Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Notre voeu de pauvreté

Chapitre du 15 mars 1893

“Ce que les profès acquerront par leur industrie personnelle ou en considération de la Congrégation, ils ne pourront se l’approprier ni le garder; mais ils devront le verser dans les biens de la Communauté, pour l’utilité de la Congrégation” (Const., Art. V:1; p. 11)

Si nous sommes professeurs, surveillants, chargés d'une administration quelconque, tout ce que nous pourrons gagner par notre industrie personnelle, par notre travail, notre intelligence, devient la propriété de la Congrégation. Sans doute ceux qui peuvent, par une industrie quelconque, gagner quelque chose, ont droit à ce qui leur est nécessaire, aux livres, aux outils, mais le résultat pécuniaire doit rentrer dans les biens de la communauté, parce que le religieux doit être mort au monde. Autrefois celui qui  avait fait profession religieuse était porté au nombre des défunts sur les registres de l'état civil et il était considéré comme tel. Maintenant que la loi civile ne reconnaît plus les vœux, ils n'en doivent pas moins garder leur force, et nous devons également nous regarder comme morts au monde. Or un mort n'a plus la propriété de rien.

“Les profès pourront retenir le domaine radical (la nue-propriété) de leurs biens; mais il leur est interdit de les administrer eux-mêmes, de disposer de leurs revenus et d’en user” (Const., Art. V:1; p. 11-12).

Un Père qui a une maison, une ferme, un bien quelconque peut en garder la nue propriété. Il peut la laisser à son nom devant la loi civile, mais il ne peut en garder la gestion, ni user des revenus. Il n'en est que le propriétaire titulaire, pour les actes et les formalités civiles.

Pratiquons bien entièrement sur ce point le vœu de pauvreté. Dans beaucoup de communautés, en dépit des lois civiles, le vœu de pauvreté est observé avec la même rigueur qu'autrefois. Dans d'autres, par suite du malheur des temps, il a subi des atteintes. Et toutes les fois qu'une communauté manque à ce vœu, elle n'est pas bénie de Dieu. Les épreuves, les défections, les châtiments — c'est le mot — viennent l'assaillir. Car alors elle n'est plus dans l'ordre normal, dans la condition où Dieu la veut. Il faut donc bien que chacun de nous abandonne l'administration et l'usage de ses biens, et accomplisse le plus parfaitement possible son vœu de pauvreté.

"Ils doivent donc, avant leur profession, céder par acte, même privé, et à qui il leur plaît, et s’il le préfèrent, à l’Institut, cette dite administration, cet usufruit ou cet usage, avec faculté d’apposer à la cession la condition qu’elle pourra être révoquée plus tard; mais le profès ne pourra user licitement de cette faculté qu’après avoir obtenu l’agrément du Saint-Siège.” (Const., Art. V:1; p. 12). 

C'est-à-dire qu'en entrant en religion, si on a un bien, on peut le donner à ses parents, à un ami, à l'Institut, et pour cela on est obligé de faire un acte de cession. On peut aussi n'abandonner que les revenus à sa famille, en gardant la nue-propriété, et apporter la condition que cette cession des revenus à la famille pourra être révoquée, si bon semble. Conformément à cette clause, on pourra révoquer cette cession des biens à la famille, ou plutôt du revenu ou de l'administration de ces biens, mais seulement après avoir obtenu l'agrément du Saint-Siège. Il faut appliquer les principes susdits aux biens qui peuvent échoir par succession, au cours de la profession. Voyez comme Rome a précisé les choses. Ce que nous avons là dans nos Constitutions ne nous est pas particulier, c'est la règle donnée par Rome à toutes les Congrégations à vœux simples.

"Tous les biens de la Congrégation sont communs. Les Supérieurs distribuent à chaque Oblat, suivant les constitutions et suivant le besoin, la nourriture, le vêtement, les livres, les cellules, etc.” (Const., Art. V:2; p. 13-14). 

Le vœu de pauvreté emporte avec lui l'esprit de pauvreté. C'est un sentiment nouveau, que les anciens ne connaissaient pas, et qui a été apporté au monde par Notre-Seigneur Jésus-Christ: “Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux” (Mt 5:3). Ce sentiment qui comporte la joie d'être privé des choses matérielles a son bien beau côté: les bienfaits du ciel, les grâces, les lumières sont le partage de la pauvreté des biens d'ici-bas.

Il nous faut user des choses comme appartenant à Dieu, les ménager, nous priver, faire de petits sacrifices continuels. Nous nous engageons par vœu à faire ces sacrifices; nous avons le mérite qui résulte du vœu. Rien n'est plus conforme à l'esprit religieux que cet amour de la pauvreté.

"L'Oblat de saint François de Sales n'aura à son usage quoi que ce soit, à l'insu du Supérieur et sans sa permission, et il devra être prêt à l’abandonner et à le donner à un autre, sur un simple signe du Supérieur” (Const., Art. V:3; p. 14)

Nous ne rechercherons pas les choses superflues, curieuses, même si on nous fait de petits cadeaux avec permission. Il ne faut pas que cela dépasse jamais la mesure de la pauvreté. Que tout soit simple. Notre nourriture doit être simple et frugale. S'il y a des sacrifices à faire sous le rapport de la nourriture, souvenons‑nous de la mortification qui nous est imposée à chaque repas, mortification positive ou négative. Néanmoins si nous avons besoin de quelque chose pour notre santé, il faut le demander avec simplicité et confiance. C'est aussi une bien bonne chose que de ne pas avoir tout ce qu'il nous faut dans nos vêtements, dans notre chaussure, dans notre petit mobilier, qu'il y ait toujours la part de Dieu, c'est-à-dire quelque chose qui nous gêne, qui ne soit pas comme nous aimerions et voudrions, que nous portions “partout et toujours en notre corps les souffrances de mort de Jésus” (2 Co 4:10). Retranchons aussi ce qui peut plaire à l'œil, ce qui peut procurer quelque satisfaction pour les sens.

Quant à ce qui concerne les meubles fermés à clef, cela ne peut guère s'appliquer aux collèges, où il y a des étrangers, des domestiques; mais cela doit se pratiquer dans les maisons conventuelles où il n'y aurait que des Pères et Frères. Faisons donc bien attention à notre vœu de pauvreté. Acceptons bien les petits sacrifices qui résultent de la vie de communauté, c'est là le fruit de la pauvreté, c'est notre trésor. Ils nous formeront un grand fonds de richesses spirituelles et nous donneront autorité pour parler et demander à Dieu. Ils serviront à la purification de notre âme. Le péché nous apporte une jouissance coupable, qui détourne de Dieu, la pauvreté suscite une souffrance, qui est la réparation du mal causé par le péché.

Il faut aussi avoir grand respect à la Providence qui nous envoie ces mille petites épreuves de chaque jour. C'est le moyen de devenir de saints religieux; nous en avons vingt fois par jour l'occasion. Profitons‑en bien et nous acquerrons le vrai sens de la pauvreté religieuse. A la Visitation, ce qui m'a toujours le plus frappé, c'est la pauvreté, la pauvreté de la maison, la pauvreté de chaque sœur. Il y a dans la pratique de la pauvreté une perle cachée; notre volonté s'incline devant celle de Dieu, et nous trouvons Dieu: “Heureux ceux qui ont une âme de pauvre, car le Royaume des Cieux est à eux” (Mt 5:3).