Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le sacrement de la confession

Chapitre du 18 mai 1892

Notre saint Fondateur recommande au confesseur de considérer bien attentivement la disposition de leur pénitent afin de le traiter selon icelle. C'est une recommandation que les théologiens ne font peut‑être pas assez souvent. Il faut se mettre bien en face de l'âme du pénitent, voir ses dispositions, ce qu'il est possible de faire avec lui, ce qu'il peut accepter, ce qu'il peut faire, son degré d'ignorance et aussi de bonne volonté et jusqu'à quel point il est à propos de tenter de l'éclairer: “Les sacrements sont pour le bien des gens”. [“Sacramenta propter homines”]. Il ne faut jamais laisser et abandonner le pénitent dans son péché, dès lors qu'il le sait et ne pèche point par ignorance et bonne foi. Il faut alors qu'il le quitte. Il faut l'exhorter; il faut lui donner les moyens, il faut s'affectionner à lui dans l'état où il est, voir quelle est au juste sa situation, s'il est faible de corps, d'esprit, de tempérament. Un médecin prudent ne donne pas de violentes médecines à une personne faible. Que le confesseur demande donc à Dieu la lumière; qu'il procède graduellement et pas à pas; qu'il voie jusqu'où il peut aller et où il doit s'arrêter. Tout cela demande une certaine expérience que les débutants ne trouveront peut‑être que bien plus tard. Le proverbe dit: “Jeune médecin, vieux confesseur”.

Il faut donc user d'une très grande prudence dans la confession des âmes et dans la direction. Il faut prendre intérêt aux âmes, ne pas regarder le ministère de la confession comme une corvée dont on se débarrasse, mais il faut désirer bien confesser. Identifiez‑vous bien avec le pénitent, afin de l'aider à sortir de ses péchés; entourez‑le de conseils paternels, affectionnez‑vous à lui, aidez-le de toute façon. Qu'il trouve en vous l'aide qui le fera sortir du bourbier, la main secourable qui ne le tirera pas violemment, qui ne lui arrachera pas les bras, qui le tirera du précipice et le mettra dans la bonne route. Ayez donc une grande prudence et éclairez‑vous bien des lumières divines par la prière. Il faut une grande prudence qui se base sur Dieu, qui s'appuie sur la charité d'abord.

L'affection que nous portons au pénitent ne doit pas s'appuyer sur des motifs humains; elle doit rester dans les limites de la charité toute spirituelle et surnaturelle. L'affection naturelle qui s'établirait entre le confesseur et son jeune pénitent, qui ferait que l'on cherche les entretiens de son pénitent, que l'on s'y complaît et s'y amuse, serait une mauvaise chose. Le lien de la charité qui doit unir l'un et l'autre doit être tout entier en Dieu et pour Dieu. Il est facile de s'éclairer à ce sujet. Examinez vos sentiments à l'égard de tel pénitent, de telle pénitente, mesurez-les, voyez l'intention qui vous fait agir et vous distinguerez tout de suite si c'est pour Dieu ou pour vous-même que vous aimez, s'il y a quelque complaisance voulue et recherchée, si l'amour propre ou la sensualité ont là leur part. Ce serait la pire des choses et la ruine des âmes. Mais si le confesseur agit en suite de prières ferventes et fréquentes; si c'est bien à l'âme de son pénitent, de sa pénitente qu'il s'intéresse; si c'est bien et uniquement pour les donner à Dieu qu'il s'affectionne à leur âme, il réussira. Jamais cette affection vraie et sainte n'ira à l'âme du pénitent sans obtenir le succès désiré.

Mettez‑vous bien en face du bon Dieu, aimez bien les âmes pour le bon Dieu, pour lui seul. Mais gardez‑vous bien de vous rechercher vous‑mêmes, d'essayer de contenter quelque petite complaisance naturelle, vous gâteriez la besogne. Apportez aux âmes une affection, un intérêt très sérieux, très réel: priez pour elles, aidez‑les, conseillez‑les et les âmes que vous aimerez ainsi resteront fidèles au bon Dieu. C'est un très grand bonheur d'avoir un bon confesseur; c'est un bonheur d'ici‑bas qui assure l'éternité. Tandis qu’au contraire, c'est quelque chose qui n'est pas bon que de se rechercher soi‑même dans la conduite des âmes. On assure sa perte et on prépare celle des autres; on leur ôte le sentiment de Dieu; on s'expose à leur faire perdre la foi; on fait un très grand mal, quelquefois irréparable.

En regard de ce triste spectacle, voyez la charité prudente qui prie, qui se dévoue et qui réussit infailliblement. Le ministère du prêtre qui confesse bien est tout puissant. Quand on a un grand nombre de personnes à confesser, on ne peut pas sans doute prier longtemps, ni donner beaucoup de peines à chacun; la fatigue physique l'emporte quelquefois. Il faut alors se tenir uni au bon Dieu et le prier de suppléer à ce que nous ne pouvons donner nous‑mêmes. La bonne Mère disait: “Quand nous faisons l'œuvre de Dieu et que nous ne pouvons plus aller, heureusement le Sauveur vient se mettre au bout”.

Entretenons‑nous de cette pensée-là pour nous réconforter, mais ne confessons pas pour confesser, pour nous débarrasser de nos pénitents. Ne disons pas: “Je ne peux pas en faire plus”. Mais disons: “Le Sauveur est avec moi. Il fait ce que je ne fais pas. Mon petit ministère personnel s'arrête là, avec mes forces, le Sauveur continue”. La confession du pénitent vaut toujours le confesseur. Si le confesseur a plénitude de grâces, il communique ces grâces à son pénitent. Il faut bien dire cela aux novices. Il faut bien faire comprendre cela aux jeunes prêtres, afin qu'ils le retiennent. L'administration du sacrement de pénitence ainsi comprise est peut‑être l'acte le plus important de notre ministère, le plus effectif dans l'Eglise. Tous les prédicateurs disent cela. Un ange, la sainte Vierge elle‑même, ne peuvent pas remettre les péchés. C'est donc un grand péril que de ne pas apprécier ce ministère si redoutable et si relevé à sa valeur, que de le faire avec routine, que de ne pas s'y préparer et s'y livrer avec de ferventes prières. Il y aurait à entrer dans bien des détails au sujet de la manière de bien confesser.

Il ne faut pas confesser les hommes comme on confesse les femmes, les jeunes gens comme les jeunes filles. Il en est de la confession comme de la prédication: un sermon pratique ne va pas à tout le monde, et tout le monde ne le comprendra pas de la même façon. Pour confesser les hommes, il faut une certaine rondeur. Il faut voir les péchés que, dans leur condition, ils ont pu commettre. Si on soupçonne qu'ils ont encore fait autre chose que ce dont ils s'accusent, on le leur demande avec discrétion et prudence. Voilà une chose qu'ils ne savent pas être péché. Ils n'auront très probablement pas assez de courage pour se soumettre, si on le leur apprend: ils s'éloigneront des sacrements. Il faut agir alors avec une extrême réserve et laisser plutôt les gens dans la bonne foi que de les mettre dans la mauvaise foi et la révolte. Dans les avis que vous donnez, les considérations que vous leur faites, choisissez des pensées, des réflexions qui leur aillent bien, qu'ils comprennent. Les hommes ne sont pas en général très forts en spiritualité.

Je voyais autrefois M. Reverchon qui était un ingénieur distingué, ancien élève de l'Ecole Polytechnique. Il me faisait sa profession de foi. Il y avait un prédicateur qu'il aimait bien. Ce n'était pas l'un des meilleurs prédicateurs de Troyes, tant s'en fallait! Mais c'était un prédicateur qui disait les choses tout simplement. Le bon M. Reverchon, qui était bien chrétien, mais qui avait travaillé à autre chose toute sa vie, ne comprenait rien du tout à la spiritualité et pas beaucoup aux choses de la religion. Il n'en savait pas plus qu'un enfant de 12 ans. “Voilà ce que mon confesseur m'a dit ce matin” me dit‑il un jour. “Je n'avais pas été bien patient et voilà son exhortation. «Vous vous impatientez, vous êtes comme une chaudière. Quand une chaudière s'impatiente, elle crache à la figure de ceux qui sont là»”. Et le brave homme était ravi de la comparaison qu'il saisissait très bien, ainsi que les inconvénients de l'impatience: “Voyez vous, l’abbé, il m'a comparé à une chaudière!” Et c'est vrai.

Quand on peut ainsi faire entrer une leçon, un enseignement, en prenant une comparaison dans quelque chose qui est à la portée de son interlocuteur, qui est dans le courant de ses idées, c'est une excellente chose, bien que cela n'ait peut‑être pas toujours une très grande portée théologique. Cela frappe, et ça reste. Un petit mot, quelque chose de court, de simple et où il faut mettre toujours beaucoup de cœur. On croit que les hommes ne sont pas sensibles, qu'ils n'ont pas de cœur: ils sont plus sensibles que les femmes à l'intérêt qu'on leur témoigne là. Mettez un peu de cœur et vous les gagnerez. Parlez-leur à propos, pas longuement et vous les soulèverez. Ils partiront avec cela et cela leur sera d'un grand profit. Mais surtout ne les retenez pas très longtemps.

Avec les jeunes gens, il ne faut pas craindre: ils sont d'ordinaire plus intelligents, plus ouverts que les hommes. On voit si on peut les spiritualiser un peu, on sent cela. Il ne faut pas craindre non plus de les éclairer. Iil faut qu'ils sachent leurs devoirs, au sujet du sixième commandement, comme pour tout le reste. Que leurs confessions soient bien entières. Mais comment faire? Faut‑il faire détailler minutieusement les péchés, entrer dans de longues explications? Ce serait du temps perdu, et cela pourrait avoir d'autres inconvénients. Tâchez d'aller assez promptement, en faisant bien tout dire, en étant bien compris et comprenant bien vous‑mêmes. Soyez courts, clairs et prenez bien garde de ne point scandaliser. Ne donnez pas beaucoup de moyens, ni de longues pénitences. Il ne faut pas vouloir dire tout ce que l'on a à dire en une fois. Vous compléterez la prochaine fois. Encouragez bien, mettez du cœur, mais pas trop. Les jeunes sont moins sensible à cela que les hommes: ils s'en fichent un peu. Enfin, prenez bien un chacun selon ses dispositions et selon ce que vous pouvez tirer de lui.

Avec les enfants, il faut les traiter bien doucement, se faire aimer d'eux, mais ne pas les gâter et être maman pour eux. Prenez garde, les petits garçons sont très susceptibles de prendre des impressions mauvaises. Ils sont portés à la sensualité. Évitez bien les moindres petites choses qui pourraient y conduire. Hier on me parlait d'un mauvais prêtre du diocèse de Lyon, qui sort de prison. Il avait été longtemps un bon prêtre, il avait établi dans sa paroisse de petites œuvres, il réunissait les enfants, les petits jeunes gens. Il fut un peu trop familier avec quelques-uns d'entre eux: il s'oublia. Puis il fut accusé, traîné devant les assises et condamné. Evitez bien toutes ces affections plus ou moins sensuelles. Quand vous sentez qu'un enfant s'attache à vous d'une façon gluante, évitez celle liaison, fuyez cette affection dans ce qu'elle a de naturel: vous perdriez cet enfant. La nature humaine est partout la même. Aussitôt que l'on sent cette inclination sensuelle, cette affection gluante, il faut couper court. L'enfant ne se prendra et ne s'attachera qu'autant que vous le voudrez. Si vous le laissez se rapprocher de vous avec ces sentiments, vous êtes perdu et lui aussi. Prenez de très grandes précautions.

Avec les femmes, il faut agir suivant leur condition. Les femmes mariées ne se confessent pas trop en général par recherche du confesseur. Elles s'amusent quelquefois à raconter de longues histoires. Soyez charitables, polis, pas malhonnêtes, même quand elles vous ennuient. Suivez, pour les questions à faire, les règles que je vous ai données. Si vous êtes dans le doute, soyez prudents et questionnez dans la mesure de ce qui est nécessaire et bon. Les conseils que vous leur donnez doivent toujours être dans l'ordre et tendre à l'amour de Dieu, du mari, des enfants. Saint Jacques dit que  “la religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste en ceci”: avoir soin de sa maison, de son mari, de ses enfants (Jc 1:27). Quand la religion d'une femme la détourne de ces devoirs qui sont les premiers pour elle, elle n'est ni pure ni sans tache. Encouragez‑les à la piété; évitez les longues conversations avec elles; évitez tout ce qui sentirait tant soit peu l'intimité.

Avec les jeunes filles, évitez d'être long, portez‑les à la piété. Imprimez en elles un grand fonds de foi surtout. En leur inspirant la foi, vous faites quelque chose de sûr. Les sentiments de dévotion ne sont pas une garantie: c'est la foi qui est la vraie garantie. En Italie, en Espagne, en France aussi, on a une grande dévotion à la sainte Vierge, au saint sacrement, et quelquefois on ne se conduit pas mieux pour cela. C'est qu'on a la foi peut‑être, mais elle n'est pas vive, agissante. C'est le sentiment qui conduit et non la foi. Mettez la foi d'abord, une foi vive et éclairée, et la dévotion à la sainte Vierge, au saint sacrement, à Notre-Seigneur, les confessions, les communions, les messes, les prières auront de sérieux résultats. En confessant les jeunes filles, il n'y a pas grand-chose à observer, si ce n'est qu'il faut éviter les questions imprudentes. Il est des jeunes filles qui vivent dans de très mauvais milieux et qui ne se doutent de rien, qui n'ont pas la science et le sentiment du mal. Prenez garde par une question imprudente de les faire réfléchir à cela, de les scandaliser, de leur apprendre le mal qu'elles ignorent. Faites vos questions volontiers d'une façon un peu générale d'abord. Demandez si l'on a eu de mauvaises pensées, de mauvaises paroles, de mauvaises conversations, des légèretés et peu à peu vous irez plus loin, plus facilement si vous sentez qu'il y a lieu.

Je recommande à vos prières la Sœur Marie-Emmanuel du Cap qui vient de mourir. C'était une personne bien édifiante. Elle est partie il y a 5 ans, elle avait 50 ans. C'était bien beau de s'en aller ainsi en mission à cet âge. Elle avait vécu longtemps en Angleterre, et c'est parce qu'elle connaissait les habitudes qu'elle avait demandé à aller là‑bas. Le bon Dieu ne l'a pas laissée travailler longtemps à cette œuvre, il s'est hâté de la récompenser.