Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Les communications avec le dehors et les voyages

Chapitre du 16 juillet 1890

“On n'entretiendra aucun commerce de lettres avec les étrangers, sans permission expresse, et sans avoir mis le supérieur au courant de cette correspondance” (Const., Art. XXII:5; p. 80-81).

Nos correspondances doivent être des lettres de direction ou d'affaires. Quant aux lettres simplement amicales, il faut en être sobre. Elles ne sont pas défendues sans doute, mais en général limitons-les à nos frères en religion. Les relations amicales du dehors nous font parfois courir le risque de ne pas bien rester dans notre vocation. Entretenons l'amitié quand elle est bonne, utile pour le prochain; mais jamais ne gardons d'amitié qui serait une entrave à notre vocation, qui nous détournerait de la communauté, qui deviendrait par là pour nous un péril certain.

“On évitera soigneusement de tenir les étrangers au courant de ce qui se passe dans la maison, tant pour l'administration que pour les détails de la direction. On pourra leur dire néanmoins ce qui sera de nature à les édifier, et à les porter au respect des choses saintes et à l’amour de Dieu” (Const., Art. XXII:6; p. 81).

Cette recommandation est bien importante, surtout pour ceux de nos Pères qui vont remplacer des curés, ou vont prêcher. Il est fort à propos d'être alors très discret, et de ne dire que des choses qui puissent édifier. Il ne faut pas vouloir tenir des étrangers, quels qu'ils soient, au courant des choses de la maison, de l'administration. L'administration doit être un peu comme la Providence, qui agit sans rendre compte. Une Congrégation n'est pas quelque chose de parfait; il y a toujours des défauts. Les supérieurs évidemment ont leurs défauts. L'humanité est toujours l'humanité, elle a toujours des défauts. Et quand il y a beaucoup d'humanités réunies, il s'y rencontre encore beaucoup plus de défauts. Traitez toujours bien votre Congrégation devant les étrangers. Agir autrement serait une injustice: vous vous abaisseriez vous-mêmes; vous montreriez que vous n'avez ni jugement ni cœur. Vous pouvez sans doute parler de la Congrégation, et dire des choses qui intéresseront; mais évitez bien de mettre les étrangers au courant de la direction, des choses du noviciat, de la nourriture, des rapports des supérieurs aux inférieurs, de ceux des inférieurs les uns avec les autres, à moins que ce ne soient des choses édifiantes. Ne racontez pas des histoires d'élèves ou de Pères, à moins que ce ne soit quelque chose d'édifiant, de raisonnable, d'intéressant au point de vue de l'esprit et du cœur, et toujours dans les limites de la charité et de la discrétion.

Voyez toutes les grandes Congrégations; voyez les Pères Jésuites, toujours ils disent du bien de leur Institut, de leurs collèges, de celui‑ci, de celui‑là. Rien ne porte une atteinte plus mortelle à la vocation, et aussi à la vitalité d'un Institut, que le défaut de charité religieuse envers sa communauté: cela empêche radicalement cette communauté de prendre de l'extension. Grâce à Dieu nous n'avons pas cela parmi nous; mais il faut prendre garde que cela n'arrive pas plus tard; c'est un défaut de jugement. Avec un peu d'humilité et d'esprit de pénitence on se tient en garde contre ce triste défaut. Mais quand un religieux va se décharger de ses peines ou qu'il va se venger de cette façon-là, c'est bien misérable. Toutes les fois qu'on est employé à quelque chose, ce quelque chose est bon, nous devons nous y affectionner de tout notre cœur. Devant les étrangers , présentez‑le donc comme bon; cela est tout à fait dans l'ordre; c'est de la bonne éducation, c'est le bon genre.

On vous respectera , on ne songera pas à vous attaquer. Pratiquez donc bien exactement ce point des Constitutions. Dans les Congrégations et les ordres Religieux, on est très sévère pour cela. Quand quelque religieux a répété ce qui s'était dit au chapitre, il en est exclu pour un an; s'il y a récidive, il en est exclu pour toujours; il ne fait par là-même plus partie de la communauté. Vous savez quelque chose de bon, d'édifiant, d'intéressant; vous le mêlez à la conversation, c'est d'un bon effet; cela fait du bien.

“On s'efforcera de suivre les règles tracées par notre Bienheureux Père saint François de Sales, dans la conversation avec les étrangers où il donne la manière de s’entretenir avec toutes les personnes, suivant leurs qualités et dispositions. (Règlement de Padoue.)” (Const., Art. XXII:7; p. 81-82).

Il est bien à propos de relire de temps à autre ce Règlement de Padoue si plein de sagesse et de prudence. On ne comprend pas qu'un étudiant, un jeune homme de vingt ans ait pu se tracer à lui-même des règles si sûres et si complètes. Il serait peut‑être bon qu'on tirât de ce Règlement de Padoue un certain nombre d'exemplaires autographes.

“Quand le supérieur adjoindra un oblat à un autre pour l'accompagner, celui qui l'accompagnera cèdera toujours le pas à l'autre et le laissera parler” (Const., Art. XXII:8; p. 82).

Le socius doit bien se rappeler ce point des Constitutions, quand même il serait par sa charge, au-dessus de celui qu'il accompagne. Il doit lui céder le pas, puisqu'il n'a pas d'autre mission à remplir là que d'accompagner.

“Personne ne demandera à communiquer avec les étrangers ni à sortir sans dire au supérieur avec quelles personnes et pour quel motif il désire le faire. De retour à la maison, on lui rendra compte, s’il le juge convenable, de ce que l’on aura fait” (Const., Art. XXII:9; p. 82).

En général il faut demander permission, excepté pour les choses de son emploi quand c'est nécessaire, et qu'on sort toujours à heure fixe. Prévenez toujours en-dehors de là ; ne sortez jamais sans permission du supérieur ou de celui qui le remplace. C'est cet assujettissement qui fait le Religieux, l'homme qui a donné à Dieu sa liberté.

“En voyage les Oblats choisiront toujours les maisons les plus sûres et les plus convenables pour y demander l'hospitalité; mais s’il y a une maison de leur ordre, ils ne doivent jamais rien accepter ailleurs que chez leurs frères” (Const., Art. XXII:10; p. 82-83).

Il faut éviter d'aller dans les maisons qui n'ont pas une excellente réputation et où on pourrait juger mal de votre intention. En général quand un Oblat va en voyage, il doit dire au supérieur où il ira, où il pense s'arrêter; et il ne faut pas qu'il se départe de l'itinéraire qui lui aura été tracé, à moins de circonstances majeures. Choisissez toujours les maisons les plus sûres et les plus convenables.

Nous retiendrons du Chapitre d'aujourd'hui qu'il ne faut jamais sortir sans permission; et aussi que quand nous avons à faire quelque ministère, quand nous recevons ou rendons quelque visite, il faut bien éviter de raconter ce qui concerne le régime intérieur de la maison, et surtout il faut éviter d'en dire du mal, ce qui serait un gros péché. Quand on a la tête bien organisée , on ne se laisse jamais aller à pareille sottise.

Vous êtes religieux, vous vous êtes donné à la communauté; Vous ne voyez pas toujours de la même manière que les supérieurs: mais dites-moi, est-ce que par hasard vous voyez absolument toujours comme le bon Dieu? L'ordre de la Providence vous parait‑il toujours bien arrangé? Rappelez-vous l'histoire du gland et de la citrouille. Pensez-vous à vous élever contre la Providence, bien que vous ne la compreniez pas toujours? Or la Providence, le milieu du Religieux, c'est sa communauté. Tout a été arrangé, décidé, approuvé par l'Eglise. En allant contre, vous faites quelque peu le rôle de Garot. Combien il est plus digne et plus convenable de faire le sacrifice et de dire: “C'est bien! quoi qu'il en puisse coûter”. Il n'est pas mal de faire un peu abnégation de son jugement. Tout le monde n'a pas le même jugement. Voilà une couleur: personne ne la voit absolument la même: il y a toujours forcément des nuances. Faites courageusement le sacrifice, faites abnégation de votre jugement.

Que ce soit le cachet particulier des Oblats, d'être les derniers partout. Voyez, nous allons où personne ne va; nous nous trouvons bien où personne ne peut vivre. Est-ce un rôle de niais? saint François de Sales n'était certes pas un niais. C'est là au contraire une grande vertu, une grande générosité: il faut pour cela surtout un bon jugement. Répétons souvent cette parole des Saintes Ecritures: “Donne-moi celle qui partage ton trône, la Sagesse” (Sg 9:4). Mon Dieu donnez-moi un bon jugement. In nomine Domini. Amen.