Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

L’union avec Dieu

Chapitre du 10 décembre 1890

Nous prendrons cette année l'explication du Directoire.

“Que toute leur vie et exercice soit pour s'unir avec Dieu, pour aider par prières et par bons exemples la sainte Eglise, et le salut du prochain; et pour ce, ils ne doivent rien tant désirer que d’être tellement vertueux, que leur bonne odeur en agréant à Dieu, se répande dans les coeurs des fidèles: ce désir a fait écrire au commencement du Livre de leur Profession, ces trois souhaits: (Dir., Art. 1er; p. 9).

Nous sommes revenus bien des fois sur ce principe fondamental; on n'y peut jamais trop revenir. Pour être Oblat, il faut être un homme intérieur; le zèle ne suffirait pas. Le zèle peut être inspiré par l'amour de Dieu; mais il peut être tout aussi bien le résultat du tempérament. Nous devons avant tout trouver le bon Dieu, chercher à nous unir à lui et trouver en lui ce qui nous est nécessaire. Saint François de Sales ne fait pas comme les autres maîtres de la vie spirituelle, qui donnent des exercices afin qu'on s'unisse à Dieu. Cette méthode est bonne; elle est généralement répandue. L'homme qui est “matériel” dompte sa nature, ses inclinations, et par là il mérite d'être uni à Dieu. Saint François de Sales commence par là, par unir l'homme à Dieu, et tous les actes qui suivent sont sanctifiés par cette union.

Non seulement les ordres pénitents mais tous les ordres religieux en général exercent les novices dans la mortification, dans l'humilité. Assurément ceux qui ont entrepris de réformer l'homme par ces moyens ont fait preuve de sagesse; ils ont réussi dans leur œuvre. Seulement ce martelage-là est susceptible de se déformer. Quand on a trop donné la suprématie aux moyens extérieurs, les moyens extérieurs aussi démolissent cet état‑là. Dans les ordres austères, il y a de grandes tentations, de grands dangers; il faut une vertu très grande pour les supporter. Dans les ordres où l'on mortifie davantage l'amour‑propre, où on l'assouplit à la Règle, avec le plus de rigueur, il y a cela à craindre, le danger d'une chute d'autant plus forte qu'on a tendu le ressort avec plus de violence. Les trois quarts du temps, après les retraites de 30 jours, on a des tentations terribles. Je ne dis aucun mal de cette manière de faire; j'en parle en philosophe qui cherche la meilleure manière, la plus facile de faire son salut et la volonté de Dieu. Je ne dirai pas qu'une méthode paraisse plus habile que l'autre: il n'y a pas d'habileté devant le Seigneur. L'Esprit souffle où il veut, quand il veut.

Il faut que chacun suive sa voie sans faire des comparaisons avec d'autres. Mais je puis bien dire que la méthode de saint François de Sales ne produit jamais de mal, si elle ne produit pas toujours un bien aussi éclatant que l'autre. Quand on combat, il y a victoire ou défaite; et c'est une loi physique que quand l'arc tendu, resserré violemment, se détend, il blesse, il estropie d'autant plus gravement qu'il y a eu détente plus forte. Il faut dire encore que, vu l'état des esprits, l'éducation moderne, la diminution de la foi, ces moyens forts, énergiques, ne peuvent pas être généralement employés. La volonté fait défaut, les sens sont émoussés. Concluons qu'il faut que chacun reste dans son état; que les Oblats s'humilient beaucoup, eux qui ne font rien, auprès des autres qui font tant de mortifications.

Je voyais l'autre jour un Capucin, le Père d’Arbois; il n'a point de bas; il va pieds nus avec ses sandales. Je lui disais de bien prier pour nous qui portons bas et souliers. Cette vie est bien méritoire; nous ne souffrons pas tant en un mois qu'un Capucin en une heure. Rendons-nous donc plus fidèles à la pratique exacte de nos Règles, pour l'intérieur et pour l'extérieur. Nous nous unissons à Dieu par la direction d'intention. Nous devons tout faire avec Dieu, nous ne devons vivre, aspirer ni respirer que pour lui. C'est là le grand principe de saint François de Sales. Appuyés sur Dieu, nous devenons capables de supporter toutes les épreuves, toutes les mortifications. Remarquez bien combien cet esprit convient au moment où nous sommes, où les pratiques extérieures ne peuvent pas trop s'afficher; nous ferons d'autant plus impression au milieu d'un monde qui ne comprend plus rien, que nous nous tiendrons d'autant plus humbles, petits, menant une vie plus vulgaire. Il faut que l'union au bon Dieu devienne une habitude en nous; cette union s'opérera par le Directoire, par la direction d'intention, par la pensée de la mort, par les aspirations fréquentes à Dieu. Par là nous sommes constitués dans un état de prière. Il est bien, de temps à autre, que nous offrions au bon Dieu ces aspirations, ces recours vers lui , nos actions elles‑mêmes pour la sainte Eglise, pour le Pape.

Nous devons aider la sainte Eglise par nos bons exemples, nos travaux et nos prières. L'Eglise est la société des fidèles sur la terre; elle ne peut produire de bien qu'étant en nombre et en force. Il est bien certain qu'aujourd'hui c'est le règne de Satan. Chez les Zoulous, il n'y a pas d'autre culte que le culte maçonnique. Le Japon quitte le Bouddhisme pour se faire franc‑maçon, et la Franc-maçonnerie est le culte du diable. Il faut nous encourager à aider la sainte Eglise dans ces temps difficiles et calamiteux. Aider par nos prières la sainte Eglise de Dieu, voilà notre code, notre point de départ. Songeons à cela dans notre bréviaire, dans notre oraison. Aidons‑nous et soutenons‑nous par ces pensées. Nous devons l'aider encore par nos bons exemples. Il faut qu'un Oblat porte la bonne odeur de Jésus-Christ partout où il passe; sans qu'il montre rien d'extraordinaire, il faut qu'il laisse quelque chose de bon, qui augmente la foi, l'amour pour Notre-Seigneur. Il faut qu'il soit la continuation de Notre-Seigneur, et qu'il passe au milieu des hommes, en faisant l'office de Notre-Seigneur lui‑même. “On verra le Sauveur marcher sur la terre”, disait la bonne Mère.

Le bon exemple rapprochera des voies du salut ceux qui seront sur notre chemin. Il y en a beaucoup qui s'égarent loin des voies du salut. Voyez les efforts que l'on fait contre les enfants, contre les vieillards, contre les malades. On leur retranche les secours religieux, on leur enlève les moyens de salut. De temps à autre relisons ces premières lignes de notre Directoire. Faisons notre oraison là‑dessus. Interrogeons‑nous, demandons-nous pourquoi nous sommes venus. Je suis venu pour sauver les âmes ; tant d'âmes se perdent! Comment les sauverai‑je? En faisant la classe, en maniant le rabot, en souffrant du froid. Remarquez bien que c'est là notre besogne. “Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer des ouvriers à sa moisson” (Mt 9:38).  Le bon Dieu veut que ce soient les apôtres qui prient. Il demande que ce soient ceux qui ont la charge de sauver les autres qui obtiennent pour les autres. C'est à eux à faire et à demander. Voilà pourquoi le bon Dieu attache de grandes grâces à la personne du prêtre, à son immixtion dans les choses du monde. Le prêtre porte la grâce avec lui, il la donne . Voyez même pour les Saints; en général les Congrégations, les ordres religieux les plus favorisés de saints sont les Instituts de prêtres. Dans les Instituts laïques , le ministère est bien moins complet et moins efficace; il est bien plus difficile de réaliser le programme, de continuer Notre-Seigneur. Méditons ces quelques lignes de notre Directoire pendant cet Avent. Nous nous les rappellerons dans l'oraison; nous nous mesurerons nous‑mêmes à cette règle, à cette jauge‑là. Il est extrêmement important, à l'heure actuelle, d'apporter à l'Eglise une vie religieuse qui, bien pratiquée, est le remède des maux présents, et l'aidera efficacement dans sa lutte contre l'enfer et pour le salut de ses enfants.