Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Le sacrement de la confession

Chapitre du 30 mars 1892

C'est certainement un ministère bien excellent que celui de la confession, pour la sanctification des fidèles. Pie VII, à son passage à Troyes, disait au supérieur du séminaire: “Donnez-nous de bons confesseurs et l'Eglise sera sauvée”. C'est une chose excellente, tout le monde le reconnaît. Une fois, comme j'allais à Genève, je me trouvais dans la voiture avec le fils d'un des principaux ministres protestants de Berlin. Nous discutions. Il me fit des objections sur le culte de la sainte Vierge, sur celui des saints. Je le rangeais presque à mon avis. Il me fit alors l'objection de la confession. Je lui répondis: “Oui, me dit‑il enfin, c'est une excellente institution, j'en conviens, elle est admirable et d'un immense profit. C'est dommage qu'elle vienne de la main des hommes!”. Nous allions descendre de voiture, nous étions arrivés et je ne pus malheureusement continuer la conversation et lui prouver qu'elle venait, non pas des hommes, mais de Dieu.

“Les Oblats se souviendront que l’office qu’ils exercent comme confesseurs est excellent, puisqu’ils sont établis de la part de Dieu pour juger les âmes avec tant d’autorité, que les sentences qu’ils prononcent droitement en terre sont ratifiées au Ciel” (Dir., Art. XIII; p. 100-101).

“... droitement...” — Juridiquement: légitimement. Cette condition de légitimité, de droiture, est requise pour que la sentence soit ratifiée au ciel. Une sentence qui ne serait pas rendue droitement, ne serait pas non plus rendue dans le ciel, à moins que les bonnes dispositions, la bonne foi du pénitent ne le justifie. Pour absoudre légitimement, comme nous l'apprend la théologie, il faut non seulement le pouvoir d'ordre mais encore le pouvoir de juridiction.

“Ils se représenteront que leurs bouches sont les canaux par lesquels la paix coule du ciel en terre sur les hommes de bonne volonté; que leurs voix sont les trompettes du grand Jésus, qui renversent les murailles de l’iniquité, qui est la mystique Jéricho” (Dir., Art. XIII; p. 101).

Il faut bien penser à cela, que nos paroles au saint tribunal doivent apporter la paix à l'âme, et en même temps, non pas le trouble, mais le crainte de Dieu, afin d'empêcher le pécheur de retomber dans ses fautes et de lui inspirer une crainte salutaire des jugements de Dieu, des dangers à éviter, des périls que peut courir son âme. Il y a donc là un double devoir qui s'impose au confesseur. C'est donc un bonheur très grand, comme le dit notre saint Fondateur, qui nous est fait là. C'est un pouvoir qui n'a pas été donné aux anges du ciel, que celui de pardonner les péchés. La conséquence qu'il faut en tirer, c'est qu'il faut s'appliquer avec un très grand soin à un ministère aussi excellent, c'est qu'il faut confesser droitement et utilement les âmes, c'est qu'il faut accompagner le travail de la confession de prières, d'études théologiques attentives, c'est qu'il ne faut jamais se hasarder, s'écarter surtout des lignes que marque la théologie.

C'est un pouvoir que nous ne tenons de personne ici-bas, mais seulement de Dieu et de la sainte Eglise, qui limite notre pouvoir, qui en fixe les bornes et l'étendue. Chacun doit savoir avant de confesser ce qu'il a à faire et ce qu'il peut faire. Il doit étudier à ce sujet, se rendre bien compte et surtout se sanctifier lui‑même pour sanctifier les autres. Le ministère de la confession exige de grandes connaissances théologiques. Il faut encore confesser et diriger suivant les doctrines établies et autorisées, suivant les doctrines de la Congrégation. Tout ce que la théologie donne comme défendu, évidemment est défendu. Quant aux moyens que propose la théologie, la prière, la fuite des occasions, c'est encore très bien. Il faut s'y conformer fidèlement.

En dehors de ces grandes lignes, il y a encore bien de la marge, il y a bien des manières d'appliquer les conseils et les enseignements de la théologie dans la pratique. Parce qu'on a fait beaucoup de théologie, il ne faut pas croire qu'on soit pour cela un bon confesseur. Un bon médecin n'est pas celui qui sait le nom des remèdes à appliquer, mais celui qui sait reconnaître la maladie et appliquer précisément le remède qu'il faut. Il faut consulter quand on n'est pas sûr. Il ne faut pas tailler et trancher. Il faut s'assurer qu'on est dans la vérité et dans la sagesse. On sera en sûreté toutes les fois qu'on suivra les manières de faire, la direction, la ligne de conduite de l'Institut. L'Institut est approuvé par l'Eglise, il a grâce d'état pour bien appliquer les principes théologiques suivant la science et la sagesse.

Ces principes théologiques, les comprend‑on bien? Devra‑t‑on les appliquer avec rigueur ou avec douceur? Ce qu'il y a de plus mauvais au monde, c'est un jeune théologien, qui s'entête sur ce qu'il a lu ou cru lire dans ses livres, qui se fait sur toutes choses sa doctrine tranchée et arrêtée, et qui ne doute jamais. C'est là un danger très grand. Il faut suivre la direction donnée par la Congrégation, par le supérieur. Que chacun ne soit pas son docteur à lui‑même, mais qu'il suive la doctrine de l'Institut, qui a grâce d'état pour donner une direction. Notre Institut doit s'attacher à suivre en tout la doctrine de saint François de Sales, à appliquer ses principes théologiques. Nous avons beaucoup de grâces à rendre au bon Dieu que la théologie de saint François de Sales soit ainsi un chemin aplani et assuré. En suivant cette doctrine, on est sûr d'arriver à bon port. Plus heureux que beaucoup d'autres, nous n'avons, nous, qu'un théologien, celui que Pie IX appelait le Docteur infaillible. En nous attachant à lui, nous n'aurons pas à chercher à droite et à gauche. Que nos confesseurs se pénètrent bien de la doctrine de notre saint Fondateur, de l'interprétation qu'il convient de lui donner. Certains interprètes verront tout le contraire de ce que nous aurons vu, un certain nombre de prêtres, et de très bons prêtres, mettent complètement à côté, quand ils parlent de saint François de Sales, en maintes circonstances. Comprenons saint François de Sales comme le comprend la Congrégation et nous n'avons rien à craindre, rien à redouter. C'est un grand bienfait de Dieu, mes amis, de pouvoir être ainsi sûr de sa doctrine.

“Ils auront une grande netteté et pureté de conscience, puis qu’ils prétendent de nettoyer et purger celle des autres, afin que l’ancien proverbe ne leur serve de reproche: Médecin, guéris-toi toi-même; et le dire de l’Apôtre: En ce que tu juges les autres, tu te condamnes toi-même. Etant donc appelés pour confesser, ils devront exciter en eux la sainte contrition” (Dir., Art. XIII; p. 102-103).

La première chose à faire, quand on va remettre les péchés aux autres, c'est de se purifier des siens propres. Nous allons recevoir les confidences d'âmes qui valent mieux que nous, qui sont plus innocentes et plus pures que nous. Purifions donc bien à l'avance nos âmes par la contrition. Tenons‑nous bien humbles aux pieds du bon Dieu. Notre parole est le canal par où va passer la parole de Dieu. L'eau ne peut pas passer pure et limpide par un canal bourbeux et plein de fanges et de détritus. L'eau alors se charge des miasmes renfermés dans le lit du canal.

“Ils auront un ardent désir du salut des âmes, et particulièrement de celles qui se présentent à la pénitence, priant Dieu qu’il lui plaise de coopérer à leur conversion et avancement spirituel” (Dir., Art. XIII; p. 103).

Il faut avoir ce zèle du salut des âmes, ce désir de leur pureté, de leur sanctification, de leur avancement dans l'amour du bon Dieu et y attacher une très grande importance. Faisons d'abord nous-mêmes ce que nous pouvons faire, prions pour nos pénitents et pénitentes, faisons pénitence avec eux et pour eux. Je dirai des pénitents ce que je dirai des élèves. Un professeur a sa classe à cœur , il se mêle à eux, il s'intéresse à tout ce qui les touche, il les suit, il réussit avec eux. Faites votre classe vaille que vaille et vos élèves ne profiteront pas. Il en est de même pour la confession.

“Ils prendront garde surtout de ne pas user de paroles trop rudes à l’égard des pénitents. Dieu ne veut pas cela; il se plaint que nos humeurs trop sévères rendent ses autels déserts et ses sacrifices sans victimes. Parce que vous commandiez avec sévérité, dit l’Esprit-Saint parlant à nous autres prêtres, que vous parliez en maîtres absolus, mes pauvres brebis ont pris la fuite. Dans la loi de grâce, il n’y a que douceur” (Dir., Art. XIII; p. 103-104).

A cette époque-là, quand notre saint Fondateur écrivait cela, tout le monde se confessait et les confesseurs avaient quelquefois des paroles bien dures, bien amères. Aujourd'hui on est moins sujet à tomber dans ce défaut. Volontiers aujourd'hui le prêtre serait obligé de se mettre aux pieds de son pénitent, pour lui inspirer la confiance, le courage dont il a besoin pour faire l'aveu de ses fautes, pour procurer l'intégrité de sa confession. C'est un ministère plutôt de charité que d'autorité. Au moins avec les enfants, souvenons‑nous de cette recommandation de saint François de Sales, avec les personnes craintives et faibles, dans les pays de foi où tout le monde encore se confesse. N'abusons pas de notre autorité, ne rudoyons jamais, nous irions contre le sentiment de notre saint Fondateur. Il faut bien aimer les âmes. C'est une condition indispensable et absolue pour réussir auprès d'elles. Mais il ne faut aimer que les âmes. Il faut aimer extrêmement ses pénitents, ses pénitentes, c’est-à-dire leur être entièrement dévoué devant Dieu et pour Dieu, prendre un extrême intérêt à l'union de leur âme à Dieu; en dehors de cette affection exclusivement pour Dieu, toute autre serait excessivement dangereuse et mauvaise.  Un médecin venait autrefois se confesser à moi: “Quand j'ai passé mes examens, me disait‑il, j'ai fait une promesse au bon Dieu, celle de ne jamais m'attacher aux malades que je soignerai, et je m'en suis très bien trouvé, parce qu'un médecin qui s'attache à ses malades n'est pas un médecin, c'est un chien”. Le mot de ce médecin m'a toujours beaucoup frappé. Il redoutait le danger qu'il y a de s'attacher aux femmes, de se les attacher pendant qu'on leur donne ses soins. Il a tenu parole. Ce n'était pas un mauvais médecin, bien au contraire; et cela ne l'empêchait pas de bien aimer ses malades et de les soigner avec tout son dévouement. Notre saint Fondateur nous donne la mesure de l'affection que nous devons porter à nos pénitents, c'est la mesure de leur misère, de leur culpabilité, de leur stupidité. Voyez comme tous ceux qui ont traité de la préparation à la confession recommandent au pénitent d'appeler le confesseur: “Mon père”. Il faut être père, mais,comme nous le faisait remarquer au séminaire M. Chevalier, il faut être père et non pas être mère.

“Ils auront la prudence d'un médecin, puis qu’aussi les péchés sont les maladies et blessures spirituelles; et, demandant à Dieu ses lumières, ils considéreront attentivement la disposition de leur pénitent, pour le traiter selon icelle” (Dir., Art. XIII; p. 106-107).

Si la charité est une vertu bien essentielle au confesseur, la prudence ne l'est pas moins. Le défaut de charité peut quelquefois éloigner le pécheur, mais le défaut de prudence peut amener bien d'autres périls. Il peut dérouter complètement et même perdre les âmes. Il faut que le confesseur soit très prudent dans les interrogations qu'il fait, dans les conseils qu'il donne. En ce qui concerne les interrogations, suivez bien la direction qui vous est donnée, ce que j'appellerai la doctrine de l'Institut. Usons d'une prudence extrême dans nos interrogations. Interrogeons quand il le faut, autant qu'il le faut, mais en prenant grand soin de ne point scandaliser personne, de ne point donner l'idée du mal à ceux qui ne l'ont point ou qui ne l'ont plus. Et surtout, en ce qui concerne certaines matières délicates, soyons fidèles à ce principe de théologie que, à moins que l'on ne soit mis positivement en demeure d'instruire, il faut laisser dans la bonne foi une âme qui, étant instruite, au lieu d'un péché matériel ferait certainement un péché formel. Le cardinal Gousset me le répétait souvent. Quand on veut prendre son livre de théologie et qu'on veut appliquer strictement à tous les cas les principes, sans tenir compte de l'ignorance, de la bonne foi, de la faiblesse, d'une foule de circonstances, on fait de grosses sottises et on empêche quelquefois les âmes de se sauver.

Quelques uns ont fait grand bruit de certaines réponses de Rome concernant les interrogations à faire sur certaines matières. Ces réponses sont très justes et rationnelles, mais elles n'infirment en rien le principe de théologie dont nous parlions tout à l'heure. Il faut interroger, quand on a lieu d'interroger, mais il faut interroger sagement et discrètement; quand on n'est pas positivement mis en demeure d'instruire — ce qui peut parfaitement se rencontrer — il faut savoir respecter la bonne foi du pénitent ou de la pénitente, quand on a des craintes fondées que les conséquences d'une interrogation trop claire seraient funestes. Il ne faut pas attaquer la conduite de tels ou tels confesseurs qui croient nécessaire et bon de questionner à outrance, d'instruire à tout propos, à tort et à travers. Laissons les autres faire comme ils l'entendront, et nous, gardons notre réserve.

C'est une chose que je vous défends absolument: c'est une chose mauvaise que de se mêler, dans le ministère de la confession, de ce qui ne nous regarde pas, que de poser des interrogations sur la vie privée et les choses du ménage, que de tâcher de diriger un intérieur, une famille à son goût, à sa fantaisie. En dehors des conseils dont a réellement besoin la personne qui se confesse, il ne faut jamais s'ingérer dans une direction qui n'est plus celle de la conscience. Il ne faut pas que le confesseur prenne 1'autorité du mari ou celle du père par rapport à sa femme et aux enfants. C'est un acte insensé, c'est contraire à toutes les règles de la sagesse et de la prudence. On vient vous dire ses péchés, on vient vous demander l'absolution de ses péchés et les moyens de les éviter, de pratiquer les vertus et d'être fidèle à tous ses devoirs. Nous n'avons rien à faire, rien à dire, dans la confession en dehors de là. Observez bien ces règles-là, et les confessions que vous entendrez auront un effet très excellent, non seulement pour vos pénitents, mais encore pour vous, le confesseur. Le vénérable M. Bourbonne, l'aumônier du Monastère de la Visitation de Paris, qui était véritablement un grand saint, avait puisé au confessionnal un de ses grands moyens de sanctification. Il pratiquait la mortification pour donner des âmes au bon Dieu, et il a réussi à bien diriger vers Dieu un très grand nombre d'âmes dans la vie religieuse et dans le monde. Et lui‑même était devenu vraiment un apôtre et un saint.