, mais l'activité humaine, au lieu de s'appliquer à des choses étrangères à son but, n'en est que plus excitée, en se refermant dans une sphère bien définie. Qu'on ait la charge de professeur, d'économe ou de directeur, la conduite à tenir est marquée pour chacun de ces ministères. C'est à l'Oblat à y appliquer ce que Dieu lui a donné d'intelligence et de zèle. Mais il importe que tout soit fait dans l'esprit de la Congrégation, par les moyens enseignés et selon les règles tracées, tellement qu'il soit facile de reconnaître à son action un Oblat de saint François de Sales. Il ne doit y avoir entre nous aucune trace de divergence extérieure. Partout et en tout, il faut retrouver le religieux.

Nous arriverons à prendre la forme et l'empreinte du religieux Oblat si nous observons bien ce qui regarde l'ordre intellectuel et l'ordre spirituel ou surnaturel. L'ordre matériel comprend l'administration et l'organisation des biens de la Congrégation. Le R.P. Lebeau est chargé, comme économe général et comme visiteur, d'y pourvoir. Tout système différent du sien, parût-il même devoir procurer plus de ressources à l'Institut, doit céder devant sa volonté, jusqu'à ce que le supérieur général, étudiant la question, la tranche d'une manière décisive. Non seulement nous devons suivre les conseils du Père Visiteur, nous prêter à sa direction et ne rien faire que ce qu'il ordonne, mais chacun de nous est tenu d'observer la pauvreté —  mais une pauvreté effective — en évitant les dépenses, en ménageant ses vêtements et tous les objets à son usage, en veillant à la conservation des biens de la Congrégation.

C'est par l'amour de la pauvreté, et par les petites économies qu'elle inspire, qu'une Congrégation se suffit, et accroît ses biens. Si nous perdions de vue cette vertu fondamentale, si nous en négligions les  moindres observances, Dieu ne nous bénirait pas. Tandis qu'en restant vraiment pauvres nous mériterons toujours cet éloge que faisait un jour une de nos bienfaitrices: “Les Oblats me sont chers, parce qu'ils aiment la pauvreté”. Dieu a dû ratifier cette parole et, comme cette dame, nous assurer sa protection et son secours, tant que nous resterions pauvres.

Les questions de l'ordre intellectuel regardent spécialement le R.P. Rolland et, dans ses visites, le R. P. Lebeau. Ils doivent veiller et pourvoir à ce que les programmes soient remplis et les méthodes suivies. Un professeur peut avoir une manière de voir, une manière de faire qui lui soient propres. Il peut même arriver que son système paraisse meilleur que celui qui est établi, mais à coup sûr, il n'atteindrait pas son but. Il n'atteindrait pas surtout le but final qui ne peut être que le résultat d'un ensemble. Il n'y aurait ni unité d'enseignement, ni enseignement complet sans un programme unique, sans une méthode uniforme. Mais si le professeur est astreint à suivre un règlement, du moins a‑t‑il toute initiative possible pour faire que les programmes soient bien remplis et que la méthode soit bien appliquée. Son obéissance sera d'autant plus méritoire devant Dieu qu'il aura plus de sacrifices à accomplir. Et cette obéissance, il la gardera s'il est intelligent. Car s'il est intelligent, l'évolution deviendra facile et il comprendra que le fonctionnement régulier d'une machine ne dépend pas d'un seul rouage, si parfait qu'il soit, mais qu'on ne peut avoir d'unité dans l'enseignement qu'à la condition de travailler dans le sens et de la manière qu'on nous indique.

Pourquoi les Marianistes sont‑ils regardés comme des maîtres modèles dans l'enseignement? “C'est que”, répondait un homme d'esprit, un homme du métier, “c'est que tous les professeurs sont des novices. Ils ne connaissent en effet, comme de vrais novices, que l'obéissance passive, libre et intelligente. Nous avons un de nos Pères employé dans les missions. C'est un homme du bon Dieu. Mais, entré tard dans la Congrégation, il n'a pu prendre la forme religieuse de notre Institut. Il se dépense, mais sans se préoccuper assez des règles et de la direction qu'on lui a fixées. Qu'arrive‑t‑il? Le bon Dieu ne bénit guère ses travaux. Il est loin d'avoir autour de lui l'action bienfaisante qu'il devrait avoir”. Il en serait ainsi de nous si nous voulions échapper à la direction qui nous est imprimée et suivre le mouvement de notre nature. Je sais bien que ce qui est demandé de vous exige parfois un peu d'héroïsme; mais encore une fois, pour tout religieux intelligent, la Règle c'est la Règle, et l'obéissance, c'est le secret des succès et du mérite devant Dieu.

Quant aux choses de l'ordre spirituel, nous avons nos principes de direction, les conseils qu'on nous a donnés et les exemples qui nous sont laissés. Ce fonds-là, c'est notre richesse. Nous y trouvons la lumière, l'impulsion vers le bien, la générosité dans nos actes, la règle sûre et facile de notre conduite à l'égard des âmes. Rien n'est indécis, ni laissé au libre arbitre de chacun. Le prêtre dans sa paroisse choisit les œuvres qui lui plaisent; il les établit et les dirige à son gré. Celui qui lui succède n'a pas les mêmes vues, il détruit ce qui est fait, pour le remplacer par d'autres œuvres qu'il croit plus nécessaires. Ni l'un ni l'autre ne font rien de suivi, de stable, de perpétuel. Tandis que le religieux, en suivant la voie qui lui est tracée, n'a qu'à continuer ce qui a été commencé. On ne s'aperçoit pas que l'homme manque, car son esprit, sa direction, ses moyens d'action ne varient pas. C'est ainsi qu'un Jésuite disparaît d'une ville sans laisser rien en souffrance, rien à la merci du hasard ou d'une action personnelle. Il lègue à son successeur son confessionnal et ses  œuvres, et l'on voit à ce confessionnal les mêmes pénitents et dans les œuvres les mêmes personnes qui les soutenaient de leur influence ou de leur bourse. Voilà ce qui doit exister chez nous. La chose est d'autant plus facile que notre direction est plus accessible à toutes les âmes, que notre esprit est plus net, que notre manière d'être n'incommode personne et que notre action s'exerce sans bruit, sans prétention, sans jalousie, sans aucun blâme jeté sur ce que font les autres. Mais n'oublions pas que nous n'existerons comme Oblats qu'à la condition de dépendre entièrement de nos Constitutions et de nos Règles. Quiconque ne comprend pas la nécessité de cette dépendance ne jouit pas d'une grande intelligence ou bien il manque de caractère. Il ne sera jamais qu'un serviteur qui craint l'œil du maître ou qui n'agit que par force. Or ce n'est plus un homme, encore moins un Oblat. L'Oblat se sent fort, en obéissant, et sûr d'atteindre son but, en se laissant lui-même. Il compte plus sur Dieu, et sa règle, que sur ses propres ressources: c'est, en un mot, un vrai religieux.