Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Sermons et homélies

Chapitre du 6 juillet 1892

Je crois qu'il est bon que nos prédicateurs se rapprochent de plus en plus de la méthode qu'avaient les Saints Pères, d'expliquer l'Evangile par des homélies. L'ignorance est devenue tellement profonde qu'il faut, pour que les gens écoutent et comprennent, prendre des moyens tout à fait en rapport avec la portée de leur esprit et leur capacité religieuse. On m'en citait ces jours-ci un exemple déplorable. On prépare des enfants à la première communion; on est obligé d'en renvoyer la moitié. Ils n'ont pas l'ombre d'une idée religieuse: ils confondent les vertus théologales avec les péchés capitaux. Il n'y a pas de différence pour eux; les personnes de la sainte Trinité, les mystères leur sont tout à fait inconnus. Autrefois, quand on apprenait le catéchisme dans les écoles, les enfants n'en savaient déjà guère long; aujourd'hui ils sont d'une ignorance absolue, il ne reste plus rien.

Prenons donc cette méthode de l'homélie pour expliquer la religion. C'est une forme restée en vénération dans l'Eglise, qui maintenant encore nous fait lire, dans le bréviaire, la parole du saint Evangile, puis l'homélie, l'explication de cette parole. Ce genre de prédication devient de plus en plus nécessaire. Dans les paroles de 1'Evangile que l'on cite, il y a déjà une grâce: “Vivante est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à deux tranchants” (He 4:12). C'est quelque chose qui saisit l'âme, que ce soit un fait, que ce soit une parole de l'Ecriture. Faites comprendre ce passage de l'Evangile, appuyez votre instruction là-dessus, développez cette parole, l'enseignement qui découle de cette action. Développez l'histoire de 1a Cananéenne, et vous aurez fait un sermon sur la prière que tout le monde comprendra bien mieux que si vous vous étiez mis à prêcher de prime abord des considérations sur la prière. Ils ne savent pas ce que c'est que la prière, ils n'en ont pas l'idée.

Un grand tort que nous avons eu, c'est de faire des sermons qui n'aboutissent à rien. Je me rappelle un jeune vicaire de Saint-Jean qui prêchait son premier sermon, le jour de la saint Pierre. M. Boulage, l'ancien curé de Saint-Pantaléon, y assistait. Après le sermon, comme le jeune prédicateur était rentré à la sacristie et paraissait très échauffé, très enthousiasmé de son sermon et très désireux de recevoir des compliments, M. Boulage s'approcha de lui:   “Dites-moi, mon ami, lui dit-il, vous avez un peu le désir d'être orateur; vous en avez les qualités, la capacité, sans nul doute, mais quand vous voudrez recommencer un pareil sermon, il y aura une chose qu'il faudra faire avant tout”.
— “Laquelle?”
— “C'est de vous écrier: «Morts, qui reposez dans vos tombeaux, sous les dalles de cette Eglise, levez-vous, apparaissez, sortez de vos linceuls, j'ai à vous parler». Alors, si les morts viennent, eux vous comprendront. Ce que vous avez dit atteignait les gens qui vivaient il y a deux cents ans. Mais cela ne pouvait toucher aucun de ceux qui vous écoutaient présentement. Il y a deux cents ans les hommes savaient leur théologie et les femmes aussi, mais qui est-ce qui sait maintenant bien sa religion?”

M. Boulage avait raison. Il nous faut bien éviter ce travers. Savez‑vous que les hommes, que les femmes même, sont dans une ignorance absolue de la religion? Il y a 50 000 catholiques à Troyes. Je ne parle pas d'un certain nombre de pauvres gens qui sont païens. Je vous défie de trouver dix hommes qui savent très bien les choses essentielles de la religion, même pratiques. Un magistrat très pieux, très chrétien, me disait, il y a quelque temps: “Si, au moment de mourir, je n'avais pas de prêtre, est‑ce que je ne pourrais pas me confesser à ma femme?” Un magistrat, lui aussi très chrétien, et qui était président du tribunal civil d'A*** avait sa sœur à la Visitation. Il me rencontre un matin que j'allais faire le catéchisme aux pensionnaires:  “Vous devriez faire le catéchisme aussi, me dit‑il, à ceux qui sont grands et qui sont vieux. Tenez, à propos de catéchisme, je trouve, moi, qu'il y a dans la Bible quantité de choses inadmissibles et qui sont en contradiction avec la science.”
— “M. le Président, venez au catéchisme. Je vais précisément expliquer ce matin le contraire de ce que vous dites!”

Avec les sermons que l'on entend prêcher partout, ceux à qui l'on parle n'écoutent pas, ne comprennent pas: les paroles passent par-dessus leurs têtes. Les premiers Pères de l'Eglise se trouvaient dans une situation analogue à celle que nous traversons. Ils vivaient au milieu des païens et l'ignorance des gens d'aujourd'hui aurait fait rire les païens eux‑mêmes! Le lecteur à l'ambon lisait l'Evangile, puis l'évêque faisait le commentaire; il enseignait la religion au peuple avec le fait, avec la parole évangélique. Faisons comme ils faisaient. C'est la bonne méthode.

La forme de 1'homélie, du prône, plus familière, plus instructive, plus à la portée de tous, est bien préférable à celle du sermon. Un de mes professeurs de théologie qui était un grand orateur, M. Sébille, nous recommandait sans cesse cette manière de prêcher: “Vous faites un sermon”, nous disait‑il. “Si vous êtes dans une paroisse encore un peu chrétienne, c'est bien; mais si elle n'est pas foncièrement chrétienne, prenez une autre forme et votre enseignement aura du fonds, de la vie; il sera pratique et intéressant”. Remarquez bien que l'homélie n'exclut point le travail personnel et préparatoire. Il faut mettre là aussi le discours sur ses pieds. Il faut de l'ordre, des divisions, de la logique. Fénelon qui aimait beaucoup et recommandait cette méthode de prêcher insiste pour que le prédicateur fasse bien la charpente de son homélie, qu'il tire au net les propositions à développer, qu'il les approprie à l'intelligence, aux mœurs de ses auditeurs. Mais il recommande aussi de bien se garder de laisser trop sentir cette structure, cette division du discours. Il ne faut pas que la main sente les os.

Comment préparez‑vous vos homélies? Pénétrez-vous bien d'abord du fait, des paroles de l'Evangile, rendez‑vous-en compte. Voyez dans vos notes ou ailleurs ce qui peut vous aider dans l'explication que vous allez donner de l'Evangile, consultez les Pères et surtout saint Jean Chrysostome, les sermonnaires. Tâchez de trouver là quelque chose d'éloquent, de pratique. Lisez-le et rendez‑vous-en compte, tâchez d'en tirer quelque chose qui saisisse ceux à qui vous avez à vous adresser. Mêlez à cela des comparaisons, des traits, quelque chose qui ranime et réveille l'attention. Cette façon de prêcher sera d'autant mieux écoutée qu'on ne connaît pas I'Evangile. Ce que vous direz vous paraîtra rebattu; ce sera nouveau pour ceux qui vous écouteront. Jusqu'à ce jour, les gens n'avaient pas encore entendu cela ou bien ne l'avaient pas compris. L'homélie offre un très grand avantage au prédicateur. Il n'est pas lié par les règles rigoureuses du sermon. Il peut s'attacher aux pensées plus saillantes de l'Evangile, les développer. Il est appuyé en outre sur la parole de Dieu vive et efficace, cet appui aide singulièrement le prédicateur; il n'est pas seul, isolé, livré à ses propres forces.

Prenons donc volontiers l'Evangile pour base de nos prédications. Aux fêtes des saints, prenons la vie des saints, quelques faits isolés ou l'ensemble de la vie; l'esprit, les vertus du saint les plus frappantes, la générosité envers le bon Dieu. Vos notes vous serviront admirablement pour ce genre d'instructions. Vous avez une plus grande liberté dans le choix des matériaux; vous n'êtes pas tenus à une unité de sujet aussi rigoureuse; vous trouvez dans l'Evangile lui‑même une grande partie des idées que vous avez à développer. C'est un enseignement d'autant plus efficace aussi qu'il est plus à la portée et plus facilement saisissable. Vous prêchez l'enfant prodigue. J'ai entendu l’abbé Combalot prêcher deux sermons sur l'enfant prodigue: le départ et le retour. Tout le monde pleurait. Lui‑même disait: “Ces deux sermons-là m'ont rapporté plus que tout ce que j'ai prêché!” Hommes, femmes, enfants, tout le monde était touché, tout le monde se convertissait. Vous voulez montrer les miséricordes de Dieu, vous trouverez bien des textes dans l'Ecriture. Vous trouverez peut‑être aussi de belles idées. Montrez le père attendant son fils, lui ouvrant les bras; vous toucherez bien davantage; vous serez peut-être éloquents. Imitez saint Jean Chrysostome.

Evitez surtout d'imiter les auteurs des XIVe, XVe, XVIe siècles. C'est souvent un fatras de symphonies qui parle à l'oreille et ne signifie pas grand-chose. A cette époque, on faisait des livres spirituels, des livres de théologie excellents; on disait des choses délicieuses, incomparables, mais on prêchait d'une façon intolérable, même quelquefois saint Thomas d'Aquin. Les Saints Pères ont fait de très bons sermons. Puis il faut passer de là à notre saint Fondateur, au P. Lejeune et aux prédicateurs du temps de Louis XIV. Mais dans ce temps-là on ne prêchait guère d'homélies: tout le monde était instruit et savait l'Evangile. On réservait les homélies pour les gens de la campagne qui n'étaient pas assez intelligents pour comprendre les beaux sermons. Il est donc à propos de bien savoir son Evangile, de le bien comprendre. Etudiez pour cela les meilleurs commentateurs. Lisez et relisez le texte sacré. Figurez‑vous que votre auditoire ne sait rien. Ne les traitez pas comme des imbéciles, mais comme des gens qui n'ont aucune notion, ni de théologie, ni d'Ecriture sainte, ni de religion.