Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

De la prédication

Chapitre du 29 juin 1892

“Pour la préparation au sermon, il est bon qu'elle se fasse dès le soir, et que, le matin, on médite pour soi ce que l’on veut dire aux autres. La préparation faite auprès du saint sacrement a grande force” (Dir., Art XV; p. 124).

Saint Jean mourant ne savait que répéter cent fois en un quart d'heure: “Mes enfants, aimez‑vous les uns les autres”. Le bon saint Jean ennuyait bien un peu ses disciples en répétant toujours la même chose. Il ne faudra pas faire comme saint Jean tant que vous n'aurez pas son âge et sa sainteté. Il faut écrire, au commencement surtout, vos sermons d'après les enseignements et les méthodes des maîtres. Divisez bien votre instruction, comme le faisait Bourdaloue, pour vous, pour mettre de l'ordre et de la netteté dans vos idées; mais ne faites pas comme lui, en expliquant et ré-expliquant sans cesse les points de votre division à vos auditeurs; vous les feriez fuir. Préparez bien votre division pour vous; qu'elle vous serve de base et de fondement, mais n'ennuyez pas votre auditoire en accentuant et répétant cette division. Bourdaloue s'adressait à un auditoire comme vous n'en avez pas. Ce qui allait très bien aux gens de la cour du XVIIe siècle, ne convient pas au peuple d'aujourd'hui.

Faites vos instructions, vos catéchismes, avec des pensées très suivies, avec beaucoup d'ordre et de logique, avec un fonds de théologie très sérieux et nourri. Quand vous avez vos matériaux, mettez‑vous en face de votre auditoire. Quel modèle allez-vous suivre, une fois arrivé là? Ce n'est pas Bourdaloue; personne ne vous comprendrait et ne vous écouterait, sinon quelques curés ou séminaristes. Prendrez‑vous Lacordaire? Les orateurs du jour? Ils pourront parfois vous servir de modèle. Devant un auditoire intelligent, distingué, leur manière de dire aura de l'intérêt et vous fera écouter et goûter. Mais par-dessus tous, prenez pour modèle saint Jean Chrysostome. Voilà un orateur qui savait se mettre en face de son auditoire, qui ne le laissait pas seul, qui savait l'interroger, l'exciter, appeler son attention, le mettre en scène. Il prêchait sur le travail manuel, sur les bénédictions qu'il apporte, sur les malédictions de l'oisiveté et de la vanité. Il s'adresse aux dames de Constantinople qui poussaient à l'excès le luxe des belles mains: “Montrez‑moi vos mains, s'écriait‑il. Voilà une main calleuse, rugueuse, noircie; qu'est‑ce que cette main‑là? C'est la main d'un père de famille qui travaille, c'est une main sainte, c'est une main à baiser et à vénérer. Montrez‑moi votre main! Elle est blanche, effilée, parfumée, parée... Que fait‑elle cette main? Elle sert à la vanité, elle est l'instrument de l'enfer. Oh! main horrible, retirez‑vous, main de Lucifer!” Il parle de la prière: “Qui est allé au port, ce matin? dit‑il, et qu'avez‑vous vu? Vous avez vu les pécheurs qui préparaient leurs barques, les matelots qui rangeaient les marchandises sur les vaisseaux. Le départ est à telle heure, il faut que tout soit prêt pour cette heure-là. Vous aussi, vous avez un voyage à faire. Avez‑vous bien appareillé? Avez‑vous vu ce que vous pouviez embarquer, ce que vous deviez laisser sur le rivage?”

C'est ainsi que saint Jean Chrysostome prenait à partie son auditoire, s'adressait à lui, l'encourageait, le soutenait. Il faut volontiers faire comme cela dans les entretiens familiers, les catéchismes, les conférences. Et en toute occasion, parlez à votre auditoire et non pas à vous-même. C'est la réflexion que je faisais un jour à un prédicateur, qui m'en a un peu voulu depuis: “Vous devez être content de votre sermon, vous dites bien et certainement c'est pour vous surtout qu'il a été intéressant”.

Etudiez donc bien votre affaire avant de parler. Souvenez‑vous que, de ce que vous vous intéressez à votre affaire, il ne s'en suit pas pour cela que les autres s'y intéresseront. Attaquez votre auditoire. Comment? Ces choses-là s'apprennent mieux par la pratique, par l'expérience, que par les règles et préceptes. Encore une fois, je vous recommande saint Jean Chrysostome sous ce rapport. Prenez ce qu'il a dit et prêchez-le à n'importe quel auditoire, tout le monde vous écoutera, tant c'est vivant et vrai. Traduisez-le mot à mot, prêchez‑le, vous ravirez tout le monde. C'est bien là la vraie parole oratoire. Possédez bien votre sujet: ayez les principes théologiques bien nets devant vos yeux. Et adressez‑vous bien à votre auditoire. Si ce sont des jeunes gens vous ne leur parlerez pas comme vous le feriez à des jeunes filles, à des hommes, à des servantes.

Il y a une manière de dire qui convient à chaque catégorie d'auditoire, il y a une forme appropriée à la classe de personnes à qui on s'adresse et qu'il faut donner à la chose qu'on va dire: “Ce n’est pas la chose qui doit être nouvelle, mais la manière de la dire” - [“Non nova sed nove”]. C'est toujours la même chose qu'on dit à tout le monde, mais il ne faut pas le dire pareillement à tous. Vous avez à prêcher à une paroisse entière, hommes, femmes, enfants. C'est plus difficile qu'avec un auditoire spécial. Tâchez de dire des choses qui puissent convenir à tous, qui puissent intéresser tout le monde. Vous avez à prêcher à une fête patronale, n'allez pas faire un sermon vague, général, sur tel ou tel point du dogme ou de la morale. Prêchez le saint, prêchez ce qu'il y a de pratique dans sa vie, ce qui s'applique aux gens qui vous écoutent. Voyez: pourquoi, dans toutes les élections, les braves gens votent‑ils pour les gredins? Parce qu'on a su les amener là par des paroles touchantes, pratiques, des promesses séduisantes, quelque chose qui leur a été à l'esprit et au cœur.

Voulez‑vous faire œuvre de Dieu? Prenez les âmes par quelque chose qui les touche, qui leur montre que vous leur portez intérêt, par quelque chose qui aille à leur esprit et à leur cœur. Vous prêchez à des petits garçons, racontez-leur des traits de la sainte Ecriture, des histoires intéressantes des saints, beaucoup d'histoires et peu de morale. Vous prêchez à des petites filles, racontez-leur des traits de saintes, de leur âge surtout. Soutenez ainsi leur attention, faites-leur bien comprendre ce que vous leur demandez. Voyez comme Notre-Seigneur lui‑même prêche dans l'Evangile; voyez comme il s'adresse à son auditoire, le saisit, l'intéresse. Combien de questions ne pose‑t‑il pas? Voyez-le au puits de Jacob avec la Samaritaine, voyez-le racontant l'histoire du bon samaritain. La morale est courte, un mot seulement au bout de l'histoire, mais ce mot porte coup. On se rappellera l'histoire et avec elle le mot d'enseignement qui est au bout. Voyez l'histoire du semeur et de la parole de Dieu.

Dans notre préparation, servons-nous de la théologie, des sermonnaires, pour trouver les choses que nous avons à dire, mais dans la manière de les dire, gardons-nous bien de parler comme les sermonnaires et comme Bourdaloue lui‑même. Prenons‑lui sa charpente, sa logique, ses idées, mais traduisons cela en un langage à la portée de nos auditeurs. Semons ce langage de comparaisons, de traits, de choses actuelles, pratiques et appropriées à ceux qui écoutent. Voilà Bossuet: il y a chez lui des pensées, des vues admirables. Prenez ces pensées, développez‑les, mettez‑les à la portée de votre auditoire, faites-en une chose compréhensible pour tous, appropriée à leur manière de penser et de parler. Il est très bon en outre d'étudier les prédicateurs que l'on entend. En général il y a toujours quelque chose de bon et à retenir, surtout quand on a affaire à un homme de quelque valeur.

L'ancien curé de la cathédrale, M. Roizard, qui était un homme extrêmement distingué, allait à tous les sermons, même à ceux des jeunes prêtres, et il disait qu'il en tirait profit. Il prit un jour, pour les prêcher à la cathédrale, deux ou trois idées d'un sermon que j'avais prêché sur la sainte Trinité et que j'avais récolté dans quelque sermonnaire ou livre de théologie: “C’est bon, lui dis‑je, vous m'avez volé!” Et pourtant je n'étais pas prédicateur, tant s'en faut! Parmi les sermonnaires, je vous recommande le Père Lejeune. Il présente la doctrine sous des points du vue très intéressants, d'une façon originale. On voit la manière dont on peut traiter les questions. Il n'est pas à imiter en tout, mais il est très intéressant, pratique, bien qu'ayant un peu vieilli. Et par-dessus tout, je vous recommande la pratique de cet article du Directoire: faites bien les prières qui sont là, inspirez-vous bien des pensées de notre saint Fondateur, tenez‑vous bien pieux et uni à Dieu. Que chacun note ce que je viens de dire là. Conservez bien ces enseignements et que ce soit comme les enseignements du séminaire qui restent jusqu'à l'extrême vieillesse.