Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

La théologie en latin

Chapitre du 27 mai 1891

Aujourd'hui nous ferons un peu comme si nous étions en chapitre général, et nous traiterons une question importante, capitale. On nous accuse de ne pas faire de théologie et par conséquent de n'être pas savants. Je ne sais pas jusqu'à quel point cette accusation est fondée. Je crois que si chacun de nos Pères n'a pas fait sa théologie en suivant en règle et pas à pas chaque question, comme au séminaire, chacun d'eux néanmoins est arrivé à la somme des connaissances théologiques nécessaires.

Cela ne m'irait pas que personnellement on m'adressât ce reproche; cela m'aurait révolté bien fort qu'au séminaire on m'eût dit que je n'étais pas théologien. On ne me l'a pas dit, puisqu'à vingt trois ans et demi j'étais prêtre, et que cinq à six jours après mon ordination sacerdotale un de mes professeurs de théologie vint me dire: “Je vais vous céder ma chaire. Je serai là, vous n'aurez rien à craindre, je vous aiderai”. Je refusai. Mais cela prouve que j'avais au moins des dispositions pour la théologie. Je ne souffrirai jamais dans la Congrégation un prêtre ne sachant rien ou ne sachant pas assez. Mais que la Congrégation elle-même passe pour ne pas savoir sa théologie, c'est ce que je ne souffrirai pas non plus, et ce qui non plus n'est pas à propos. Il est donc bien nécessaire que nous prenions un moyen pour que tout le monde sache sa théologie, et la sache bien.

Dans le temps déjà on nous accusait de ne pas faire de théologie. Or tous les élèves que nous avons présentés à l'examen de l'évêché ont parfaitement réussi. Il y en a un que je ne voulais pas laisser ordonner, M. J[ouaux], parce que je croyais qu'il ne savait pas assez de théologie. Monseigneur à qui j'en parlais me dit: “Je vais l’examiner moi-même”. Après l’examen, Monseigneur me dit: “Pourquoi ne voulez-vous pas le laisser ordonner? Il sait plus de théologie que les élèves de mon grand séminaire”. Le Père Rollin a subi son examen à Troyes, devant M. Vosdey, le Père Rolland aussi, et il y a quelques jours encore M. Vosdey rappelait ces examens qui lui avaient fait impression. “Ils n'étaient pas si mauvais que cela”, disait-il. “Ce n'est pas encore demain qu'ils auront cela partout!” Ce sont ses propres termes.

Entretenons ces traditions-là. Il est bien certain que pendant le noviciat on ne peut pas faire sa théologie en règle, pendant 8 ou 9 mois de l'année, comme dans un séminaire. Nous n'en avons ni le temps ni les moyens. Nous n'avons pas de scolasticat proprement dit, attendu que la vie des Oblats doit être une vie de dévouement, d'union au bon Dieu, de soumission à l'esprit de la Règle, à l'esprit de saint François de Sales. Un scolasticat est très bon pour former des docteurs, mais pas bon pour former des Oblats. L'étude exclusive, ex professo, de la théologie, ne porte pas à l'esprit religieux, tel que nous devons l'avoir. Cela pousse à l'esprit personnel, à avoir des idées arrêtées, sur tel ou tel point. Un religieux théologien de profession, est souvent un religieux à qui il manque quelque chose.

Nous suivrons un système contraire. En arrivant chez nous, on commencera sa théologie si on ne l'a pas encore commencée, et on la continuera tous les jours de sa vie: de la sorte on la saura. Et ce sera, je crois pour nous la vraie méthode. La vie d'Oblat est une vie de détails, une vie pratique, raisonnable, basée sur l'observance du Directoire. Il faut que l'Oblat soit à la hauteur de toutes les tâches et de toutes les missions, il faut qu'il accepte tout, qu'il soit propre à tout faire. Il lui faut donc une grande somme de vertus et de connaissances.

Nous allons vous donner le moyen d'acquérir ces connaissances en vous exerçant à la pratique de ces vertus, le moyen de bien faire votre théologie. On commencera donc de faire de la théologie en arrivant chez nous et l'on continuera toujours. Pour les Frères, il y aura un catéchisme détaillé, et tous les jours ils y feront leur lecture. Voilà le Père Léon, à l'Orange, qui fait le catéchisme. Les hommes, les femmes, les enfants viennent pour l'entendre. Les autres frères eux aussi pourront être appelés à rendre des services analogues. Il faut donc qu'eux aussi étudient la théologie qui est à leur portée. Ils la sauront parce qu'ils étudieront eux aussi petit à petit. C’est petit à petit que tous nous acquerrons la somme de vertus et de sciences qui nous sont nécessaires. Nous ne marchons pas par efforts violents. Voilà pourquoi nous ne faisons pas de retraite de 30 jours. Vu les tempéraments actuels, ces efforts violents peuvent devenir dangereux. Si vous tendez trop la corde, vous courez risque de la faire casser. Quand on agit ainsi, on court risque d'agir plutôt sur l'imagination et sur l'esprit que sur le fond et sur la vie elle-même. Notre vie à nous est un médium sage, bien établi, rationnel. Dans ces conditions, les sujets qui nous arrivent sont plus aptes à se perfectionner. Ils ne sont pas surchauffés, surmenés; ils vont petit à petit, ils gagnent peu à peu, et arrivent bientôt à avoir le suffisant, le surabondant même.

J'ai reçu à Rome, au sujet de cette manière de faire, des instructions très particulières. Quand j'ai été à la Propagande présenter nos Règles:  “Qu'est-ce que vous voulez”, nous a-t-on dit; “que pensez-vous faire de nouveau?”
— “Mais nous pensons nous fixer entièrement dans la doctrine et l'esprit de saint François de Sales”.

— “Vous ne venez pas nous faire approuver la doctrine de saint François de Sales? Que voulez-vous faire avec vos Oblats? Ne nous mettez pas l'autorité de saint François de Sales en avant. C'est vous et non pas lui que nous voulons examiner. Dites-nous ce que vous voulez faire. Si cela nous convient, c'est bon, sinon non”.

J'ai parlé longuement de nos projets au secrétaire de la Propagande. Il a été bien bon pour moi; il m'a dit des choses bien sensées et bien éclairées. Malheureusement pour nous il est mort depuis. Il avait comme une dévotion extrême à la bonne Mère Marie de Sales. “Mon bon Père, me disait‑il encore la dernière fois que je l'ai vu, vous ne vous doutez pas de l'action qu'exercera la Mère Marie de Sales dans l'Eglise. La portée de cette action sera immense”.

Nous ne sommes pas des Dominicains, des Capucins, des Jésuites; nous sommes des Oblats. Nos études, les connaissances que nous acquérons, notre science doivent s'obtenir par un moyen spécial. Ce moyen c'est celui que je viens vous dire aujourd'hui. Nous ne ferons pas nos études d'une façon concentrée, absolument et successivement suivie. Les circonstances ne nous le permettent pas. Et si elles nous le permettaient, nous ne devrions pas le faire. Nous étudierons graduellement, insensiblement, nous nous environnerons de l'étude toute notre vie. Nous ne dirons pas: “A telle époque finit mon étude, je vais passer à autre chose”. Ceci posé, il faut que nous nous y mettions tous.

Il est très nécessaire de faire sa théologie à fond. Le cours élémentaire de théologie pour nos Pères durera trois ans. Pendant ces trois premières années, on fera de la théologie élémentaire scolastique. On s'arrangera de manière à donner à tout le monde la facilité de suivre ce cours et ces leçons. Puis on continuera ces études théologiques à un point de vue spécial, au point de vue de la prédication, de la direction des âmes, et cela toute notre vie. Celui qui sera chargé de la direction de cet enseignement théologique donnera des questions à remplir par écrit. Tout le monde commencera par la théologie élémentaire qui durera trois ans. Puis on recommencera avec la théologie spéciale. De la sorte toute la Congrégation travaillera aux mêmes traités, les uns d'une manière, les autres d'une autre. Pendant que les uns étudieront l'a, b, c, les autres appliqueront les mêmes doctrines et les mêmes principes aux exigences du saint ministère, à tel ou tel point de vue spécial.

Ces questions seront traitées par tout le monde; chacun aura son cahier de théologie. Les missionnaires feront cela comme les autres; personne ne sera exempt. Si l'on n'a pas le temps de faire une longue rédaction, on la fera courte. Elle sera proportionnée aux loisirs de chacun, Tout le monde donc fera de la théologie et en fera toute sa vie.

Combien de temps donnera-t-on à cette étude? C'est à chacun de voir, de juger et de faire décider par l'obéissance. Mais chacun fera son possible. Je m'y astreindrai moi-même comme les autres, et moi aussi j'aurai mon cahier de théologie. Nos Constitutions marquent qu'il y aura des conférences théologiques toutes les semaines. Elles ordonnent donc le travail théologique in radice. Comme il ne nous est guère possible de faire ces conférences pour le moment, notre travail théologique personnel y suppléera. Il n'y aura donc aucune exemption. Les Frères y seront astreints comme les autres. Pourquoi écrire? Parce qu'en fait d'études, je ne crois guère qu'à ce que l'on a écrit. Il faut une preuve matérielle de travail. Tout le monde aura donc son cahier, depuis le maître des novices, et depuis moi, qui suis pourtant bien vieux pour retourner en classe.