Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Dignité et mission de l’Oblat

Chapitre du 24 janvier 1894

Dans notre dernière réunion, je vous disais une parole de notre saint fondateur: Ayez bon courage! Aujourd'hui, je vous dirai: Ayez grand courage, parce que nous sommes, nous Oblats, une congrégation naissante sans doute, mais qui a déjà fait quelques preuves. La grâce du bon Dieu nous semble déjà descendue plus abondante que jamais sur ce que nous avons commencé. Nous voilà déjà anciens. Il faut donc agir avec un grand courage, il faut tenir à honneur d'être Oblats de saint François de Sales. Comprenez bien votre dignité et votre mission, et de cette intelligence il en sortira quelque chose.

Un premier motif de bien comprendre ce que nous devons être, c'est qu'il y a plusieurs congrégations sous le nom et sous la bannière de saint François de Sales. Quelques-unes semblent même vouloir nous disputer quelque peu l'héritage de la bonne Mère, ses promesses. Je ne veux chercher de querelle à personne, sans aucun doute, mais je sais mieux que personne ce que la bonne Mère a dit. Tout le monde sans doute peut prendre sa part des belles et bonnes choses qu'elle a enseignées; mais quant à être ses héritiers vrais, ses fils, quant à avoir la tradition immédiate, complète et pleine de sa doctrine, de son esprit, personne ne peut sincèrement nous contester ce patrimoine. Je sais bien ce qu'elle m'a dit et répété mille fois. Nos Pères sont ses vrais héritiers, ils ont sa vraie doctrine: c'est là la grâce capitale qu'ils ont reçue du bon Dieu.

Partons de là, mes amis, voilà notre principe. Il faut porter un grand respect à toutes les associations qui se réclament de saint François de Sales et même de la bonne Mère; il faut bien se garder d'en mépriser aucune, mais n'abandonnons pas nos prérogatives et comprenons‑les bien. Nous pouvons bien affirmer que nous avons l'esprit de la bonne Mère sans dire du mal des autres. M. l'abbé Chaumont est un prêtre extrêmement respectable, très digne de confiance; j'ai pour lui une considération toute particulière. J'ai lu dans quelque livre que son association était l'héritière des promesses de la bonne Mère. Comprenons‑nous bien. M. Chaumont était venu voir la bonne Mère Marie de Sales. Il avait déjà commencé ses œuvres multiples de saint François de Sales. Il demanda à la bonne Mère s'il devait se faire Oblat. “Faites votre œuvre”, lui répondit‑elle. Ce que fait M. Chaumont est une chose bonne, excellente. Il a là une grande quantité de prêtres, une foule de personnes du monde qu'il dirige dans les voies d'une perfection assez rigoureuse. C'est très bien et nous ne pouvons que nous en réjouir et l'admirer. Il est évident qu'il se fait là un très grand bien, un bien, me semble‑t‑il, plus considérable que celui que nous‑mêmes avons fait jusqu'ici. Mais j'ajoute que la doctrine qu'enseigne M. Chaumont n'est pas tout à fait celle que nous enseignons. Ce n'est pas du tout le même esprit. Le bon Dieu n'a pas fait tout le monde de la même façon. Les esprits ne sont pas les mêmes. Cela a plu ainsi au bon Dieu et il faut le respecter.

Comprenons bien que, nous autres Oblats, nous sommes chargés de répandre la doctrine de la bonne Mère et de la pratiquer par conséquent; nous sommes chargés de faire fructifier et épanouir les grâces immenses que le bon Dieu a attachées à cette voie particulière. Est‑ce que la voie de la bonne Mère est la seule voie pour aller au ciel? Non, sans doute, il en est bien d'autres et d'excellentes. Mais celle‑là est bonne, elle est sûre, facile, elle est la meilleure pour nous et pour les âmes que Dieu appelle à nous.

Je reçois chaque jour des lettres de tous côtés, de tous les pays; et de toute part on me dit qu'il y a là, dans cette voie, quelque chose qu'on ne trouve pas ailleurs et qui est précisément ce dont les hommes ont besoin à l'heure actuelle. C'est là notre lot, notre propriété. A nous de le faire valoir. Si nous ne le faisions pas, si nous ne nous occupions pas à cela de tout notre cœur, le bon Dieu pourrait nous l'enlever, de même qu'on lui a vu transporter le flambeau de la foi d'un pays à un autre. Ce serait bien regrettable, n'est‑ce pas? Mais toutes les âmes qui entrent généreusement dans ce chemin‑là, voyez comme le bon Dieu les aide, comme elles font des profits considérables. Cela va à tout le monde; c'est agréable à Dieu; c'est un grand et efficace moyen de pratiquer la vertu et d'aller au ciel.

Ayons donc un grand courage en face d'une telle besogne, et ce grand courage doit consister à bien faire tout ce que nous avons à faire. Soyez bien convaincus, mes amis, que tout Oblat fidèle, qui pratique bien son Directoire est celui qui assurément donnera aux âmes la meilleure direction; et je dis cela sans prétendre faire tort à qui que ce soit. Que cet Oblat puisse conduire toutes les âmes, je ne dis pas cela. Il y en aura bien quelques-unes qui ne le comprendront pas, mais celles qui le comprendront auront un immense avantage, elles auront la paix et 1'assurance.

Mme B**** vient de donner sa fille aux Oblates. Cette dame est une sainte; il n'y a pas de vertu qu'elle ne pratique admirablement et vaillamment, mais sa fille, qui a été notre élève, prie de tout son cœur pour que sa mère devienne sainte à la façon de saint François de Sales. La pauvre femme n'a aucune des joies de la vie pieuse et chrétienne. Sa voie n'est que duretés et épreuves de toutes sortes. Ira‑t‑elle au ciel? Voilà ce qu'elle se demande sans cesse avec crainte. Elle est bien éprouvée de n'avoir pas le bénéfice, la jouissance, l'assurance d'une vie bien chrétienne et bien calme. Et il est bien remarquable qu'un grand nombre d'âmes marchent par cette route‑là. Sans doute c'est une nouvelle épreuve méritoire, c'est une disposition à la sanctification. Mais si cette bonne dame avait l'esprit de saint François de Sales, elle aurait déjà une bien plus grande influence sur ses fils qui ne l'écoutent guère et elle aurait elle‑même une vie calme et heureuse. Le bon Dieu sans doute ne lui demande pas ce qu'elle ne connaît pas, mais ce qu'il nous demande à nous, c'est de mener les âmes dans cette voie-là.

Sanctifions‑nous bien et que ce soit moins encore peut‑être pour obtenir des grâces extraordinaires pour nous, que pour en obtenir pour les autres. Comment profitons‑nous, nous‑mêmes, des grâces de Dieu? La bonne Mère disait souvent qu'il est bien difficile de ne pas laisser perdre quelques-unes et beaucoup des grâces du bon Dieu. Convaincus de notre infidélité, gardons‑nous donc bien de nous estimer plus que les autres. Mettons‑nous au contraire au-dessous de tout le monde.

Nous avons une charge à remplir. Soyons bien convaincus que nous la remplissons mal, et c'est vrai. Appliquons-nous d'autre part à propager, à étendre les grâces du bon Dieu sur les âmes et cela, je le répète, en vous mettant avec un grand courage à bien faire tout ce que vous avez à faire, à le faire parfaitement bien. Vous êtes prédicateur, travaillez parfaitement bien vos sermons. Vous êtes professeur, faites parfaitement bien votre classe. Il en est de même de tout le reste, surveillances, travaux de toutes sortes. Ayez toujours, en tout ce que vous faites, ce but de le faire le mieux possible. Voilà ce qu'enseigne saint François de Sales, à essayer la perfection, l'amour de Dieu aussi complet que possible en toute chose.

Visez à la perfection dans vos travaux , dans vos emplois, dans toute votre conduite. Ayez cela à cœur, mettez‑vous-y avec un grand courage, dans votre vie intime et privée, dans vos rapports avec le prochain, que ce soit votre constante préoccupation. Partout où l'obéissance vous appelle, cherchez‑y, avec un grand courage, la perfection. Voyez, dans le dernier numéro des Annales, l'article du P. Bony à propos d'une thèse en Sorbonne. Voyez comme ce qu'i1 dit est bien, exact, neuf. Ce n'est pas rabâché de tel ou tel livre, de ceci ou de cela. Il y a de la pensée, du fonds. Il vit du Directoire, le Directoire vivifie son intelligence naturelle et lui donne grâce pour bien voir et bien dire. Quand, avec cette lumière surnaturelle qui féconde l'esprit naturel, on se met en face d'une question, alors on la comprend, on la saisit, on l'envisage à son vrai point de vue: les conclusions sont justes. Tout ce que l'on fait à cette lumière est bien, est harmonieux, c'est ce qui convient.

Nous ne serons vraiment Oblats qu'avec notre Directoire, qu'avec nos Constitutions. Avec cela nous pourrons et nous devrons nécessairement arriver à très bien faire tout ce que nous aurons à faire. Toutes les questions, tous les genres d'étude, tous les travaux que nous entreprendrons, tout arrivera à bon terme. C'est ce qui fera que notre âme, notre intelligence, notre vie seront dans un équilibre parfait: Regardons‑nous donc tous comme obligés d'avoir un grand courage, comme obligés de bien faire tout ce que nous avons à faire, de nous y appliquer, de mettre tout en œuvre pour le faire réussir aussi parfaitement que possible. Quand nous serons dans cette disposition le bon Dieu alors nous donnera l'intelligence, la notion vraie de la chose que nous aurons à faire. Cette union intime à l'intelligence et à la vie divine donnera une lucidité et une force admirables à nos pauvres facultés naturelles.

Sans doute parmi ceux qui sont incrédules ou qui ne vont pas s'appuyer sur Dieu il y a des intelligents. On ne peut pas dire que l'incrédulité par elle‑même hébète l'âme et lui enlève tous ressorts. Mais il est certain qu'elle lui enlève beaucoup. Si ces pauvres gens étaient bons chrétiens ils seraient bien plus intelligents qu'ils ne le sont. A ce propos, je faisais ces jours derniers cette réflexion que l'enseignement actuel semble avoir une tendance à atrophier l'intelligence des jeunes gens. Maintenant, au lieu de faire apprendre aux enfants le catéchisme et l'histoire sainte, au lieu de les mettre en face de la vérité suprême, on les hébète dans des leçons de choses, où ils perdent le peu d'esprit qu'ils avaient. On apprend aux petites filles ce que c'est qu'une cruche... Qu'elles se regardent donc, ou plutôt qu'elles regardent les maîtresses qui leur apprennent de si belles choses! On ne met plus rien de sérieux dans l'esprit des enfants, pas la moindre idée morale. Il faut réagir là contre, et voyez comme notre mission est grande! Le monde s'abêtit. Le monde moral est très bas; le monde intellectuel tombe de plus en plus dans la décrépitude.

Il faut que nous soyons à la hauteur de notre vocation pour relever les âmes qui nous sont confiées, et les remettre à la hauteur des enseignements de la vie chrétienne. Quand saint Ignace a fondé ses religieux, c'était pour combattre le protestantisme. Saint François de Sales a voulu combattre, lui aussi, et ramener le règne de Dieu sur la terre, règne pacifique, qui rétablit par la seule influence de la vérité et de la grâce du bon Dieu. Mais il faut que Dieu trouve des ministres, des instruments de ses miséricordes. Pour que les âmes comprennent, il faut qu'elles entendent. Comment entendront‑elles si on ne leur parle pas, et comment parlera‑t‑on si on ne sait pas? Ayons donc un grand courage, afin de faire tout cela le mieux possible; pénétrons‑nous bien de la grande grâce de notre vocation; ayons le feu sacré: en haut les coeurs! Ce feu sacré est nécessaire, si nous voulons bien faire notre œuvre.

Nous allons célébrer la fête de saint François de Sales dimanche. Demandons bien à notre saint fondateur de comprendre ce qu'il a voulu de nous. Regardons‑nous comme les héritiers de ses meilleures promesses. Mettons‑nous-y. Je répète bien souvent les mêmes choses. Encore une fois, je ne veux pas dire qu'il faille nous mettre au‑dessus des autres. Saint Jean, le bien-aimé, ne se mettait pas au-dessus de saint Pierre; il était au‑dessous de lui. Mais plus fidèle que saint Pierre, il était plus avant que lui dans le cœur du Sauveur. Je puis bien l'affirmer, nous sommes les fils bien-aimés et préférés de notre saint fondateur, puisque nous seuls avons son Directoire, sa vie intime, son cœur. La bonne Mère nous a constitués dans cet héritage choisi. Rome nous y a confirmés. Nous avons pour nous de magnifiques promesses, sanctionnées par l'approbation de notre Saint-Père le Pape. A nous maintenant d'emboîter le pas et de marcher sans nous laisser dépasser. Nous ferons bien cette fête de saint François de Sales, nous nous y préparerons de tout notre cœur en nous appliquant mieux à nos oraisons, à la fidélité en nous. Faisons quelques jours de fidèle observance et nous obtiendrons du bon Dieu tout ce que nous voudrons.