Chapitres pour les Oblats 1873-1899

      

Nouvelles initiatives et rapports avec le dehors

Chapitre du 9 juillet 1890

“Personne n'entreprendra d'œuvres importantes, ni ne s'engagera à les soutenir, sans avoir obtenu la permission du supérieur” (Const., Art. ). XII:3; p. 80.

En prenant une œuvre, on prend avec elle une responsabilité qui retombe toujours plus ou moins sur la Congrégation. On ne peut pas commencer une œuvre sans s'engager à la soutenir. A propos d'œuvres, il ne faut pas éteindre l'esprit du bon Dieu, et l'arrêter quand il souffle. Que chacun suive bien son zèle, son inspiration. Mais que cette inspiration soit toujours soumise au supérieur. Il y a deux défauts à éviter en cette matière: entreprendre des œuvres sans les ressources nécessaires, et ne vouloir jamais rien entreprendre. Alors il arriverait que la Congrégation serait grevée, ou dans le second cas qu'elle ne ferait rien. Ces deux excès s'éviteront par l'obéissance. De même que le supérieur général lui-même ne peut pas entreprendre de choses très importantes sans l'avis de Rome, de même un religieux ne doit rien entreprendre sans l'avis de son supérieur.

On peut entreprendre une œuvre, quand on en a la permission et que l'on a toutes les ressources nécessaires, ou presque nécessaires. On peut bien sans doute compter un peu sur les ressources que la Providence apportera dans l'avenir, mais il ne faut pas compter trop là dessus. Tel est l'esprit que j'aimerais voir se conserver dans la Congrégation. Il ne faut pas vouloir faire des œuvres avec l'argent des autres. Ce n'est pas que je désapprouve les quêtes. Les quêtes sont bonnes dans une certaine mesure et à un certain point de vue. Elles sont bonnes quand elles attirent des sympathies à votre entreprise.

Voilà l'Œuvre de la Jeunesse de Troyes. Les quêtes faites pour elle sont excellentes à ce point de vue: et si on n'avait pas besoin d'argent pour la soutenir, on devrait encore , je crois, continuer cette quêtée précisément parce qu'elle fournit l'occasion d'exprimer les sympathies nombreuses dont cette Œuvre est l'objet, et qu'elle donne aux fidèles l'occasion de faire une aumône fort méritoire. Mais ce que je veux, c'est que vous évitiez bien de vous lancer dans des entreprises, dans des constructions, en faisant appel à toutes les bourses, en les mettant toutes à contribution. Il ne faut pas désobliger les gens en leur faisant donner leur argent malgré eux.

En général, ne faisons pas de quête, ce n'est pas notre genre. Ne tendons pas la main. Recevons ce qui nous est offert spontanément. Demandons bien au bon Dieu de nous envoyer des ressources, confions-nous bonnement à lui sur ce point. Mais ne commençons jamais d’œuvres sans avoir des ressources, en appelant à droite et à gauche: dans ce cas il arrive que ceux qui nous connaissent et qui sont obligés de nous donner de l'argent, voudraient bien ne pas nous connaître, et ceux qui ne nous connaissent pas se gardent bien de se montrer.

Je désire bien que la Congrégation se suffise à elle-même. C'est un devoir de conscience qui s'impose à chacun, de travailler dans ce sens. Il faut que chacun fasse non seulement sa besogne, mais qu'il travaille à ce que sa besogne serve, ne soit pas à charge à la communauté, mais lui apporte quelque chose. Il faut éviter autant qu'on le peut les dépenses, et travailler autant qu'on le peut. Il faut faire cela déjà par esprit de pauvreté.

Et puis, mes Amis, il est certain qu'à l'heure qu'il est, il y a une action de Satan contre tous les ordres de Dieu, les commandements de Dieu. Dieu a imposé la loi du travail, et Satan veut combattre cette loi. On s'émeut beaucoup maintenant de cette question du travail, de protection du travail, comme on dit, et l'on veut restreindre le travail. Des esprits légers et qui ne réfléchissent pas poussent dans ce sens, qui n'est pas celui de la loi de Dieu. Les orateurs catholiques, il faut bien le dire, sont les plus ardents dans cette affaire. C'est un malheur. Je puis bien dire ce que je pense. Quand on ne travaille pas, on ne produit rien; nous avons tous été condamnés au travail. Adam lui-même devait travailler au Paradis terrestre. L'idée générale actuellement est qu'il faut travailler le moins possible. C'est une erreur, c'est un mal. Or les Congrégations religieuses sont faites pour contre-balancer le faux et le mal. Il faut donc que les Oblats travaillent. Avec cela ils auront des ressources: ils n'auront pas besoin de tendre la main. La communauté qui travaillera le plus sera la plus puissante. Certainement, d'ici à peu de temps, le travail seul sera productif. L'industrie et le capital sont plus ou moins en péril.

Que les frères s'y mettent donc de tout leur cœur; que les Pères aussi, chacun dans son office, travaillent pour gagner leur vie, pour que la Congrégation ait un fonds. Soyons une communauté de travailleurs, d'hommes qui ne veulent pas tendre la main. Une Congrégation fondée sur le travail est impérissable. Que chacun travaille. Voilà un Professeur, qu'il s'ingénie pour épargner; il peut donner des répétitions: qu'il le fasse; dans tel emploi on peut gagner telle chose pour la communauté; n'y manquez pas, si petite que soit la chose: épargnez et travaillez: il faut que ce soit le fonds de notre esprit. On ne veut plus que la terre rapporte, que le capital rapporte: il n'y aura donc plus que le travail de l'ouvrier qui rapportera. Jamais on n'empêchera le travail de rapporter: ce serait une aberration. Nous n'avons ni bien fonciers, ni capital. Nous aurons le travail. Nous serons dans les conditions les meilleures pour vivre et subsister. Et en même temps nous ferons un contre-poids à cette iniquité — et c'en est une — qui consiste à vouloir changer la loi de Dieu. Suivons toujours bien cette loi. Nous avons une œuvre à faire, trouvons les moyens de la faire, et n'ayons pas peur du travail pour cela. Ce qui est fondé comme cela durera, subsistera toujours. C'est une base extrêmement solide, et au point de vue naturel, et au point de vue surnaturel. Il ne faut pas être trop chiche: mais l'être un peu ne fait pas de mal, pour soi du moins.

Et qu'on n'aille pas chercher dans l'Evangile des objections contre cette doctrine que je vous donne. Ces objections tomberaient à faux. Nous sommes fondés à notre époque; nous devons peser à l'opposé des tendances mauvaises. C'est une chose bien remarquable: dans l'Eglise nous n'avons pris que des charges. Voilà les Œuvres de Jeunes Filles; on n'en peut faire nulle part: c'est une entreprise bien difficile. Nos missions sont les plus difficiles de toutes, celles dont personne ne veut. Pourquoi occupons-nous cette place? Parce que nous sommes décidés à travailler. Il faut bien comprendre cela; c'est une chose capitale. Nous ne sommes pas une agglomération d'hommes qui vont vaille que vaille, sans autre but que d'avoir une place et d'être un peu tranquilles. Nous devons être essentiellement militants et travailleurs. Le bon Dieu bénit toujours les travailleurs. Voyez les méchants quand ils travaillent, quand ils ont de l'ordre, ils réussissent, le bon Dieu bénit par des prospérités matérielles leur travail. Pourquoi? Parce qu'ils ne sont pas iniques en cela. Le bon Dieu les bénit là où ils font ce qu'Il veut. Il faut surnaturaliser ces sentiments, et cet amour du travail.

Il faut que le motif soit en dehors de la personne, du soi‑même. Mais en même temps aussi — et il est toujours à propos de dire ces choses-là, — ces sacrifices que l'on trouve dans le travail, cette soumission à la volonté de Dieu, vis-à-vis surtout de ceux avec lesquels on travaille, avec lesquels on a à traiter, sont tout-puissants pour faire réussir nos efforts. Nous réussissons, non pas parce que nous nous y sommes bien pris, non pas à cause de notre talent ou de notre esprit, mais parce que nous avons été bien humbles, bien obéissants, soumis, parce que nous avons souffert. Telles sont les vues surnaturelles que nous devons avoir. Et j'ajoute que c'est parce que nous avons cette doctrine-là que la sainte Eglise nous a accueillis, dès nos débuts, avec faveur.

“On n'entretiendra aucun commerce de lettres avec les étrangers sans permission expresse, et sans avoir mis le supérieur au courant de cette correspondance” (Const., Art. XXII:5; p. 80-81).

Si c'est une correspondance de direction, d'affaires concernant notre emploi, demandons-en la permission. Il faut pour les correspondances particulières bien suivre ce qui est dit là, et mettre le supérieur au courant.

“On évitera soigneusement de mettre les étrangers au courant de ce qui se passe dans la maison, tant pour l’administration que pour les détails de la direction. On pourra leur dire néanmoins ce qui sera de nature à les édifier, et à les porter au respect des choses saintes et à l’amour de Dieu” (Const., Art. XXII:6; p. 81).

Il ne faut pas raconter aux étrangers ce qui se passe. Il ne faut leur dire, de la maison, que ce qui est intéressant, agréable, édifiant. Il ne faut pas les entretenir de l'administration, du gouvernement, de la direction; à plus forte raison il ne faut pas se plaindre de tout cela avec qui que ce soit. Il faut être bien sévère à ce sujet. Ces sortes de conférences sont très nuisibles; elles détachent de la Congrégation; on s'expose à faire fausse route et à perdre sa vocation. Nos Pères de Rio-Bamba, de Pella, de bien des côtés, réclament du monde. Il faut prier le bon Dieu de nous envoyer des sujets. C'est une preuve que le bon Dieu a des desseins de bénédiction sur la Congrégation. Que chacun de son côté nous cherche des recrues. Offrons dans ce but-là toutes les peines, les souffrances, les contradictions que nous offrira la main paternelle de Dieu. C'est le grand secret pour tout obtenir.